
La problématique de la maitrise foncière dans le cadre d’un projet agrivoltaïque.
Par Juliette Collard
Posté le: 12/03/2025 14:31
L’agrivoltaïsme est une technique qui associe production agricole et production d’énergie solaire sur une même surface. Des panneaux photovoltaïques sont installés au-dessus ou à proximité des cultures pour optimiser l’usage des terres. Cette approche permet de protéger les cultures contre les aléas climatiques (sécheresse, grêle) tout en générant de l’électricité renouvelable. Elle vise à améliorer la résilience agricole tout en contribuant à la transition énergétique. L’élaboration d’un projet agrivoltaïque répond à des exigences pratiques nécessaires à tout parc photovoltaïque. Toutefois, la mise en oeuvre de ces exigences diffère due à la co-activité inhérente à l’agrivoltaïsme. C’est ainsi que la maitrise foncière est plus complexe.
Le site d’implantation d’un projet est réalisé au vu d’études de faisabilité, notamment d’ensoleillement. Pour les mener, le développeur doit pouvoir accéder au terrain et donc de maitriser le foncier. La maitrise foncière doit être sécurisée, compte tenu de la concurrence, par la conclusion de promesses de bail sous conditions suspensives. La promesse de bail est conclue pour une durée d'environ 4 ans assortie d'une possibilité de proroger d'une ou deux années supplémentaires lorsque le développement du projet nécessite plus de temps. Une fois ces conditions levées, le contrat permettant l’exploitation du projet peut être conclu à son tour (A.).
Toutefois, dans le cadre d’un projet agrivoltaïque, la maitrise foncière est plus complexe que pour les installations photovoltaïques au sol pour lesquelles il n’existe pas de troisième partie, l’exploitant agricole. Ce système applicable aux centrales photovoltaïques n’est pas adapté à l’agrivoltaïsme (B.), certaines pistes de réflexion étant envisageables afin de doter ce dispositif d’un mécanisme dérogatoire spécial (C.).
A. Les montages contractuels usuels
Le montage juridique utilisé doit obligatoirement maitriser l’assiette foncière pendant une durée minimale de 20 ans, durée du contrat d’achat de l’électricité conclu avec EDF. Beaucoup de contrats peuvent être envisagées mais les baux de longue durée constitutifs de droits réels sur le terrain restent privilégiés, le développeur concluant en majorité des baux emphytéotiques (1.) ou à construction (2.).
1. Le recours au bail emphytéotique
Le bail emphytéotique est un bail de longue durée, consenti pour une durée ne pouvant être inférieure à 18 ans et pouvant atteindre 99 ans, portant sur un immeuble et conférant au preneur un droit réel. Le bail emphytéotique de droit commun permet de louer un terrain pour construire. Par ailleurs, la réalisation d’une construction ne constitue qu’une clause optionnelle du bail emphytéotique. En fin de bail, les constructions reviennent sans indemnité au propriétaire bailleur sauf convention contraire. Toutefois, pendant toute la durée du bail, le preneur sera propriétaire de ces ouvrages. Dans cette hypothèse, le preneur peut opérer toutes les transformations au terrain tant que les modifications ne diminuent pas la valeur du fond. Dans le cadre d’un projet photovoltaïque, le bail emphytéotique ne peut stipuler que le preneur s’engage à construire un parc solaire, il ne peut qu’être disposé d’une simple faculté de le faire.
La validité du bail emphytéotique est subordonnée au paiement d’un loyer. En dehors des installations photovoltaïques, ce loyer est plutôt modique puisque le bien est censé être valorisé à la fin du bail. Toutefois, s’agissant d’une centrale photovoltaïque, il existe une obligation de remise en état, le bailleur retrouve son site tel quel, sans amélioration. En contrepartie, le loyer versé est en pratique plus élevé. La liberté contractuelle joue pleinement et c’est aux parties d’envisager comment le loyer sera déterminé, en fonction de la superficie ou de la puissance installée par exemple.
Par ailleurs, un bail emphytéotique dans le secteur photovoltaïque est souvent assorti de modalités de résiliation avant la période de 18 ans, principalement en cas de résiliation du contrat d’achat conclu avec EDF. Cependant ces clauses doivent être rédigées avec vigilance car elles peuvent être de nature à remettre en cause la qualification de bail emphytéotique, l'inclusion dans le bail d'une clause résolutoire de plein droit étant incompatible avec la qualification de bail emphytéotique. La présence d’une clause résolutoire entraine plutôt l’effet inverse, si le bail emphytéotique existe, la clause résolutoire devient sans effet.
Le bail emphytéotique répond bien aux exigences permettant une bonne maitrise du foncier dans le cadre d’un projet photovoltaïque au sol, il est de longue durée et ses dispositions peuvent être librement négociées par les parties.
2. Le recours au bail à construction
Le régime du bail à construction, défini aux articles L. 251-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation, est sensiblement identique à celui du bail emphytéotique. En effet, sa durée doit être comprise entre 18 et 99 ans, il confère au preneur un droit réel immobilier, le preneur est propriétaire des constructions durant toute la durée du bail, le loyer et les modalités de démantèlement sont déterminées librement par les parties. Toutefois, là où le bail emphytéotique n’énonce qu’une simple faculté de construire, le bail à construction met à la charge du preneur une réelle obligation de construire. La jurisprudence vérifie alors qu’il ait été clairement stipulé lors de la rédaction du bail que le preneur s’engage à construire. De plus, le bailleur peut préciser l’usage auquel le terrain est destiné afin de contrôler la destination du terrain et d’imposer des restrictions au développeur.
