
Cadre juridique de la lutte contre les dégâts environnementaux causés par l’orpaillage illégal en Guyane française
Par Laura KRZYWANIA
Juriste Environnement
Posté le: 13/03/2013 22:34
L’orpaillage est une technique artisanale consistant à extraire, par des lavages successifs, les paillettes d'or provenant du sable de certains cours d'eau. En France afin de pouvoir exercer cette activité, il faut qu’auparavant l’exploitant se prévale d’un titre minier qu’il s’agisse d’un permis exclusif de recherche ou d’exploiter des ressources minérales (or, étain, cuivre, nickel..) dans un périmètre et pour une durée déterminés.
Les titres miniers sont des titres de « propriété temporaire », au sens du droit d'accès à un gisement (le domaine du sous-sol relevant du code minier). Ces titres, sont accordés au niveau ministériel - ou, pour certains titres spécifiques aux DOM, au niveau préfectoral (AEX) - emportent de ce fait l'exclusivité du bénéficiaire durant la durée de validité. Après l'échéance, le terrain, avec les stériles non utilisés, revient au propriétaire du sol. Lors de la procédure d'instruction des demandes de titres, l'administration vérifie :
- d'une part, l'existence de preuves concernant la réalité de la découverte d'un gisement potentiellement exploitable ;
- d'autre part, la capacité technique et financière de l'entreprise pétitionnaire à exploiter le gisement découvert.
Si un opérateur exploite un gisement de substance concessible sans obtenir au préalable de l'État la « propriété » juridique par le bais d’un permis ou autorisation préfectorale, il se place de fait en situation d'infraction par rapport au code minier. Dans tous les cas, en raison de l'impact potentiellement important de l'activité minière sur le milieu naturel, l'État prescrit aux exploitants, au titre de la police des mines, des dispositions techniques relatives à la protection de l'eau, de la forêt, de l'environnement faunistique, floristique ou encore au respect de certaines règles d'urbanisme.
Pourtant l’obtention d’un titre minier n’est pas toujours de mise en Guyane française ; ce qui aboutit à une prolifération de l’orpaillage clandestin dans cette enclave européenne en Amérique du Sud. Le niveau de vie élevé dans ce territoire français, la porosité des frontières favorisant l’immigration clandestine et l’existence de gisements d’or conjuguée à la flambée du prix de ce minerai sur le plan international constituent autant de facteurs expliquant le développement de l’orpaillage illégal.
En raison de son mode de réalisation, l’orpaillage illégal en Guyane constitue un véritable fléau environnemental. Il engendre des dégâts considérables pour les populations locales en détruisant les ressources du sous-sol mais aussi la faune et la flore. Les orpailleurs illégaux, installés de manière sauvage dans les forets guyanaises pourtant protégées, extraient les paillettes d’or du sable contenu dans le lit de certaines rivières au moyen de lances à eau très puissantes. Ils lavent ce sable en utilisant du mercure afin de récupérer l’or.
Toutefois, les sols guyanais sont naturellement chargés en mercure. Et lorsque cette terre est remuée par les chercheurs d’or, le mercure change de forme chimique et s'écoule dans les cours d'eau. L'amalgame or-mercure est chauffé afin que le liquide s'évapore et que des paillettes d'or apparaissent. Le mercure se transforme alors en un dérivé dangereux dénommé le méthylmercure. Le mélange de l’or et du mercure, interdit en France depuis 2006, est très toxique car il se diffuse dans l'air et est donc facilement assimilée par les êtres vivants. Par ailleurs, les points d'eau utilisés se transforment en une boue qui retient l'oxygène contenue dans les rivières et ce procédé asphyxie la faune aquatique.
Les conséquences dommageables qui découlent de ces activités sont l’atteinte à l’une des plus belles forêts tropicales du monde, une pollution grave perturbant ou détruisant la vie aquatique, la disparition d’espèces animales en raison la contamination des cours d'eau par le mercure ou de la destruction de leurs habitats. Les contaminations touchent également les hommes et entraînent des conséquences telles des malformations génétiques ou des déficiences mentales recensées au sein des populations amérindiennes qui, de par leur mode de vie, sont extrêmement dépendantes de la forêt.
