
Lente progression du système indemnitaire pour les victimes de l'amiante
Par Louis RUYANT
Stagiaire securite/environnement
Allevard Rejna Autosuspension (Groupe Sogefi)
Posté le: 16/07/2012 15:52
Même si cette substance particulièrement nocive pour la santé humaine est interdite en France depuis 1997, l’amiante est un risque professionnel encore trop présent, tout au moins pour les professions concernées (BTP de démolition ou de réhabilitation, entreprises de retrait d’amiante, travaux d’entretien et de maintenance, traitement des déchets…). Elle est la deuxième cause des maladies professionnelles et la première des décès liés au travail ; chaque année, plus de 5 000 maladies professionnelles environ trouvent leur source dans l’exposition aux fibres d’amiante.
A côté de la prévention de ce risque cancérogène se posent les questions de responsabilité et de réparation.
Le principe résulte pour l’essentiel de la célèbre série d’arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 28 février 2002, mettant en cause amiante et maladies professionnelles : « tout employeur est tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par eux ».
A l’employeur, donc, de réparer les lourdes conséquences de l’amiante sur la santé, qui interviennent d’ailleurs plusieurs années après le début de l’exposition.
Celui-ci supporte, à l’égard de ses salariés, une responsabilité civile et une responsabilité pénale.
En matière civile, les fondements sont ou contractuels, avec l’obligation de sécurité de résultat issue du contrat de travail (article 1147 du Code civil), ou délictuel, en invoquant l’article 1384 al.1er qui met en cause la responsabilité du gardien de produits dangereux, ou alors, de manière plus générale, l’article 1383 pour la faute d’imprudence ou de négligence de l’employeur anormalement inattentionné.
En matière de responsabilité pénale, plusieurs fondements sont susceptibles d’être invoqués :
- Le délit de mise en danger délibérée de la personne d’autrui de l’article 121-3 du Code pénal. Un employeur pourra, dans ce cas, difficilement s’en dégager en prétendant sa méconnaissance des dangers liés à l’exposition d’amiante… Le délit est également retenu en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales (article 121-3 al.2).
- L’article 223-1 du même Code, qui réprime le fait d’exposer directement autrui à un danger de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité (…).
- L’homicide involontaire de l’article 221-6 Code pénal ou les blessures involontaires, aux articles 222-19 et suivants.
A l’employeur coupable (personne physique ou personne morale) de réparer le préjudice subit. Le système français indemnise les victimes de l’amiante par le biais d’un établissement public : Le FIVA, fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, crée par la loi du 23 décembre 2000 n° 2000-1257.
Par son importance au regard des victimes, l’indemnisation de l’amiante n’est pas sans poser de problèmes et a fait l’objet de récents débats.
Les victimes pouvant bénéficier de la réparation intégrale de leur préjudice sont ceux qui ont obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par une exposition à l’amiante et ceux qui ont subit un préjudice résultant directement d’une exposition à l’amiante sur le territoire français. Leurs ayants-droits peuvent également se la voir octroyer.
Quels sont les principes de l’indemnisation par le FIVA ?
Dès lors qu’est établie une maladie professionnelle découlant d’une exposition à l’amiante, une demande peut être faite au FIVA par la victime ou ses ayants-droits.
A ce titre, la jurisprudence a rappelé que la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par l’amiante, au titre de la législation française de la Sécurité sociale ou d’un régime assimilé, s’imposait bien au FIVA (Cass., 2ème civ., 8 janvier 2009, n° 08-12.376). Cette décision s’impose au Fonds avec tous ses effets, qu’elle soit explicite ou qu’elle résulte d’une erreur administrative, en l’espèce le non respect des délais de réponse imposé aux Caisses. Celle-ci avait en effet reconnu le caractère professionnel de la maladie « à raison d’une erreur purement administrative commise lors de l’instruction du dossier ». Malgré cela, le FIVA ne pouvait pas refuser l’indemnisation de la victime, ont décidé les juges de la Cour de cassation.
Une proposition d’indemnisation par le fonds est ensuite adressée dans un délai de 6 mois.
L’acceptation de l’offre annule toute action juridictionnelle en cours et empêche toute autre action.
Les décisions du FIVA, rejet, absence de réponses ou concernant tout simplement le montant d’indemnisation proposé, peuvent être contestées par les victimes devant la CA du lieu du domicile du demandeur (la victime, donc).
En cas d’aggravation de santé de la victime, une indemnisation complémentaire est possible pour cette dernière, malgré qu’elle ait été déjà indemnisée ; Mais sous certaines conditions : Dans une récente décision du 29 mars 2012 (Cass, 2ème civ., n° 11-10.235), la Cour de cassation a admis la possibilité pour une victime de demander une nouvelle indemnisation en justice en cas d’aggravation de l’état de santé, à partir du moment où celle-ci cause un préjudice distinct du préjudice initial déjà jugé et réparé : « l’autorité de la chose jugée (…) ne s’oppose pas à la présentation ultérieure d’une nouvelle demande d’indemnisation fondée sur l’aggravation de l’état de santé de la victime, dès lors que cette demande tend à la réparation de préjudices complémentaires ou nouveau-nés de cette aggravation, quelle qu’en soit la date ».
Et l’indemnisation complémentaire serait alors due à compter de la constatation médicale de l’aggravation, ont décidé les juges de la 2ème chambre civile.
