Contexte
Le 5 mai 2025, le Conseil d’État a rendu une décision particulièrement significative dans le domaine du droit de l’environnement, en lien avec l’incendie survenu le 16 janvier 2023 à Grand-Couronne, en Seine-Maritime. Ce sinistre, qui avait détruit un entrepôt exploité par la société Highway Logistics, a conduit à une requalification des responsabilités environnementales pesant sur des entreprises non exploitantes, mais impliquées dans le stockage de marchandises dangereuses. L’entrepôt, classé au titre de la rubrique 1510 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), abritait notamment des batteries lithium-ion appartenant à Blue Solutions, stockées par Bolloré Logistics. À la suite de l’incendie, les autorités préfectorales ont pris des mesures contraignantes à l’encontre de ces deux entreprises, les sommant de prendre en charge l’élimination des déchets générés par l’incendie ainsi que la dépollution des eaux souterraines. Contestant ces décisions, les sociétés concernées ont introduit des recours qui ont été rejetés par le Conseil d’État, marquant ainsi une avancée jurisprudentielle importante en matière de responsabilité des détenteurs de déchets.
I. Un sinistre industriel aux conséquences juridiques et environnementales étendues
A. Un incendie d’ampleur et une pollution préoccupante
Le 16 janvier 2023, un incendie de grande ampleur s’est déclaré dans un entrepôt logistique situé à Grand-Couronne, site qui stockait plusieurs types de marchandises, dont près de 900 tonnes de batteries au lithium. Ces batteries, propriétés de Blue Solutions, étaient entreposées par la société Bolloré Logistics. En raison de la nature particulièrement réactive des batteries lithium-ion, le feu a engendré des émanations toxiques et un important dégagement de substances polluantes dans l’environnement. Les risques pour la santé humaine et l’environnement se sont notamment manifestés par la contamination de l’air ambiant ainsi que la présence de composés perfluoroalkylés (PFAS), substances chimiques persistantes, détectées dans les nappes phréatiques avoisinantes. Bien que les concentrations mesurées soient restées inférieures aux seuils sanitaires, la situation a nécessité une intervention rapide des autorités environnementales et une évaluation approfondie des responsabilités des différents acteurs.
B. Les mesures préfectorales et les contestations des entreprises
En réponse à ces dommages, le préfet de la Seine-Maritime a émis, le 7 octobre 2024, deux mises en demeure distinctes à l’encontre de Bolloré Logistics et de Blue Solutions. Ces injonctions les obligeaient à organiser l’évacuation des déchets issus de l’incendie et à contribuer aux opérations de dépollution des sols et des eaux souterraines. Fondées non pas sur la police des ICPE, mais sur la réglementation relative à la gestion des déchets, ces mises en demeure s’appuyaient sur le statut de détenteur de déchets reconnu à ces deux entreprises. Or, ces dernières ont contesté cette lecture juridique, arguant qu’elles n’étaient ni propriétaires du site ni responsables de son exploitation. Le tribunal administratif de Rouen leur a temporairement donné raison en suspendant l’exécution des décisions préfectorales le 5 décembre 2024, considérant qu’un doute sérieux existait quant à la légalité de ces actes administratifs. Cette suspension a néanmoins été remise en cause devant le Conseil d’État, qui a tranché dans un sens opposé.

II. La consécration d’un principe de responsabilité élargie par le Conseil d’État
A. L’affirmation de la responsabilité des détenteurs de déchets, indépendamment du statut d’exploitant
Par sa décision du 5 mai 2025, le Conseil d’État a rejeté les requêtes en suspension formées par Bolloré Logistics et Blue Solutions. S’appuyant sur les dispositions du Code de l’environnement (notamment l’article L.541-2), la haute juridiction administrative a confirmé que toute personne physique ou morale détenant des déchets — et ce, indépendamment de son lien avec le site où sont survenus les faits — est juridiquement tenue d’en assurer l’élimination dans des conditions respectueuses de l’environnement. Autrement dit, le fait de ne pas être exploitant d’une ICPE ne permet pas de s’exonérer des obligations découlant de la qualité de détenteur de déchets. Cette lecture élargie de la responsabilité environnementale renforce le pouvoir de coercition de la police des déchets à l’encontre de tous les maillons de la chaîne logistique, dès lors qu’ils sont impliqués dans la possession ou le traitement de matières dangereuses.
B. Une jurisprudence à fort impact pour les entreprises industrielles et logistiques
Les répercussions de cette décision sont majeures pour les entreprises opérant dans les domaines du transport, de la logistique ou encore de la production de matières dangereuses. Le Conseil d’État rappelle ici que le simple fait de stocker ou de manipuler des marchandises à risque engage une responsabilité juridique directe en cas de sinistre, même en l’absence de toute faute ou d’implication dans l’origine du sinistre. Cela impose désormais aux entreprises de revoir leurs pratiques de gestion des risques, en intégrant une approche plus rigoureuse des obligations réglementaires, notamment en matière de prévention, de traçabilité des produits dangereux, et de contractualisation des responsabilités dans les chaînes d’approvisionnement. Cette jurisprudence renforce également la capacité d’action des préfets, leur permettant de cibler les acteurs économiques pertinents, au-delà des seuls exploitants d’ICPE, pour garantir une réponse rapide et efficace aux crises environnementales.

Conclusion
La décision du Conseil d’État du 5 mai 2025 marque un tournant dans la mise en œuvre du principe de responsabilité environnementale. En élargissant la portée des obligations pesant sur les détenteurs de déchets, elle rappelle que la gestion des risques industriels est une responsabilité partagée qui dépasse le cadre de l’exploitation stricte d’un site classé. Cette jurisprudence impose aux entreprises une vigilance accrue quant à la conformité de leurs activités aux normes environnementales, et constitue une référence incontournable pour les acteurs de la logistique, de l’industrie chimique et du transport. Elle souligne enfin l’importance d’une gouvernance environnementale anticipative, fondée sur une coopération étroite entre les différents intervenants économiques et les autorités publiques.
Source :
https://www.actu-environnement.com/ae/news/entrepots-icpe-1510-incendie-logisticien-responsabilite-polices-des-dechets-46126.php4#:~:text=sur%20notre%20site.-,Incendies%20d'entrep%C3%B4ts%20%3A%20la%20responsabilit%C3%A9%20du%20logisticien%20non%20exploitant%20peut,'incendie%20de%20Grand%2DCouronne.
https://www.argusdelassurance.com/reglementation/jurisprudence/la-prevention-des-incendies-d-entrepots.113601