L’encadrement juridique des activités spatiales s’impose aujourd’hui comme une nécessité urgente, à mesure que le secteur du NewSpace connaît une croissance rapide et soutenue. Le développement de mégaconstellations de satellites, mené par des entreprises comme SpaceX, Eutelsat, Amazon ou ArianeGroup, transforme l’espace en une zone d’exploitation économique structurée, échappant encore en grande partie aux contraintes juridiques environnementales classiques. Longtemps perçu comme un domaine prospectif réservé aux relations interétatiques, le droit de l’espace devient désormais un droit concret, qui doit intégrer des considérations techniques, économiques, mais aussi écologiques. L’annonce, en juin 2025, d’un projet de règlement européen baptisé « EU Space Act » marque une étape importante de cette évolution. En posant les bases d’une gouvernance réglementaire commune aux États membres, ce texte entend prévenir les risques liés à la prolifération des objets en orbite et responsabiliser les opérateurs en matière de durabilité. Toutefois, dans quelle mesure cet encadrement juridique émergent permet-il réellement de répondre aux défis environnementaux posés par l’essor des mégaconstellations satellitaires ?

I. Une pression environnementale nouvelle et encore peu régulée
A. La prolifération des satellites et la menace des débris orbitaux
L’environnement spatial fait aujourd’hui face à une pression croissante. La multiplication des satellites, en particulier en orbite basse, augmente les risques de collisions et de génération de débris, dont la gestion reste incertaine. Ces débris, lorsqu’ils échappent à tout contrôle, constituent une menace directe pour la stabilité des orbites et la sécurité des missions futures. La responsabilité des opérateurs en cas d’accident est encore mal définie, notamment en l’absence de normes contraignantes uniformes à l’échelle internationale. Malgré les efforts de certaines agences comme l’ESA, qui promeut une politique dite « Zero Debris », et les directives non contraignantes de l’ONU via l’OOSA, le droit international spatial reste dominé par des textes anciens, comme le Traité de l’espace de 1967 ou la Convention sur la responsabilité de 1972, qui ne prennent pas en compte la complexité des enjeux contemporains.

B. Des externalités terrestres encore largement ignorées
Les répercussions environnementales ne se limitent pas à l’espace exo-atmosphérique. Les rentrées orbitales de satellites désintégrés libèrent des particules métalliques, en particulier des oxydes d’aluminium, dont l’effet potentiel sur la couche d’ozone commence à être scientifiquement documenté. L’artificialisation des orbites, l’intensification des lancements, et l’absence de cycle de vie maîtrisé pour certains objets accentuent un déséquilibre écologique dont les conséquences pourraient être irréversibles. Ces pollutions atmosphériques sont aujourd’hui absentes des autorisations environnementales, révélant un angle mort réglementaire majeur dans la régulation du secteur spatial.

II. L’EU Space Act : une avancée prometteuse mais encore incomplète
A. Un encadrement européen ambitieux en matière de responsabilité et de transparence
Face à ces défis, le projet de règlement « EU Space Act » présenté par la Commission européenne en juin 2025 constitue une réponse normative structurée. Il introduit des obligations de traçabilité, de désorbitation planifiée, d’évaluation environnementale préalable et de cybersécurité pour les opérateurs privés et publics. Inspiré des mécanismes de sanction du RGPD, il prévoit également un régime de responsabilité financière adapté, pouvant aller jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires mondial ou au double du gain illicite. En posant ces règles, le texte entend instaurer un standard européen de durabilité spatiale, applicable aussi aux acteurs non européens opérant sur le territoire de l’Union. Il ambitionne d’aligner les objectifs du Green Deal avec les spécificités du secteur spatial.

B. Les limites juridiques et opérationnelles d’une régulation encore en construction
Toutefois, sa portée reste pour l’instant théorique. L’entrée en vigueur du règlement n’est prévue qu’à l’horizon 2030, ce qui laisse un vide normatif d’ici là. Plusieurs aspects essentiels – notamment la pollution atmosphérique et la gestion des débris anciens – demeurent en marge du texte. Par ailleurs, l’absence d’un consensus international et l’inégale capacité des États à surveiller et faire respecter ces obligations risquent de limiter son efficacité. Le droit international spatial, encore fondé sur des bases conventionnelles datées, peine à encadrer une économie spatiale moderne, rapide, mondialisée et fortement privatisée. Pour être pleinement efficace, le Space Act devra s’accompagner de mécanismes de coordination internationale, d’outils de contrôle effectifs et d’une volonté politique affirmée de faire de l’espace un bien commun protégé.

Conclusion
Le droit spatial, longtemps cantonné à une logique interétatique et exploratoire, entre aujourd’hui dans une phase de transformation écologique. Le projet d’EU Space Act constitue une avancée significative dans l’encadrement juridique des activités spatiales commerciales. En introduisant des obligations de transparence, de désorbitation, et de responsabilité financière, il initie une régulation fondée sur la durabilité et la prévention des risques environnementaux. Néanmoins, pour répondre pleinement aux enjeux posés par les mégaconstellations, ce cadre devra être complété par une harmonisation internationale, un renforcement des dispositifs techniques de surveillance, et une prise en compte explicite des impacts atmosphériques. Seule une approche juridique globale, intégrant le droit de l’environnement et les spécificités techniques du secteur spatial, pourra garantir la préservation des équilibres orbitaux dans la durée.


Source :
Commission européenne, Projet de règlement EU Space Act, Bruxelles, 25 juin 2025.

Office des Nations Unies pour l’espace extra-atmosphérique (UNOOSA), Directives sur la durabilité à long terme des activités spatiales, Vienne, 2019.

Agence spatiale européenne (ESA), Zero Debris Initiative – Policy and Implementation Guidelines, mai 2023.

ArXiv, Impact of satellite reentries on the stratosphere and ozone layer, décembre 2024.

Traité de l’espace, 27 janvier 1967 (Nations Unies, résolution 2222 [XXI]).

Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux, 29 mars 1972.