La justice française traverse depuis plusieurs années une période de tension et de transformation. Confrontée à une surcharge chronique des juridictions, à des délais de traitement souvent trop longs et à une complexité croissante du droit, elle doit aujourd’hui relever un défi de taille. Dans ce contexte, l’intelligence artificielle (IA) apparaît comme une opportunité majeure, mais aussi comme un sujet de vigilance. En février 2025, le ministre de la Justice a confié à un groupe de travail composé d’experts issus de l’administration, du monde universitaire, du secteur technologique et du barreau, la mission de réfléchir à l’intégration de l’IA dans les métiers de la justice. Le rapport remis en juin 2025 propose dix mesures concrètes, articulées autour de trois axes : démocratiser l’accès à l’IA, garantir la souveraineté technologique et accompagner les professionnels dans cette transition. Pour une meilleure compréhension de notre argumentation, nous analyserons les enjeux soulevés par l’intégration de l’IA dans la justice (I), avant de présenter les propositions du rapport visant à encadrer cette transformation (II).

I. LES ENJEUX DE L’INTEGRATION DE L’IA DANS LA JUSTICE

Le rapport décrit l’IA comme un instrument qui améliore significativement le système judiciaire (I). Même si les avantages de l’IA dans le système judiciaire sont considérables toutefois des risques liés à son usage demeurent ce qui nécessite un encadrement (II).

A. Une amélioration du système judiciaire

Le manque de moyens humains et matériels, la complexité des procédures, l’accumulation des dossiers et la lenteur des décisions sont autant de facteurs qui fragilisent la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire. Dans ce contexte, l’IA peut jouer un rôle de catalyseur de modernisation. Mais avec l’intégration de l’IA dans la justice de nombreux problèmes seront amenuisés. En effet, l’IA a la capacité d’automatiser certaines tâches répétitives et chronophages. Son usage vient alléger la charge de travail des magistrats. Elle sera un moyen efficace pour la rédaction des décisions de justice, la recherche de jurisprudence, la synthèse de dossiers volumineux ou encore la retranscription d’audiences peuvent être confiées à des outils intelligents. L’IA peut également profondément transformer la gestion des flux de contentieux, en apportant des solutions concrètes aux défis d’organisation et d’accessibilité de la justice. Le rapport souligne que l’IA, en analysant les données judiciaires, permet d’anticiper les pics d’activité dans les juridictions. Elle peut également répartir les dossiers de manière plus équilibrée entre les magistrats ou les juridictions, en tenant compte de la complexité des affaires ou des spécialisations.

De plus le rapport insiste sur le rôle de l’IA dans l’amélioration de l’accès au droit pour les citoyens. Des outils de vulgarisation juridique, intégrés à des plateformes numériques, peuvent expliquer de manière simple les décisions de justice, orienter les justiciables dans leurs démarches ou encore proposer des réponses personnalisées à leurs questions. Cela permet de rendre le droit plus compréhensible et plus proche des citoyens, en particulier ceux qui n’ont pas facilement accès à un avocat ou à une aide juridique. Le rapport précise que ces usages doivent être encadrés par des principes éthiques stricts : transparence, explicabilité, non-discrimination et supervision humaine. L’IA ne remplace pas le juge, elle l’assiste, dans une logique de complémentarité et de renforcement du service public de la justice.

B. Un renforcement de l’encadrement des risques de l’IA

Si les promesses de l’IA sont nombreuses, les risques qu’elle comporte ne doivent pas être sous-estimés. La transparence est un enjeux important dans le domaine judiciaire. Selon le rapport de nombreux systèmes d’IA, notamment ceux fondés sur l’apprentissage profond, fonctionnent comme des « boîtes noires » : ils produisent des résultats sans que l’on puisse toujours expliquer clairement comment ces résultats ont été obtenus. Or, dans un domaine aussi fondamental que la justice, chaque décision doit pouvoir être justifiée, comprise et contestée si nécessaire. Il est donc nécessaire de garantir une explicabilité des algorithmes utilisés dans le cadre judiciaire. Cela signifie que les outils d’IA doivent être conçus de manière à permettre une traçabilité des raisonnements, une lisibilité des critères utilisés, et une possibilité de contrôle humain. Pour répondre à ce défi, le ministère de la Justice prévoit la création d’un Observatoire de l’IA, chargé de veiller au respect des principes éthiques, dont la transparence fait partie intégrante.

