Afin de favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 a établi un système d’échange de quotas d’émission gaz à effet de serre dans la communauté européenne. Depuis le 1er janvier 2005, les industries visées dans l’annexe I de la directive sont ainsi dotées d’un quota d’émission de gaz à effet de serre qu’elles doivent respecter annuellement. En cas de non-respect de leurs engagements, elles peuvent acheter des quotas à une autre installation qui serait parvenue à réduire ses émissions en dessous de son quota.

Ce système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre semble simple, sa mise en œuvre n’en demeure pas moins complexe. Dans un premier temps, l’union européenne a par conséquent décidé de n’appliquer ce système qu’à 11 500 installations industrielles représentant plus de 40 % des émissions européennes de GES.

La transposition en droit interne des dispositions de la directive a été faite par l’ordonnance du 15 avril 2004 portant création d’un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, dont les modalités d’application sont renvoyées à un décret en Conseil d’Etat. Le décret du 19 août 2004, pris sur ce fondement et modifié par le décret du 25 février 2005, est l’objet du présent recours en annulation porté devant le Conseil d’Etat par la société Arcelor Atlantique et Lorraine.

La société Arcelor fait grief au décret de transposition de la directive de méconnaître différents principes à valeur constitutionnelle, notamment les principes de liberté d’entreprendre, de propriété et d’égalité. Cet arrêt donne au Conseil d’Etat l’occasion de confirmer sa jurisprudence sur les conditions de l’articulation entre la Constitution française et le droit communautaire. Par ailleurs, cette décision devrait asseoir l’autorité du marché européen d’émissions de gaz à effet de serre et, par une décision exemplaire, mettre un terme aux éventuels différends qui pourraient survenir avec l’extension du champ d’application de la directive.

Aux termes de l’article 55 de la Constitution, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dés leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». En revanche, malgré la volonté de la Cour de Justice des Communautés Euorpéennes d’imposer la supériorité du droit communautaire sur les constitutions des Etats Membres, le Conseil d’Etat, dans une jurisprudence constante depuis 50 ans (CE, 30 octobre 1998, Sarran, et CE, 2 juin 2000, Fraisse), rappelle que la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne saurait s’imposer dans l’ordre interne aux principes et dispositions à valeur constitutionnelle.

La transposition d’une directive communautaire en droit interne peut ainsi conduire à l’adoption d’une mesure législative ou réglementaire contraire à une règle issue du bloc de constitutionnalité, formé par la Constitution, la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, la Charte de l’environnement et les principes à valeur constitutionnelle.

En l’espèce, la société Arcelor Atlantique et Lorraine fait grief au décret de transposition de la Directive relative au système d’échange de quotas d’émissions de CO2 de méconnaître différents principes à valeur constitutionnelle, notamment le principe d’égalité.

En effet, selon l’article 1er du décret, reprenant mot pour mot les termes de la directive, le champ d’application du Décret est limité « aux installations classées pour la protection de l’environnement produisant ou transformant des métaux ferreux, produisant de l’énergie, des produits minéraux, du papier ou de la pâte à papier et répondant aux critères fixés dans l’annexe au présent décret, au titre de leurs rejets de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, à l’exception des installations ou parties d’installations utilisées pour la recherche, le développement et l’expérimentation de nouveaux produits et procédés ».

Or Arcelor soutient qu’il y a rupture du « principe d’égalité » dans la mesure où les entreprises d’autres secteurs avec lesquels il est directement en concurrence, tels les producteurs de métaux non ferreux et producteurs de produits chimiques, et qui produisent des émissions de gaz à effet de serre équivalentes ou même supérieures aux siennes, ne sont pas soumises aux dispositions du décret.

Ce principe à valeur constitutionnelle est également un principe général du droit communautaire. Soutenir que le décret est contraire à la Constitution équivaut ainsi à soutenir que la Directive « Quotas » est contraire au droit communautaire primaire formé par les traités et principes généraux du droit communautaire.

Qui du juge national ou du juge communautaire est par conséquent compétent pour se prononcer sur la conformité du décret, et de la Directive, aux principes généraux du droit communautaire ?

L’examen d’un recours dirigé contre un décret transposant une directive communautaire est l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler les conditions de la nécessaire conciliation entre l’obligation de transposer les directives communautaires et la suprématie de la constitution. Conformément au principe posé par le Conseil constitutionnel dans une décision du 10 juin 2004, « le contrôle de constitutionnalité (opéré par les juridictions internes) s’arrête là où commence le contrôle du droit communautaire (opéré par la CJCE)», lorsque le Conseil d’Etat est confronté à un problème ne mettant pas sérieusement en cause la validité d’une directive, il écarte de lui-même les critiques formulées à l’encontre de la directive. En revanche, s’il estime qu’il existe une difficulté sérieuse quant à la validité de la directive, il laisse à la Cour de justice des Communautés Européennes, autorité détenant le monopole de l’appréciation de la validité du droit communautaire dérivé, le soin de se prononcer.

En l’espèce, le Conseil d’Etat émet un doute sérieux quant au respect de la directive « quotas » au principe communautaire d’égalité. En effet, il se fonde sur la jurisprudence de la CJCE, selon laquelle « la méconnaissance de ce principe peut notamment résulter de ce que des situations comparables sont traitées de manière différente, à moins qu’une telle différence de traitement soit objectivement justifiée » pour apprécier la validité de la directive. Ainsi, après avoir reconnu que les secteurs des métaux ferreux et des métaux non ferreux (industries du plastique et de l’aluminium principalement) sont en concurrence et émettent des quantités équivalentes de GES, et observés qu’ils sont traités différemment dans la mesure où seul le premier secteur est soumis à la directive « quotas », il décide de renvoyer la question de savoir si cette différence de traitement est « objectivement justifiée » à l’appréciation de la CJCE. Si la CJCE déclare que la directive est contraire au droit communautaire primaire, le Conseil d’Etat devra annuler le décret transposant la directive « Quotas ».

L’avocat général de la CJCE, Poiares Maduro, a déclaré dans ses conclusions du 21 mai 2008 que la Directive de 2003 ne viole pas le « principe d’égalité ». En effet, selon lui, la complexité de la mise en place d’un système d’échange de quotas justifie de procéder par étape en restreignant son application à certaines industries et à un seul gaz à effet de serre, le CO2. Cette « expérimentation législative » n’entraîne cependant pas de discrimination dans la mesure où la limitation du système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre n’est que transitoire et la délimitation du champ d’application de la Directive obéit à des critères objectifs.

Dans l’attente du prononcé de la décision des juges de la Cour de Justice des Communautés Européennes, il convient de rappeler que la proposition de modification de la Directive « quotas » prévoit un élargissement du champ d’application du système d’échange de quotas au secteur de production d’aluminium. Cet élargissement devrait entrer en vigueur en 2013 et par là même mettre les entreprises de ces deux secteurs concurrentiels sur un pied d’égalité. La décision de la CJCE devrait, quant à elle, apporter une réponse aux éventuels différends qui pourraient être portés devant le Conseil d’Etat en raison de l’élargissement progressif du champ d’application de la directive.