Installations classées et bénéfice de l’antériorité: Eclairage sur la décision du Conseil d'Etat Coop de France, du 8 octobre 2012, n° 340486
Par Diana DJIDI
Eleve-avocat
Posté le: 11/12/2012 16
Par une décision Coop de France, du 8 octobre 2012, les 6ème et 1ère sous-section du contentieux du Conseil d’Etat siégeant en formation réunies ont pris position sur l’articulation du pouvoir de prescription général du ministre et du pouvoir propre du préfet en matière de police spéciale portant sur les installations classées fonctionnant au bénéfice des droits acquis (CE, 8 oct. 2012 Coop de France, n°340486).
I. Contexte
Par trois requêtes, la confédération Coop de France, l’Union des Industrie de la Fertilisation (UNIFA), l’Union Nationale des Industrie de la Manutention dans les Ports Français ( UNIM) ont demandé l’annulation, pour excès de pouvoir de l’arrêté du 13 avril 2010 du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat relatif à la prévention des risques présentés par les stockages d'engrais solides à base de nitrate d'ammonium soumis à autorisation au titre de la rubrique 1331 et les stockages de produits soumis à autorisation au titre de la rubrique 1332.
II. Cadre normatif
A titre de rappel, le préfet est chargé, dans le département, de la police relative aux installations classées, il a pour supérieur hiérarchique le ministre chargé de l’environnement.
La nomenclature, annexée à l’article R. 511-9 du code de l’environnement, est déterminante de l’application de la police des installations classées à une activité donnée. Lorsque celle-ci est modifiée, l’exploitant d’une installation classée régulièrement mise en service conserve le bénéfice de « l’antériorité » ou des « droits acquis » selon les formules consacrées.
Le bénéfice de l’antériorité dispense alors l’exploitant de déposer une demande d’autorisation, un dossier d’enregistrement ou une déclaration.
Le bénéfice des « droits acquis » remonte au décret impérial du 25 octobre 1810 qui posait le principe du maintien des établissements existants à sa date de publication (article 11 : "les dispositions du présent décret n’auront point d’effet rétroactif : en conséquence, tous les établissements qui sont aujourd’hui en activité continueront à être exploités librement, sauf les dommages dont pourront être passibles les entrepreneurs de ceux qui préjudicient aux propriétés de leurs voisins...").
Le Conseil d’Etat a jugé que même sans texte garantissant ce droit, les établissements créés librement pouvait continuer à fonctionner sans autorisation après leur absorption dans la nomenclature (28 janvier 1887, Pral frères).
Toutefois, pour bénéficier du régime de l’antériorité, l’exploitant doit se faire connaître dans le délai d’un an à compter du décret modifiant la nomenclature (art. L. 513-1, R. 513-1 et R. 513-2 du code de l’environnement).
Le préfet conserve un pouvoir de prescription à l’égard de l’exploitant qui a sollicité le bénéfice de l’antériorité encadré par l’article R. 513-2 al. 3 et 4 du code de l’environnement. Le préfet ci peut prescrire des mesures propres à sauvegarder les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l’environnement. Cependant les mesures susceptibles d’être prises par le préfet ne peuvent entraîner de modifications importantes touchant le gros-oeuvre de l'installation ou des changements considérables dans son mode d'exploitation.
III. Les apports de la décision
En premier lieu, le premier intérêt, de la décision consiste à consacrer pour la première fois les droits acquis prenant leur origine dans le décret du 28 décembre 1999.
En second lieu, le conseil d’Etat affirme, dans son considérant n°8, la coexistence de deux pouvoirs de police sur les installations existantes fonctionnant au bénéfice des droits acquis.
Le ministre chargé des installations classées peut fixer par arrêté les règles générales et prescriptions techniques applicables à toutes les installations existantes soumises à autorisation dans les conditions prévues par l’article L.512-5 du code de l’environnement.
Le préfet qui détient en parallèle un pouvoir propre de police spéciale, le conserve vis-à-vis de l’exploitant d’une installation fonctionnant au bénéfice des droits acquis.
Ainsi le ministre fixe la norme générale applicable à toutes les installations à charge pour le préfet de s’intéresser au cas par cas aux installations fonctionnant au bénéfice des droits acquis.
En revanche, le pouvoir de prescription général du ministre n’est pas soumis aux limitations qui s’imposent au préfet. Ce qui implique, de facto, un assouplissement des garanties dévolues à l’exploitant d’une installation classée fonctionnant au bénéfice des droits acquis. Désormais, ceux-ci, pourront, comme en l’espèce, se voir imposer des prescriptions relatives à la construction, susceptibles de toucher le gros-œuvre de l'installation ou d’entraîner des changements dans son mode d'exploitation.
Toutefois, le Conseil d’Etat astreint une limite au pouvoir du ministre. Les prescriptions générales que le ministre peut imposer aux installations concernées ne doivent pas être disproportionnées par rapport à ce que nécessite la protection des intérêts mentionnés par l’article L 511-1 du code de l’environnement. Ainsi en cas de contestation, il reviendra au juge administratif d’apprécier la proportion entre la mesure prescrite et la nécessité de protéger les intérêts mentionnés par l’article L 511-1.