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Projet de directives Omnibus I et Omnibus II : stratégie, repositionnement ou régression ?
Par Marc BASSENE
Posté le: 07/07/2025 18:53
L’actualité internationale portant sur les normes sociales et environnementales en particulier à destination des entreprises illustre de manière significative la volonté de réduire leur impact social et environnemental. C’est tout le sens de la présentation des projets de directives Omnibus I et II. Il s’agit plus précisément de deux textes ayant un véritable impact au green deal communément appelé le Pacte vert européen de 2019, feuille de route environnementale de l’UE avec comme objectif rendre le continent climatiquement neutre à l’horizon 2050.
Pour Ursula Von der Leyen, il s’agit plus concrètement d’une nouvelle stratégie de croissance de l’UE destinée à réduire les émissions de gaz à effet de serre, tout en créant des emplois et améliorer la qualité de vie.
Ces directives Omnibus visent essentiellement le recalibrage des fondements posés par le pacte vert européen particulièrement la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), la CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) et la Taxonomie européenne. Rappelons que la CSRD qui fut adoptée le 12 décembre 2022 se donne comme ambition initiale d’instaurer une obligation progressive pour les entreprises de plus de 250 salariés de déclarer leurs informations extra-financières comparables et vérifiables. Cette obligation est échelonnée selon un calendrier initial entre le 1er janvier 2025 et le 1er janvier 2029. A termes, plus de 50 000 entreprises se verraient être assujetties à ce régime d’information en matière de durabilité. Contrairement à cette directive CSRD qui pose une obligation de dire, la CS3D, adoptée par la directive UE de 2024/1760 du 13 juin 2024, quant à elle pose une obligation de faire.
Le cadre posé, il s’agit plus précisément pour nous de comprendre la portée de ce paquet Omnibus, perçu par certains comme une régression eu égard aux avancées européennes sur les questions de la transparence des entreprises en matière de protection sociale et environnementale.
Partant de toutes ces considérations, nous nous intéresserons sur son report stratégique (I) avant d’en venir aux implications ou incidences de ces textes (II).
I. LE REPORT STRATEGIQUE DE L’APPLICABILITE DES TEXTES FONDAMENTAUX DU PACTE VERT
Elaboré dans l’urgence, le projet de directive Omnibus présenté le 25 février 2025 met en lumière la volonté manifeste d’affaiblir la portée sur l’édification d’un droit durable des entreprises dans sa vision première. Ainsi, une volonté de suspendre va s’opérer avec de véritables transformations reposant sur l’allégement et la simplification des normes majeurs (la CSRD, CS3D et le règlement taxonomie verte). Ce qui est recherché, c’est de renforcer la capacité d’investissement et réduire les coûts.
A.PAR RAPPORT A L’APPLICABILITE DES TEXTES : LA DIMENSION SUSPENSIVE
Approuvé le 28 mars 2025 par le Conseil de l’Union européenne, suivi d’une adoption par le Coreper II de cette même entité le 14 avril 2025, le projet de directives Omnibus I comporte des effets significatifs sur les normes fondamentales du Pacte vert. De ces effets notables, nous avons le report des échéances initialement prévues tant pour la CS3D que pour la CSRD.
Pour la directive CSRD : les entreprises dites de vague 2, employant plus de plus de 250 salariés, avec un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros et un bilan de 25 millions d’euros devront publier leurs rapports de durabilité en 2028 pour l’exercice de 2027 ; les entreprises de vague III et IV devront quant à elles publier leurs rapports de durabilité en 2029 sur l’exercice de 2028. Ces nouvelles échéances sont d’applicabilité directe au regard de la jurisprudence Simmenthal II de la CJUE du 9 mars 1978.
En ce qui concerne la directive CS3D, le vote d’Omnibus I entraîne le report d’un an du délai de transposition du 26 juillet 2026 au 26 juillet 2027 pour une entrée en vigueur en 2028. Ce report concerne aussi bien les entreprises de plus de 5000 salariés réalisant un chiffre d’affaires de plus de 1,5 milliard, les entreprises non européennes dépassant ces seuils, que les entreprises avec plus de 3000 salariés pour un chiffre d’affaires de plus de 900 millions d’euros, et les entreprises non européennes au-delà de ces seuils.
B. LES MODIFICATIONS DANS LA MISE EN ŒUVRE DES OBLIGATIONS ESG : LE PROJET OMNIBUS II
Le projet de directive Omnibus II, issu de la proposition du règlement du Parlement européen et du Conseil, a quant à lui apporté des modifications structurelles avec les obligations ESG. Parmi les évolutions attendues de ce projet Omnibus II, en particulier concernant la CSRD, figure l’intégration d’entreprises de taille intermédiaire (entre 250 à 1000 salariés. Celles-ci se verraient par ailleurs soumises à une exigence de reporting allégé. En outre, ce projet maintient l’obligation de faire auditer les rapports de durabilité par un organisme tiers indépendant, révise les normes d’information applicables et prévoit un rehaussement des seuils pour les entreprises de 250 à 1 000 salariés (celles dont le chiffre d’affaires excède 50 millions d’euros ou présentant un bilan annuel supérieur à 25 millions). Il introduit également la possibilité, pour les entreprises de moins de 1 000 salariés, de recourir à un régime de reporting volontaire (VSME – Voluntary Standards for SMEs).
