30_99x128.jpg)
Le Document unique : Épée de Damoclès ou bouclier juridique en cas d’accident du travail ?
Par Sophie RENARD
Juriste Qualite - Securite - Environnement
GDF Suez - GRTgaz
Posté le: 23/01/2013 20:47
Le Document unique est obligatoire dans toutes les entreprises quelle que soit le secteur et l’effectif depuis le décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001. Au sein de l’entreprise, il est souvent perçu comme une contrainte. Or s’il est fait dans les règles il peut être un rempart solide contre la mise en jeu de la responsabilité de l’employeur en cas d’accident du travail.
Dès lors que le danger est objectif et trouve son origine dans l'entreprise, l'employeur doit identifier et évaluer les risques afin de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés. La connaissance du risque doit permettre de prévenir l’accident car chaque accident possède une cause identifiée donc prévisible. Le Document unique d’évaluation des risques, colonne vertébrale du système de prévention, fait partie de l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur. En faisant l’inventaire de tous les risques de l’entreprise par unité de travail, le but poursuivi n’est autre que celui de la prévention et donc de la santé et de la sécurité au travail. Pour cela, quatre grands principes doivent être respectés.
I. L’existence du document unique
En cas d’accident du travail, c’est à l’employeur de montrer qu’il a pris les mesures nécessaires pour l’éviter et non à la victime de prouver la faute de l’employeur. Pour l’employeur, la première chose est d’apporter la preuve de l’existence du document unique.
La loi n’exige pas de formalisme particulier, le Document unique peut être accessible en format papier ou informatique type fichier Excel. Il est important de préciser que l’inventaire des risques doit figurer dans un unique document, centralisé.
Il doit être rédigé par des personnes compétentes et formées ce qui n’est pas le cas par exemple du comptable de l’entreprise (Cour de cassation, Ch crim. 25 octobre 2011). L’employeur doit désigner au moins un salarié compétent en charge de la prévention des risques professionnels ou, sinon, de faire appel à des personnes ou organismes compétentes. L’employeur peut au choix:
- Recruter un nouveau salarié pour cette fonction
- Former à la prévention des risques professionnels un salarié pour cette fonction
- Sous-traiter complètement cette activité de prévention des risques à des spécialistes extérieurs en respectant l’article L.4644-1 du Code du travail
II. L’actualité du Document unique
Le Document unique doit être mis à jour au moins chaque année et en plus, lorsqu’une « décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » est prise, ainsi que lorsqu' « une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail est recueillie » selon l’article R4121-2 du Code du travail.
Un Document unique tardif c’est à dire postérieur à l’accident ne suffit pas. Il engage la faute inexcusable de l’employeur (Cour d’appel de Riom 15 juin 2010). A l’inverse, dans un arrêt du 12 janvier de la Cour de cassation, il est dit que l’employeur qui justifie que « l’entreprise disposait d’un document unique dont la dernière rédaction datait du mois de janvier 2005 soit quelques semaines avant l’accident et qui était donc actualisé » est exonéré.
Et logiquement, est une infraction au Code du Travail le défaut de mise à jour du Document unique, ce que rappelle l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 30 octobre 2012.
III. L’exhaustivité du Document unique
Au lendemain de l’obligation de se doter d’un Document unique, certaines organisations patronales ont préconisé de formaliser dans le Document unique le moins de risques possibles. En effet, la question s’était posée de savoir s’il ne valait pas mieux occulter les risques pour lesquels l’entreprise ne pouvait pas ou ne voulait mettre en œuvre un plan d’action plutôt que d’être exhaustif sans mettre en œuvre un plan d’action complet. Il n’en est évidemment rien, ce n'est pas la reconnaissance de l'existence de situations de risques qui pose problème mais bien le défaut d'engagement par l'entreprise de mesures transitoires ou définitives de protection des salariés concernés. Ainsi, l’employeur doit formaliser dans le document unique « l’ensemble des risques qu’il ne peut ignorer ».
Et ce, même si le risque est évident et fait partie du quotidien du salarié. C’est ce qu’affirme l’arrêt de la Cour de cassation du 17 mars 2003 selon lequel la responsabilité de l’employeur a été engagée dans le cas de l’agression d’une aide-soignante d’une ancienneté de treize ans dans ses fonctions quotidiennes par un patient qu’elle connaissait, au sein d'un établissement accueillant des personnes polyhandicapées.
L’employeur peut être condamné pour « document Unique insuffisant ». C’est le cas par exemple traité par l’arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2011. Un garage disposait d’un Document unique qui a été jugé incomplet parce qu’il ne mentionnait pas l’évaluation des risques d’’explosion. La Chambre criminelle en déduit que le fait pour l’entreprise de ne pas connaître réellement les risques liés à son activité constitue une imprudence qui a contribué de façon certaine à l’accident.
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il ne suffit pas d’établir un document Unique d’évaluation des risques professionnels, encore faut-il que ce document traduise la réalité des risques encourus par le personnel de l’entreprise et que ce dernier en soit informé.
IV. L’accès au Document unique
L’article R. 4121-4 du Code du travail qui réservait l’accès du Document unique aux seuls représentants du personnel, au médecin du travail, ainsi qu’à différents agents de l’administration est complété, permettant désormais l’accès à tous les salariés de l’entreprise. Ce nouveau droit est renforcé par deux dispositions :
- « un avis indiquant les modalités d’accès des travailleurs au document unique est affiché à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail », et « au même emplacement que celui réservé au règlement intérieur » lorsque celui-ci existe
- une « information » sur « les modalités d’accès au document unique », ainsi que sur « les mesures de prévention des risques identifiés dans le document unique », doit également être dispensée par l’employeur.
Le défaut de cette obligation d’accès n’est pas anodin pour l’employeur qui peut être condamné pour délit d'entrave si le Document unique n'est pas mis à la disposition des représentants du personnel que sont le CHSCT ou les délégués du personnel. Plus grave encore, le refus de tenir le document unique à la disposition de l'inspecteur du travail est constitutif d’une amende de troisième classe équivalant à 450 euros, voire à délit d'obstacle à contrôle avec une amende de 3 750 Euros et/ou un an de prison, portés au double en cas de récidive.
En cas d’accident du travail, l’employeur ne voit pas sa responsabilité engagée s’il n’y a pas de lien de causalité entre un manquement du Document unique et l'accident. Ainsi, par exemple, un Document unique peut faire défaut, sans que cette carence soit responsable de la fracture de la jambe due à l'imprudence du salarié qui a sauté dans l'escalier.
Pour conclure, si l'un de ces quatre critère n'est pas rempli ou est insuffisant, et en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, la responsabilité civile de l’employeur peut être engagée si la faute inexcusable est reconnue, entraînant une réparation du préjudice subi pour la victime (souffrances morales et physiques, esthétiques...) et pour l'employeur, une cotisation complémentaire en remboursement de la rente majorée avancée par la sécurité sociale.