En vertu de l’article 1792 du Code civil, la responsabilité spécifique des constructeurs et en particulier la garantie décennale, nécessite pour son application dans le cadre de travaux de réhabilitation thermique notamment, l’existence d’un ouvrage et d’un dommage. Les travaux de réhabilitation thermique prévus par la loi « Grenelle 2 » entrent-ils en conséquence dans le champ de la responsabilité décennale ?

Concrètement, il n’y a pas de solution de principe à cette question, chaque cas étant différent. Néanmoins, la jurisprudence a dégagé des tendances fortes afin de déterminer ce que constitue un ouvrage dans le cadre d’une réhabilitation thermique, de même que la notion de dommage suite à ces travaux.

1) L’ampleur des travaux

Ainsi, concernant la notion d’ouvrage, le juge se réfère à l’ampleur des travaux, une réhabilitation lourde ou des travaux de grande importance sur existant seront considérés comme relevant de l’ouvrage a contrario des travaux de plus faible importance. Dans ce cadre, la jurisprudence a tendance à considérer que constituent un ouvrage des travaux de relativement faible ampleur tels que l’installation de doubles vitrages sur l’ensemble des fenêtres d’un immeuble ou la pose d’une installation de climatisation assurant production d’énergie calorique et frigorifique nécessaire à la climatisation d’un bâtiment. De fait, les travaux de réhabilitation thermique seront donc très probablement considérés comme des ouvrages, ce type d’opération ne se contentant pas du minimum d’autant plus que l’objectif de diminution de la consommation énergétique potentiellement fixé par un futur décret en la matière s’élèverait à 25% en consommation globale. Cependant, si la notion d’ouvrage venait à être rejetée, il resterait au bénéficiaire des travaux la possibilité d’engager la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur.

2) Le défaut de performance énergétique

Il reste que pour jouer, la garantie décennale nécessite en sus de l’ouvrage, un dommage. Tout d’abord en matière de défaut de performance énergétique d’un ouvrage, il est tout à fait envisageable que celui-ci ne soit détecté qu’après réception des travaux puisque nécessitant une utilisation du bâtiment sur une période étendue, auquel cas la garantie décennale peut être amenée à jouer. L’origine du dommage n’a pas ici à être étudiée, celle-ci étant indifférente. « Peu importe donc que le défaut de performance soit dû à une anomalie, une défectuosité, un vice de conception, un défaut de conformité, ou même que l'on ignore totalement la raison ! ». La seule exigence de l’article 1792 du Code civil est de fait que le dommage soit un dommage porté à l’ouvrage. Mais dans le cadre de travaux d’amélioration de la performance énergétique prévus par la loi « Grenelle 2 », la violation de l’obligation contractuelle essentielle qu’est celle de performance donc, constitue-t-elle un dommage au sens de l’article précité ?

Premier cas de figure, si le défaut de performance entraîne un dommage matériel du type mauvaise isolation thermique entraînant des températures excessives ou trop faibles, la question ne se pose pas et la garantie s’applique.

Deuxième cas de figure, cette même isolation est de bonne qualité et permet une température dans le bâtiment normale en toutes circonstances. Cette isolation néanmoins devait permettre des économies d’énergie substantielles fixées par le contrat de louage d’ouvrage, ce qu’elle ne permet pas dans les faits. Ce dommage lié à un défaut de performance constitue un dommage immatériel qui, en principe, est indemnisé au titre des troubles annexes. Le juge a donc essayé de dégager un critère clair quant à la recevabilité du défaut de performance dans le cadre d’une action en garantie décennale. Néanmoins, la clarté n’est pas réellement de mise ici. Ainsi, certains arrêts retiennent classiquement que la gravité du dommage doit être appréciée au regard du dommage à l’ouvrage, dommage matériel uniquement donc et ont ainsi rejeté la garantie décennale au motif que bien que l’installation avait fait preuve d’un manque certain de performance dans son fonctionnement, l’ouvrage n’avait pas été atteint en lui-même de dommages de nature à porter atteinte à sa solidité ou à le rendre impropre à sa destination. Une autre conception ressort également, plus favorable au maître d’ouvrage. Ainsi, un arrêt a retenu, en se fondant sur l’existence d’un dommage matériel assorti d’un défaut de performance, la responsabilité décennale du constructeur, l’immeuble ayant été « rendu impropre à sa destination par le non-fonctionnement de l'élément d'équipement constitué par les capteurs solaires, compte tenu des risques de surchauffe de l'eau chaude sanitaire collective et parce que les objectifs d'économies d'énergie, consécutifs à la fourniture d'énergie mixte, promis aux utilisateurs par le promoteur, […] n'étaient pas atteintes, même si la fourniture d'eau chaude à température désirée pouvait être assurée par l'installation individuelle de chauffage au gaz ».

3) La nature de l’obligation de performance énergétique

Il reste, au final, un critère commun à ces diverses jurisprudences déterminant la recevabilité de l’action en responsabilité spécifique des constructeurs : le caractère légal ou conventionnel de l’obligation de performance énergétique.

Ainsi, dès lors que les normes légales formulent des exigences en matière de performance énergétique et que celles-ci ne sont pas respectées par l’ouvrage, cela constitue une impropriété de destination. Cette conception apparaît logique dans la mesure où d’une part ce défaut constitue en premier lieu une violation des obligations contractuelles mais surtout une violation des exigences de la loi elle-même. De fait, sur le fondement d’une interprétation étendue de la jurisprudence, l’on peut rapprocher le fait qu’un ouvrage ait été considéré comme impropre à sa destination pour violation des exigences légales d’accessibilité aux handicapés ou de sécurité incendie. A cela s’ajoute également, bien entendu, le fait que la performance énergétique attendue avait été prévue au contrat d’entreprise et résultait de leur volonté. En conséquence et dans ce cadre, la performance constitue la destination subjective de l’ouvrage, ce qui va plus loin encore que la destination objective retenue ci-dessus, son atteinte étant indemnisable au titre de la garantie décennale.

Il s’avère donc en conclusion que « la "grenellisation" du droit de la construction va, de manière incontestable, accroître sensiblement les hypothèses d’impropriété de destination » et au final étendre de façon exponentielle le champ d’application de la responsabilité spécifique des constructeurs.