La jurisprudence, avant cela, acceptait déjà le fait de réclamer un supplément d’indemnisation lors d’une aggravation de l’état de santé de la victime, à condition de ne pas entrer « dans le champs d’une évolution prévisible du même préjudice », qui a alors déjà été indemnisé par le FIVA (Cass., 2ème civ., 10 décembre 2009, n° 08-15.914).
Le Fonds peut exercer un recours subrogatoire contre les employeurs responsables. En pratique les procès restent rares, les entreprises ne payent donc pas, ce qui signifie moins d’argent pour le FIVA.
C’est ce qui le pousse aussi à agir parfois contre les victimes.
Il y a quelques mois celui-ci a en effet réclamé le remboursement de sommes, parfois élevées, qui ont pourtant déjà été octroyées aux victimes concernées par la CA de Douai, devant laquelle a été enregistrée la demande du Fonds.
Ce contentieux qui oppose cette fois le Fonds aux victimes remonte à 2005, depuis que la CA de Douai a commencé à doubler systématiquement les indemnités versées aux victimes, et ce jusqu’en 2009.
Problème : Les victimes de l’amiante bénéficient de deux indemnisations : une rente maladie professionnelle octroyée par la Caisse Primaire d’Assurance maladie au titre du préjudice économique ainsi que l’indemnisation par le FIVA au titre du préjudice personnel, dont le montant est évalué et proposé aux victimes par celui-ci.
Si ce dernier estimait que les indemnités de l’Assurance maladie au titre du préjudice économique devaient se déduire des siennes au titre du préjudice d’incapacité, tel n’était pas l’avis de la CA de Douai, le motif étant que ces indemnisations réparait deux préjudices distincts : l’un économique et l’autre personnel.
En outre, un barème plus proportionnel et plus linéaire dans le calcul des indemnités par le FIVA était réclamé par les victimes, les faibles taux d’incapacité étant bien moins remboursés que les taux d’incapacité plus élevés, pourtant bien moins nombreux que les premiers. Une incapacité total (100%) donnait par exemple droit à 16.000 euros par an tandis qu’était attribué la somme de 400 euros par an pour une incapacité de 5%.
Les victimes pouvant contester les décisions du Fonds, la CA de Douai, saisie de ces contestations, a décidé de réévaluer le barème à 800 euros pour un taux d’incapacité de 5%.
La Cour de cassation, en novembre 2009, suite au pourvoi du Fonds d’indemnisation contre les arrêts de la CA, a cependant donné raison au Fonds en décidant que la déduction devait se faire.
Les victimes ayant perçues avant 2009, devant la CA de Douai, un montant d’indemnisation double, étaient donc amenées à rembourser le Fonds, ce dont la plupart des victimes étaient dans l’incapacité financière de faire.
Environ 600 victimes étaient appelées à rembourser le Fonds, 57 ont déjà été condamnées, ce qui a été vivement contesté par l’Association Nationale de Défense de Victimes de l’Amiante (Andeva).
Elle s’est alors appuyée sur une motion réclamant l’arrêt des poursuites, signées fin février 2012 par plus de 400 députés et sénateurs, dont les actuels président de la République, premier ministre et ministre de la Santé, pour réclamer une réaction politique.
Les victimes n’auront finalement rien à rembourser, a décidé Mme Touraine, ministre de la Santé, le 08 juin dernier. Une remise gracieuse des remboursements pour les condamnés a été demandée par le ministère au FIVA, « pour les dossiers qui n’ont pas encore été jugés, (le Fonds) va se désister de ces demandes de révision de l’indemnité qui a déjà été versée ».
C’est dans ces circonstances que se pose le problème de financement du Fonds.
Le Fonds d’indemnisation est financé annuellement par l’Etat et par la branche « accidents du travail et maladie professionnelle » de la Sécurité sociale.
Il est censé, après avoir alloué les sommes aux victimes, se retourner contre les entreprises responsables, mais celles-ci ne payent pas car les procès à leur encontre sont quasiment inexistants.
Depuis sa création en 2002, 2,800 milliards d’euros ont été déboursés, dont 390 millions pour 2010.
Au manque de ressources qui l’accable déjà, s’ajoutent nombre de reproches, notamment à l’égard de la gestion des dossiers et du respect des délais.
C’est aussi dans ces conditions qu’une étude, rendue publique le 28 juin 20112, a été réalisée par le Sénat à la demande de la présidente de la commission des affaires sociales, Mme Annie David, sur la question de la participation des entreprises dans l’indemnisation des victimes de l’amiante.
L’étude comparative, destinée à analyser le système indemnitaire en Europe, a pu constater que nos voisins européens, Italie, Belgique, Pays-Bas, disposaient d’un fonds dont la gestion est paritaire et le financement partiellement public, tandis que d’autres n’en avaient pas décidé la mise en place (Allemagne, Grande-Bretagne).
Ce qui diffère dans les systèmes instituant un fonds d’indemnisation, c’est la place faite à l’entreprise dans la réparation du dommage. Aux Pays-Bas, par exemple, la charge du remboursement repose pour l’essentiel sur les entreprises ayant utilisé l’amiante.
En France, une contribution des entreprises concernées par l’amiante au fonds étatique avait été prévu, mais pas retenu. Pourquoi donc ne pas trouver les ressources financières là où elles sont le plus ? L’Etat n’est plus vraiment à même d’allouer une partie de son budget, et il serait bien plus juste de voir les responsables de l’amiante payer.
Un suivi des propositions de la commission des affaires sociales du Sénat, tournées vers une participation des entreprises, est attendu avec impatience…