Par ailleurs, les usages de l’IA dans la justice peuvent être considérés comme étant à haut risque au regard du Règlement européen sur l’intelligence artificielle (RIA). Si l’on confie trop de responsabilités à des machines, on risque de déshumaniser la justice, de réduire le juge à un simple validateur de décisions automatisées, et de rompre le lien de confiance entre l’institution et les citoyens. Cela implique des obligations strictes en matière de sécurité, de robustesse, de non-discrimination et de transparence. Toute solution déployée devra donc être auditable, documentée et compréhensible, tant pour les professionnels que pour les justiciables.

II. LA PROPOSITION D’UNE STRATEGIE SOUVERAINE

La stratégie mise en place à pour but de démocratiser l’accès à l’IA (A) et de garantir la souveraineté technologique (B).

A. Une démocratisation de l’accès à l’IA

Le rapport remis au ministre de la Justice propose une stratégie pour intégrer l’IA dans les métiers de la justice. L’un des objectifs de cette stratégie est de démocratiser l’accès à ces technologies, en les rendant accessibles à tous les professionnels, quel que soit leur niveau de compétence technique. Pour cela, il faut le déploiement d’un assistant IA sécurisé, capable d’aider les magistrats, greffiers et agents dans leurs tâches quotidiennes. Cet outil pourrait proposer des fonctions de rédaction assistée, de recherche juridique intelligente, de synthèse de dossiers ou encore de retranscription automatique. Il devra être conçu dans le respect des normes de sécurité et de confidentialité les plus strictes, afin de garantir la protection des données judiciaires.

En parallèle, douze cas d’usage prioritaires ont été identifiés pour un déploiement opérationnel dès 2026. Parmi eux figurent la gestion des audiences, l’analyse prédictive de contentieux, la détection de fraudes, ou encore l’aide à la décision dans les contentieux de masse. Ces expérimentations seront menées en concertation avec les professionnels, et feront l’objet d’évaluations régulières. Pour encadrer ces usages, le rapport recommande la diffusion d’une charte d’usage de l’IA, précisant les principes éthiques à respecter : transparence, loyauté, responsabilité, non-discrimination. Un label « IA digne de confiance » sera attribué aux outils respectant ces critères, afin de garantir leur fiabilité et leur conformité.

B. Une souveraineté technologique garantie

L’un des points forts du rapport est sa volonté affirmée de préserver la souveraineté technologique de la justice française. Dans un contexte où la plupart des technologies d’IA sont développées par des entreprises privées, souvent étrangères, il est essentiel de garantir la maîtrise des infrastructures, des logiciels et des données. Pour cela, le rapport propose la création d’une direction de programme IA au sein du ministère de la Justice. Cette structure sera chargée de piloter la stratégie nationale, de coordonner les projets, de garantir leur cohérence et de veiller au respect des principes éthiques. Un observatoire de l’IA sera également mis en place. Il aura pour mission de suivre les usages, d’évaluer les impacts, de garantir la transparence des algorithmes et de formuler des recommandations. Il jouera un rôle de veille, d’alerte et de conseil, en lien avec les juridictions, les chercheurs et la société civile.

Les données judiciaires seront hébergées sur des infrastructures souveraines, certifiées SecNumCloud, afin de garantir leur sécurité, leur confidentialité et leur intégrité. Le cadre réglementaire sera adapté pour se conformer aux exigences européennes, notamment le règlement sur l’IA (AI Act), qui encadre les systèmes à haut risque. Enfin, le rapport insiste sur la nécessité de former les professionnels de la justice. Un campus du numérique sera créé pour développer les compétences, favoriser l’acculturation aux technologies et accompagner les agents dans l’appropriation des outils. Des formations continues, des ateliers pratiques et des ressources pédagogiques seront proposés à l’ensemble des acteurs du monde judiciaire.

Bibliographie

Rapport sur, « L’IA au service de la justice : stratégie et solutions opérationnelles », Juin 2025.