Dans le contexte contemporain où la protection des données personnelles s’impose comme un enjeu fondamental, la notion de base légale s’érige en véritable pierre angulaire de la conformité au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Avant d’initier tout traitement de données à caractère personnel, il est impératif pour chaque organisme de s’interroger sur le fondement juridique qui autorise une telle opération, faute de quoi le traitement serait considéré comme illicite. La base légale d’un traitement désigne ainsi la justification juridique qui confère à un organisme le droit de collecter ou d’utiliser des données personnelles, dans le strict respect des règles du RGPD. Cette notion est expressément prévue à l’article 6 du RGPD et conditionne la licéité de tout traitement. Parmi ces fondements, l’intérêt légitime occupe une place singulière. Il permet à un organisme de justifier un traitement de données personnelles lorsqu’il poursuit des intérêts légitimes. Au vu de tout ce qui précède, il se pose un problème : quels sont les conditions à remplir et les principaux défis liés à l’utilisation de l’intérêt légitime comme base légale ? Pour répondre à ce problème nous envisagerons les conditions à remplir (I) avant de s’attarder sur les défis liés à l’application de l’intérêt légitime (II).

I- LES CONDITIONS D’APPLICATION DE L’INTÉRÊT LÉGITME

Trois conditions essentielles sont sine qua non à l’application de l’intérêt légitime notamment le caractère légitime et nécessaire de l’intérêt (A) et le respect des droits et intérêts des individus (B).

A- UN INTÉRÊT LÉGITIME ET NÉCESSAIRE

Conformément à l’article 6 du RGPD « Le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers … ». En d’autres termes, l’intérêt légitime c’est la recherche d’avantage pour le responsable de traitement. Cet article énumère les conditions pour appliquer cette base légale. Les deux premières à savoir la légitimité et la nécessité du traitement seront examinées dans cette séquence. Le caractère « légitime » s’apprécie au regard de certains critères qu’elle doit revêtir. Tout d’abord, l’intérêt doit être licite c’est-à-dire que l’intérêt invoqué doit être conforme à l’ensemble des règles juridiques applicables. Il ne peut s’agir d’un objectif contraire à la loi, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Comme autres caractères les raisons du traitement doivent être claires et précises. Mieux l’intérêt poursuivi doit être défini de façon explicite, sans ambiguïté, et suffisamment détaillé pour permettre d’en apprécier la portée et la pertinence. Un intérêt vague, hypothétique ou trop général ne saurait être retenu. Enfin, obligation est faite au responsable pour justifier que l’intérêt qu’il avance est bien réel et actuel. L’intérêt ne doit pas être fictif ou purement théorique. Il doit répondre à un besoin concret et effectif de l’organisme, existant au moment du traitement des données.

Bien que l’intérêt poursuivi soit légitime, il n’en demeure pas moins qu’il doit être également nécessaire. Cela implique que le traitement des données envisagé soit indispensable à la réalisation de cet intérêt, et qu’aucune autre solution moins intrusive ne permette d’atteindre le même objectif. Cette analyse doit être documentée et justifiée, notamment dans le registre des traitements, afin de garantir la transparence et la conformité aux exigences du RGPD.

B- UN INTÉRÊT GARANTISSANT LES DROITS ET INTÉRÊTS DES INDIVIDUS

La dernière condition énumérée à l’article 6 indique que le traitement ne doit pas porter atteinte aux droits et intérêts des personnes dont les données sont traitées. Avant de mettre en œuvre un traitement fondé sur l’intérêt légitime, l’organisme doit s’assurer que ce traitement est effectivement nécessaire et proportionné à l’objectif poursuivi. En effet, Le responsable doit adopter une attitude avant-gardiste pour évaluer en amont les risques éventuels de tels intérêts en rapports avec les droits fondamentaux et libertés des personnes concernées par le traitement. Il lui incombe de vérifier que le traitement envisagé permet réellement d’atteindre la finalité déterminée, sans servir d’autres objectifs sous-jacents.

