I. Une stratégie de relance nucléaire au cœur des débats énergétiques
Les ambitions du texte législatif
L'initiative sénatoriale s'articule autour d'une vision claire : repositionner la France comme leader européen du nucléaire civil tout en répondant aux défis climatiques. La proposition législative s'inscrit dans la continuité de la programmation énergie-climat existante, mais avec une accélération notable du calendrier nucléaire.
Le texte prévoit un déploiement échelonné des nouvelles capacités : six réacteurs EPR2 seraient mis en service avant 2026, suivis de huit unités supplémentaires d'ici 2030. Cette planification industrielle vise à garantir l'autonomie énergétique nationale face aux fluctuations géopolitiques et aux contraintes d'approvisionnement.
Un positionnement stratégique dans le contexte international
La stratégie française s'inscrit dans un paysage énergétique mondial en pleine recomposition. Alors que l'Allemagne a fait le choix de l'abandon progressif de l'atome, la Chine développe un programme nucléaire d'envergure avec plus de 150 réacteurs prévus d'ici 2035. Cette divergence d'approches place la France dans une position singulière au sein de l'Union européenne.
Une polarisation politique et sociétale marquée
Les défenseurs du texte, majoritairement représentés au Sénat, mettent en avant le caractère décarboné et pilotable de l'énergie nucléaire. Ils considèrent cette technologie comme un pilier indispensable pour atteindre les objectifs climatiques nationaux tout en préservant la compétitivité économique du pays.
À l'inverse, l'opposition, portée notamment par les écologistes et plusieurs organisations environnementales, formule des réserves substantielles. Yannick Jadot a ainsi souligné les zones d'incertitude du projet : "Quels seront les impacts de cette loi sur le prix de l'électricité ? Sur le montant nécessaire d'investissements publics ? Sur notre trajectoire climatique ? Sur notre souveraineté ? On n'en sait rien. C'est irresponsable."
Ces critiques portent également sur les risques inhérents au nucléaire : gestion des déchets radioactifs, sécurité des installations, et incertitudes économiques à long terme. Les opposants dénoncent par ailleurs un déséquilibre préjudiciable aux filières renouvelables, malgré l'abandon du moratoire initialement prévu sur l'éolien et le photovoltaïque.
II. Enjeux économiques et perspectives d'adoption
Les implications financières et économiques
Les projections économiques, notamment celles de l'Institut Montaigne, évaluent les investissements nécessaires à plusieurs milliards d'euros d'ici 2050. Cette mobilisation financière pourrait générer des retombées significatives en termes de croissance économique et d'emploi dans les régions concernées par les nouveaux chantiers nucléaires.
Cependant, les infrastructures nucléaires se caractérisent par des coûts d'investissement considérables et des délais de retour sur investissement s'étalant sur plusieurs décennies, ce qui soulève des questions sur la viabilité économique du modèle proposé. L'adoption de la loi pourrait également entraîner une répercussion sur les coûts énergétiques supportés par les consommateurs, bien que les effets à long terme demeurent difficiles à quantifier précisément.
État d'avancement et perspectives procédurales
Après son rejet par l'Assemblée nationale le 24 juin dernier (377 voix contre, 142 pour), la proposition a été adoptée par le Sénat en deuxième lecture le 8 juillet 2025, par 221 voix contre 24. Cette adoption marque une nouvelle étape dans un processus législatif complexe et controversé.
Il convient de noter que le moratoire sur les nouvelles installations éoliennes et photovoltaïques, qui avait cristallisé les tensions lors du premier passage à l'Assemblée, a été retiré du texte actuel conformément aux règles de procédure parlementaire.
Les défis du calendrier législatif
Le calendrier législatif s'annonce particulièrement serré. Bien que les sénateurs aient plaidé pour que le gouvernement attende l'adoption définitive de cette loi avant de finaliser sa programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), le ministre a maintenu son engagement de publier le décret de la PPE "avant la fin de l'été", créant ainsi une tension calendaire avec les prochaines étapes parlementaires.
Cette situation soulève des questions de coordination entre l'initiative parlementaire et la politique énergétique gouvernementale, dans un contexte où la cohérence des orientations stratégiques nationales apparaît cruciale pour les acteurs du secteur énergétique et pour l'atteinte des objectifs climatiques européens.