S’agissant de la CS3D, le projet Omnibus constituera une atteinte certaine à la substance du Pacte vert. En effet, le champ d’application est réduit dans la mesure où la diligence raisonnable qui sied en matière de droits de l’homme et de protection de l’environnement ne s’appliquerait plus aux fournisseurs directs des entreprises concernées. Les entreprises de moins de 500 salariés seraient totalement exemptées des obligations de diligence raisonnable de même concernant la chaine de valeur. A cela s’ajoute le passage d’un audit annuel à un audit quinquennal, la suppression de l’obligation d’adopter un plan de transition aligné sur les objectifs européens de neutralité climatique, de même que la suppression de l’obligation pour les entreprises de mettre un terme à leurs relations commerciales avec des partenaires impliqués dans la violation des droit de l’homme. En outre, au niveau juridique, la responsabilité civile au niveau sera supprimée. Cela poserait un réel problème pour les victimes qui se verraient dans l’impossibilité d’engager la responsabilité des entreprises en cas de violations des droits de l’homme. Enfin, les institutions financières seraient exclues du champ de la directive, et les Etats membres ne seraient plus tenus d’adopter des règles contraignantes en matière de droits humains et d’environnement. Une véritable régression serait donc actée.
En ce qui est relatif à la taxonomie verte, des modifications importantes seraient aussi attendues. De ces modifications, nous avons le seuil d’applicabilité de celle-ci qui serait relevé à 1000 salariés, l’introduction d’un seuil de matérialité financière, la simplification à 70% des exigences de reporting de la taxonomie, la possibilité de revoir le principe du No significant Harm (DNSH) pour ce qui est des pollutions chimiques sur consultation des parties prenantes et enfin la possibilité pour les banques d’être autorisées à exclure de leur indicateur européenne de performance, le Green Asset Ratio, les actifs correspondant à des entreprises exemptées de la CSRD. Ces mesures semblent dessiner un avenir sombre dans la conciliation entre réalisme économique et protection de l’environnement et droits humains.
I. LES IMPLICATIONS APPORTEES PAR LES PROJETS DE DIRECTIVE
L’ensemble de ces modifications avec leurs lots de conséquences pourrait se mesurer d’une part au niveau des entreprises (A) et d’autre part au niveau de la protection environnementale voire des droits humains (B).
A. UNE RESPIRATION REGLEMENTAIRE POUR LES ENTREPRISES
Elles pourraient être une aubaine pour les entreprises européennes compte tenu de la compétitivité au niveau international, mais également pour mieux permettre aux entités fortement exposées aux coûts de conformité en matière de durabilité de les surmonter. Les textes fondamentaux du Pacte vert imposent une charge de travail significative aux entreprises, ce qui ne l’est pas pour les entreprises hors UE.
En effet, cette charge peut se mesurer par le nombre important de données à reporter, de même que la rédaction de documents ou rapports. Ce qui induit des coûts de mise en conformité élevés pour les entreprises européennes affectant la compétitivité des entreprises européennes. Cette charge sera plus portée par les grandes entreprises.
B. L’EXISTENCE DE POTENTIELLES MENACES AVEREES AUX DROITS HUMAINS, ENVIRONNEMENTAUX
L’ensemble de ces modifications ne sont pas sans conséquences en dépit qu’elles demeurent une aubaine pour les entreprises, particulièrement les PME. Elles constituent un retour en arrière ou une régression dans le sens qu’elles constituent une remise en cause des avancées opérées en matière de conduite responsable des entreprises. Cette dérégulation favorise une course vers le moins-disant du point de vue social et environnemental. En effet, ces modifications rendront difficiles la possibilité pour les victimes d’engager la responsabilité des entreprises impliquées dans la violation des droits humains et environnementaux. C’est un coup dur pour la traçabilité dans la chaîne de valeurs. De plus, le champ d’application des textes fondamentaux a été fortement réduit puisque 80% des entreprises initialement concernées par la CSRD ne le seront plus.
C’est au vu de toutes ces régressions que la CNCDH (la Commission nationale consultative des droits de l’homme) s’est inquiétée du rôle joué par la France au travers de la note des autorités françaises sur la question. Elle estime que les projets de directives en question sont susceptibles de remettre en cause les textes fondamentaux du Pacte vert, voire vidé de leurs substances.
En revanche, elle précise l’importance de ces instruments en ce qu’ils permettent de lutter efficacement contre les violations persistantes des droits humains dans les chaînes de valeurs, de relever les défis liés à la crise planétaire mettant l’avenir en danger et d’être un outil indispensable à la compétitivité et la résilience à long terme des entreprises européennes.
Sources : P. JIMENEZ, P. SAVIN, "Omnibus... ou l'art pour l'Europe de prendre du recul alors qu'elle était en retard", Actu environnement, Droit de l'environnement n°340 juin-Août 2025, p.118 à 121.
J. GUENAND, " Omnibus simplification package : quels impacts pour les investisseurs ?", Finascope, juin 2025.
https://www.cncdh.fr/actualite/legislation-europeenne-omnibus-la-cncdh-sinquiete-du-role-joue-par-la-france, consulté le 01/07/2025.