
« Pétrole bleu »: miraculeux ou poudre au yeux ?
Par Karen PASCAL
Chargée de mission Garantie Technique Homologation Environnement
Nissan West Europe
Posté le: 10/03/2013 19
Les variations climatiques et les conséquences immédiates sur notre environnements sont des préoccupations planétaires qui impliquent un questionnement sur les alternatives possibles quant à l'épuisement des ressources naturelles et une réflexion sur nos capacités de régénération.
Aussi, en signant le protocole de Kyoto en 1998, la Communauté européenne s’est engagée à réduire de 8 % le niveau de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 1990, pour la période 2008-2012.
En 2008, l’Union Européenne a alors fixé dans le Paquet Energie-Climat un objectif de 20% de la consommation d’énergie produite à partir d’énergies renouvelables en 2020.
La directive vise ainsi un objectif global contraignant de 20% pour la part des sources d'énergie renouvelables dans la consommation d'énergie et un objectif contraignant minimum de 10% pour la part des biocarburants dans les transports, devant être réalisés par chaque État membre, ainsi que des objectifs nationaux contraignants pour 2020 conformes avec l'objectif global de 20% pour l'UE.
Concernant la France, l’objectif est de porter à au moins 23 % la consommation d’énergie produite à partir d’énergies renouvelables d’ici 2020.
Si l'on en croit l'alliance universitaire entre les université d'Alicante et de Valence, une solution énergétique révolutionnaire serait en train de naitre en Espagne: fabriquer du pétrole en utilisant nos rejets de CO2.
La société Bio Fuel System (BFS), localisée à Alicante, se prévaut d'être à l'origine du premier procédé de conversion accéléré du CO2 en pétrole artificiel, c'est à dire: d'une nouvelle forme de pétrole.
Après 5 années de recherches, le dépôts d'une vingtaine de brevets, et la sélection parmi 30 000 espèces d'algues, il s'agirait de recréer en 48h les conditions optimum pour l'obtention d'un pétrole artificiel similaire au fossile.
Le principe est présenté comme « simple », il s'agit de capturer les rejets industriels de CO2 provenant d'usines telles que des cimenteries, pour les transformer en un pétrole ayant les mêmes propriétés que notre bon vieux pétrole, aussi bien en tant que carburant, puisqu'il est directement utilisable dans un moteur à combustion, qu'en tant que matière première, le tout: sans présence de métaux lourds, ni de souffre.
Sur une superficie de 40 hectares, il pourrait être envisagé d'absorber jusqu'à 450 000 tonnes de CO2 par an, utiles pour la fabrication de ce pétrole bleu. En effet, la fabrication se base sur la culture en tube de croissance de micro algues nourries de CO2 et de la lumière du soleil (procédé de photo-synthèse). La biomasse résultante, serait ensuite transformée en pétrole artificiel grâce à un procédé dit de « craquage à haute température ».
Au final et selon BFS, il s'agirait d'atteindre une empreinte écologique positive car en récupérant le CO2 émis des usines (qui deviendraient alors des usines « vertueuses »?) pour créer du fuel, le CO2 rejeté par un véhicule de 135 cv se trouverait inférieur à la quantité de CO2 absorbée par BFS pour produire le pétrole consommée sur les 100 kms. Consommateur d'importante quantité de CO2 d'usine pour sa fabrication, ce pétrole semble gagner sur tous les points.
Autre avantage relevé, est que contrairement aux autres biocarburants, cette méthode requiert une consommation économique en eau 0,1 litre d’eau pour produire 1 litre de pétrole quand il faut 1000 litres d’eau d’arrosage pour obtenir un litre de diester à base de colza ou de tournesol.
Annoncé comme un miracle, cette méthode semble pourtant ne pas être si optimum que la société BFS semble le dire.
En effet, malgré les avantages précédemment cités (absence de métaux lourd et de souffre et économie d'eau), le procédé à soulevé de nombreux questionnements.
On peut par exemple se pencher sur la question de l'énergie nécessaire au procédé de craquage ? Du coût de revient d’un baril de pétrole bleu ? De l'ensoleillement nécessaire au bon fonctionnement des tubes de croissance ? Ou encore, des travaux à mettre en oeuvre afin de connecter les usines les plus polluantes à un réseau de canalisation menant aux tubes de croissance d'algues.
Lorsque qu'une usine use de 6 barils de pétrole fossile pour son activité et que le CO2 émis permet la création d'un baril de pétrole bleu, cela ne fait aucune création d'énergie (on peut toutefois se poser la question d'une possible source d'allègement des taxes carbone pour les industriels).
Aussi, plutôt qu'un miracle, il serait peut être bon de voir cette solution comme un excellent moyen d'améliorer le bilan global en consommant « 5 barils au lieu de 6 ».
Côté français, l'Aquazole développé par le pétrolier Elf tente également une percée écologique dans les transports en commun. Composé d'environ 85% de gazole, 13% d'eau et de 2% d'agents stabilisants, l'utilisation eau/gazole ne requiert aucune modification des moteurs. Cependant en raison de la présence d'eau, l'Aquazole est moins énergétique que le gazole et provoque une baisse de puissance du moteur. Bien que ce carburant permette notamment la disparition visuelle totale des fumées noires, le grand avantage serait l'exonération de la taxe intérieure sur les produits pétroliers sur chaque litre de carburant. Toutefois, cette technologie reste encourageante et démontre la mobilisation des sociétés privées et des autorités publiques pour une industrie plus respectueuse de l'environnement.
Il semblerait donc que l’atteinte de l'objectif fixé par l'UE nécessite avant tout un développement soutenu de l’ensemble des filières dans chacun des Etats membres, de poursuivre les efforts des recherches/développement et non pas de choisir entre les différentes énergies renouvelables.