
Déclaration d'utilité publique - Si le propriétaire s’oppose à ces travaux, l’autorité administrative peut-elle imposer le passage ?
Par Juliette Collard
Posté le: 14/05/2025 9:47
La propriété privée entraine une jouissance totale du bien et le propriétaire ne peut être contraint « de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique » (article 545 du Code civil). Ainsi, si le propriétaire refuse l’exécution de travaux sur son terrain par voie conventionnelle, le projet doit être déclaré d’utilité publique afin que l’expropriation soit possible.
La Déclaration d’Utilité Publique (ci-après la « DUP ») serait donc une solution pour imposer les travaux d’acquisition sismique et de forages. Toutefois, elle comporte certains enjeux et points bloquants, la faisant un outil juridique potentiellement inadapté.
La DUP est un acte attestant que le projet d'expropriation présente bien une utilité publique et précise le délai durant lequel l'expropriation doit avoir lieu.
Sur l’autorité compétente,
La compétence en matière d’expropriation est strictement encadrée par les textes. Selon l’article R. 121-1 du Code de l’expropriation, la déclaration d’utilité publique, préalable à toute procédure d’expropriation, relève de l’autorité préfectorale. Ainsi, lorsque les immeubles concernés se situent dans un seul département, la déclaration est faite par arrêté du préfet territorialement compétent ; en revanche, si l’opération concerne plusieurs départements, elle doit être prise par un arrêté conjoint des préfets concernés. Par ailleurs, les collectivités territoriales, et en particulier les communes, ne peuvent exercer cette compétence que dans les limites fixées par le Code général des collectivités territoriales. Elles ne peuvent recourir à l’expropriation que si l’opération répond à un intérêt communal, comme l’a énoncé le Conseil d’État dans sa décision du 4 juin 1954, Commune de Thérouanne.
Sur l’enquête publique préalable à la DUP,
La personne publique qui prend l'initiative de demander la mise en œuvre d'une procédure d'expropriation doit en informer très largement le public en menant une enquête publique. Aussi, l’article L. 110-1 du Code de l’expropriation précise que « L'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique est régie par le présent titre.
Toutefois, lorsque la déclaration d'utilité publique porte sur une opération susceptible d'affecter l'environnement relevant de l'article L. 123-2 du code de l'environnement, l'enquête qui lui est préalable est régie par les dispositions du chapitre III du titre II du livre Ier de ce code. »
Deux catégories d'enquêtes publiques préalables sont identifiées :
• Les enquêtes publiques préalables à une déclaration d'utilité publique relevant du code de l'environnement
• Les enquêtes publiques préalables à une déclaration d'utilité publique relevant du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Aussi, une enquête publique relevant du code de l'environnement est nécessaire pour les travaux devant comporter une évaluation environnementale. Cette évaluation est nécessaire pour les projets inscrits à l’annexe de l’article R. 122-2 du code de l'environnement. Les essais sismiques ne sont pas concernés par cette annexe, contrairement aux « Forages de puits pour les stockages souterrains de gaz naturel, d'hydrocarbures liquides, liquéfiés ou gazeux, d'hydrogène, de produits chimiques à destination industrielle » qui sont soumis à évaluation environnementale au cas par cas.
Donc, en fonction du type de travaux, une enquête publique au sens du code de l'environnement sera nécessaire. Si le projet n’est pas concerné par celle-ci, la DUP devra être cependant précédée d’une enquête préalable.
L’enquête préalable à la DUP est ouverte et organisée par le préfet (art. R. 112-1 C. exp.). Aussi, l’enquête doit être ouverte soit à la préfecture du département, soit à la mairie de la commune. Le préfet détermine également l’objet de l’enquête ainsi que sa durée, qui ne peut être inférieure à quinze jours (art. R. 112-12 C. exp.).
Lorsqu'elle est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages, l’article R. 112-4 du Code de l’expropriation prévoit que le dossier comprend :
• Une notice explicative qui indique l'objet de l'opération et les raisons pour lesquelles, parmi les partis envisagés, le projet soumis à l'enquête a été retenu, notamment du point de vue de son insertion dans l'environnement ;
• Le plan de situation ;
• Le plan général des travaux ;
• Les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ;
• L’appréciation sommaire des dépenses.
A la clôture de l’enquête, le dossier est remis au commissaire enquêteur qui dispose d’un délai d’un mois pour remettre ses conclusions motivées en précisant si elles sont favorables ou non à l’opération.
Puis, avant la déclaration d’utilité publique des travaux, une enquête parcellaire doit être faite afin d’identifier les parcelles et les propriétaires des terrains concernés.
Sur l’acte de déclaration d’utilité publique,
Dans les cas où les atteintes à l'environnement ou au patrimoine culturel que risque de provoquer un projet de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements le justifient, la déclaration d'utilité publique comporte, le cas échéant, les mesures destinées à éviter, réduire et, lorsque c'est possible, compenser les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine ainsi que les modalités de leur suivi prévues au I de l'article L. 122-1-1 du code de l'environnement (C. expr., art. L. 122-2).
Hormis les hypothèses légales de DUP c’est la jurisprudence qui a défini la notion d’utilité publique.
Tout d’abord, l’expropriation doit être nécessaire dans le sens où aucune solution alternative permettrait de réaliser l’opération projetée dans des conditions équivalentes (CE, 20 nov. 1974, Epoux Thony et Epoux Hartmann-Six).
La DUP doit être analysée par le biais de la théorie du bilan : l'utilité publique d'une opération ne peut être déclarée que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients d'ordre social, la mise en cause de la protection et de la valorisation de l'environnement et les atteintes éventuelles à d'autres intérêts publics qu'elle entraîne ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.
L’utilité publique étant appréciée au cas par cas, il n’est pas possible de savoir si les travaux de forage remplissent les critères de la DUP.
La DUP est donc une procédure qui permettrait effectivement de réaliser des travaux sur un terrain privé sans l'accord du propriétaire. Cependant, cette démarche inclut une enquête publique ou une enquête préalable obligatoire, et les critères pour être déclarés d'utilité publique sont examinés de manière très stricte. Ainsi, bien que la DUP soit un outil puissant, son application est encadrée par des procédures rigoureuses qui peuvent limiter son utilisation pour des projets comme les essais sismiques ou les forages.
Par ailleurs, le Code minier prévoit des servitudes légales permettant d’effectuer des travaux à l’intérieur du périmètre minier. Cette servitude est prévue à l’article L. 153-1 et s’applique également aux stockages souterrains puisqu’un renvoi est fait à l’article L. 253-1 du Code minier. Toutefois, un titre minier est nécessaire donc le recours à ces servitudes légales pour les essais sismiques et forages n’est pas envisageable.
Conclusion :
En conclusion, la solution la plus pragmatique et pertinente reste la voie de la négociation amiable avec les propriétaires concernés. Cette approche, plus souple, moins coûteuse en temps et en ressources, permet souvent d’aboutir à un accord sans avoir à recourir à une procédure d’expropriation aux résultats incertains.
En cas d’échec des négociations amiable avec les particuliers concernés, la DUP constitue juridiquement le seul outil permettant à un exploitant de réaliser des travaux sur une propriété privée sans l’accord de son propriétaire.
Touefois, la DUP est une procédure complexe, encadrée et relativement lourde en raison de la rigueur des exigences procédurales, la nécessité de justifier d’une utilité publique selon la théorie du bilan, ainsi que l’aléa inhérent à l’enquête publique.