Cette analyse implique également d’identifier, parmi les moyens envisageables, celui qui porte le moins atteinte à la vie privée, si une solution alternative, moins intrusive ou plus respectueuse des droits des personnes. La démarche exige une mise en balance rigoureuse entre les intérêts poursuivis par l’organisme et les droits et libertés fondamentaux des personnes concernées. En cela l’organisme doit veiller à ce que ses intérêts ne créent pas un déséquilibre au détriment des personnes dont les données sont traitées. Pour atteindre cet équilibre, il peut être nécessaire de prévoir des mesures compensatoires ou additionnelles visant à limiter les impacts potentiels du traitement sur la vie privée, renforçant ainsi la protection des droits des personnes concernées.


II- LES DÉFIS LIÉS A L’APPLICATION DE L’INTÉRÊT LÉGITME

La mise en œuvre de l’intérêt légitime fait face à de nombreux défis particulièrement à ceux liés à la transparence du traitement des données (A) et aux droits des personnes (B).

A- DÉFIS LIÉS A LA TRANSPARENCE DU TRAITEMENT DES DONNÉES PERSONNELLES

La perte de confidentialité des données constitue l’un des risques majeurs liés au traitement fondé sur l’intérêt légitime. Une violation de la confidentialité se traduit par un accès ou une divulgation non autorisée, intentionnelle ou accidentelle, des données personnelles, ce qui peut entraîner des conséquences graves pour les personnes concernées, telles que l’usurpation d’identité, des pertes financières, ou des atteintes à la vie privée et à la réputation. Le recours à l’intérêt légitime comme base légale présente plusieurs limites importantes, notamment en matière de transparence. C’est pourquoi il est plus que nécessaire d’informer les personnes concernées de la finalité du traitement et de la base légale utilisée. Car un déficit de transparence sur les objectifs poursuivis ou les modalités du traitement peut entraîner une perte de confiance et constituer une violation du RGPD, qui impose une information claire, loyale et accessible.

En 2024, Meta annonçait son projet d’utiliser les publications et photos publiques de ses utilisateurs européens de Facebook et Instagram pour l’entrainement de ses systèmes d’intelligence artificielle. Mais le projet a été suspendu après les échanges avec l’autorité Irlandaise de protection de données, concernant la base juridique et la transparence d’un tel traitement de données de données. A partir de cet exemple, on peut comprendre que la transparence demeure un élément clé du traitement des données personnelles. Son respect est extrêmement important pour éviter les incompréhensions.

B- LES DÉFIS LIÉS AUX DROITS DES PERSONNES

Le recours à l’intérêt légitime comme base légale pour le traitement des données personnelles présente plusieurs limites importantes, notamment en ce qui concerne la garantie de l’exercice effectif des droits des personnes concernées et la prévention des biais discriminatoires. L’un des principaux défis liés à l’utilisation de l’intérêt légitime réside dans la capacité de l’organisme à assurer pleinement l’exercice des droits prévus par le RGPD. La pondération entre l’intérêt de l’organisme et les droits des personnes peut complexifier la réponse aux demandes d’exercice de droits, notamment lorsque l’organisme estime que son intérêt prime sur la demande individuelle. Cette mise en balance, parfois subjective, peut aboutir à une limitation de l’effectivité des droits, surtout si la finalité du traitement ou ses modalités ne sont pas suffisamment transparentes ou compréhensibles pour la personne concernée.

De même l’intérêt légitime, s’il n’est pas strictement encadré, peut également ouvrir la porte à des traitements générant des biais discriminatoires. Par exemple, des algorithmes ou des processus décisionnels automatisés fondés sur cette base légale peuvent, sans mesures de contrôle adéquates, aboutir à des discriminations indirectes selon l’âge, le sexe, l’origine, ou d’autres critères sensibles. Le RGPD impose que les intérêts poursuivis ne créent pas de déséquilibre au détriment des droits et libertés fondamentaux, mais en pratique, l’identification et la correction de ces biais nécessitent une vigilance et une méthodologie rigoureuses lors de la conception et de la mise en œuvre du traitement.

BIBLIOGRAPHIE

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