En raison de ces facteurs, la lutte contre l'orpaillage illégal a été perçue comme constituant une priorité absolue pour l’Etat français qui a adopté ou institué une série de dispositifs et de mesures spécifiquement destinées à combattre ce phénomène.
Sur le plan interne, deux dispositifs ont été mis en œuvre afin de démanteler les réseaux d’orpaillage clandestin à savoir les opérations de police et de gendarmerie « Anaconda » (113 opérations en 2007) et l’opération « Harpie » (201 opérations en 2008). Ces opérations sont des opérations interministérielles placées sous la double protection du préfet de Guyane et du procureur de la République de Cayenne.
En d’autres termes, ces opérations ont fédéré les actions de l'ensemble des services de l'Etat compétents en matière de lutte contre l'orpaillage clandestin. Il s’agit de dispositifs faisant intervenir la police administrative et la police judiciaire. Ainsi y sont engagées, la gendarmerie, pour ses compétences en matière de sécurité, mais aussi la PAF (Police aux frontières), les douanes, et les forces armées stationnées en Guyane. De même, l'Office National de Foret (ONF), l'ONCFS et le parc amazonien de Guyane qui connaissent bien le terrain et la localisation des sites clandestins y sont associés.
Sur le plan international, un accord bilatéral de lutte contre l’exploitation aurifère en zones protégées a été signé le 23 décembre 2008 entre la France et le Brésil en raison du fait qu’une grande partie des orpailleurs illégaux sont originaires de cet Etat. Toutefois, cet accord n’est toujours pas entré en vigueur car seul le parlement français l’a ratifié.
La France et le Brésil ont également signé un protocole additionnel le 7 septembre 2009 portant sur la création d’un centre de coopération policière visant à échanger des informations en matière policière dans le respect des législations nationales. Jusqu’alors, aucune coopération policière transfrontalière n’avait été signée ainsi la lutte contre les atteintes à l’environnement sera renforcée par l’échange d’informations sur l’emploi ou le trafic de produits nocifs, ainsi que sur la préservation des espaces naturels et sur l’orpaillage. Ce protocole est venu compléter l’accord de partenariat et de coopération en matière de sécurité publique conclu le 12 mars 1997 entre ces deux états.
Les résultats de lutte armée contre l’orpaillage illégal semblent positifs. En Effet, Le Colonel Thierry Burkhard, porte-parole de l'état-major de l’armée, a souligné la diminution assez nette du phénomène depuis 2010. Selon l’office national des forets, le nombre de chantiers clandestins est passé de 600 en 2008 à 390 en 2011. Depuis la mort des deux soldats des forces armées en Guyane et la recrudescence des opérations armées policières et militaires, les orpailleurs clandestins ont vu une grande partie de leur matériels (quads, armes, abris, refuge) être détruits. En outre, ils ne sont plus soutenus par les populations locales qui n’hésitent pas à communiquer aux autorités locales toutes les informations relatives à l’emplacement de sites clandestins.
Cependant, si les opérations conjointes de la police et de l’armée ont freiné l'expansion de ces activités illégales, elles n'ont pas encore réussi à éradiquer totalement le fléau majeur que représente l’orpaillage illégal. Outre, les lourds impacts environnementaux, cette activité est porteuse de nombreuses déviances telles que les importations illégales de produits chimiques, les trafics d'armes, les trafics de stupéfiants, la prostitution, les règlements de comptes et les meurtres. L’organisation internationale WWF avait ainsi regretté que ces interventions armées, ponctuelles et efficaces, aient été trop irrégulières ; et de ce fait n’aient pu faire disparaitre cette pratique.
Afin de parvenir à des résultats meilleurs dans ce domaine, la députée Chantal Berthelot a annoncé le 21 février 2013, le dépôt d’une proposition de loi visant à modifier le code minier dont la réforme est prévue en juin 2013 en y rajoutant des infractions supplémentaires concernant le transport et l’usage de certains matériels de l’orpaillage illégal.