Malgré cette obligation rendant le régime de ce bail plus strict, il reste parfaitement adapté aux projets de centrale photovoltaïque. Néanmoins, ces deux montages juridiques ne peuvent être appliqués comme tel en agrivoltaïsme, puisqu’il faut prendre en compte un tiers de taille, l’agriculteur.
B. Une relation tripartite inadaptée aux baux classiques
Si l’exploitant agricole n’est pas propriétaire du terrain, « dans ce cas, un contrat existe entre l’agriculteur et le propriétaire, un bail interne en général, auquel vient se greffer un autre contrat entre l’énergéticien et l’exploitant » explique Hugues Trameau en démontrant la nécessaire mise en place d’une relation tripartite découlant du mélange hybride imposé par l’agrivoltaïsme.
Cette problématique se pose lorsque l’exploitant agricole n’est pas le propriétaire du terrain et donc qu’un bail rural est préalablement conclu entre les deux parties, ce qui regroupe la grande majorité des cas. Le propriétaire et le développeur doivent conclure sur un bail emphytéotique, mais pour pouvoir le signer, le bail rural doit préalablement être rompu. En effet, au vu de l’article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime, si le statut du fermage s’applique, toute sous-location est interdite. Un bail permettant à l’énergéticien de disposer d’un droit réel sur le foncier n’est pas possible tant qu’existe un bail rural sur cette même parcelle. Néanmoins, le statut du fermage sécurise au mieux l’agriculteur et le bail rural ne peut donc être pas résilié, en dehors d’un commun accord, sans justification par l’un des motifs exclusivement cités par le code rural. La mise en place d’une installation agrivoltaïque ne fait pas partie de ces motifs, le bail rural ne pourra donc être rompu que sous commun accord, ce bail offrant à l’agriculteur un poids de taille dans les négociations selon Bernard Mandeville et Camille Wautier.
Une fois le bail rural rompu, le bail emphytéotique, ou bail à construction, peut être conclu entre le propriétaire et le développeur du projet. Il est possible, même conseillé, d’établir une convention tripartite avant cette signature afin d’établir un cahier des charges et que les montages contractuels y résultant soient pré-définis.
Une fois le premier bail signé, le producteur d’énergie doit obtenir un droit d’occupation à l’exploitant agricole sur le terrain. Cependant ce contrat ne peut pas passer par un bail rural puisqu’il a vocation à transférer l’intégralité de la jouissance du bien à l’exploitant agricole, ce qui est incompatible avec l’activité de production d’énergie. Par conséquent c’est une convention de prêt à usage qui doit être élaborée. Ce contrat permet de mettre un bien à disposition afin que le co-contractant puisse s’en servir, ce prêt à usage consenti au profit de l’agriculteur lui permettra d’exercer son activité agricole, sans quoi le projet n’est pas qualifié d’agrivoltaïque. Le prêt à usage étant un contrat gratuit, la rétribution des agriculteurs pour la présence des panneaux agrivoltaïques peut s’effectuer par des contrats de prestation de service pour l’entretien de la centrale.
Toutefois cette convention n’emporte pas toutes les protections inhérentes au statut du fermage. La solution pour remédier à la précarité de ce prêt à usage serait la création d’un montage contractuel spécifique à l’agrivoltaïsme.
C. Les pistes d’amélioration, un bail agrivoltaïque ?
Lors du vote de la loi APER, un amendement est porté par la députée Anne-Laurence Petel pour la création d’un bail agrivoltaïque. Cette mesure ayant certes été refusée, beaucoup ont souhaité travailler sur cette idée afin de conserver la protection de l’exploitant agricole via le statut du fermage. Des dispositions législatives sont donc attendues, afin de créer un bail agrivoltaïque ou bien un bail rural à clauses agrivoltaïques, afin qu’il soit plus aisé d’ajouter des dispositions contractuelles. Ces dispositifs seraient inspirés des baux dérogatoires, comme le bail rural à clauses environnementales.
L’amendement énonçait que des clauses, issues du consentement du preneur et du bailleur, visant au respect par le preneur ayant pour objet la préservation et le bon fonctionnement de l’installation agrivoltaïque pouvait être incluses dans le bail rural. L’insertion de telles clauses était subordonnée à un partage de la valeur issue de la production électrique, sous la forme d’un engagement du producteur à associer l’exploitant aux revenus de l’installation. Le bail agrivoltaïque permettrait d’adapter le cadre contractuel aux spécificités de l’agrivoltaïsme, sous la forme de dispositions dérogatoires. Ce nouvel outil juridique sécuriserait la synergie entre l’activité agricole et l’activité de production, dans le strict respect du statut du fermage, sans qu’il ne découle une modification substantielle de celui-ci.
Cette simplification des montages contractuels tels qu’on les rencontre aujourd'hui permettrait une meilleure prise en compte de toutes les parties intéressées à l’installation agrivoltaïque. Il est difficile de se contenter d’un contrat faisant l’impasse sur le statut du fermage et des protections apportées à l’exploitant, avec un risque de résiliation sans besoin de la justifier par des motifs légitimes. Des dispositions législatives sont attendues afin d’encadrer le statut du fermage dans le cadre de l’agrivoltaïsme mais il semblerait que la parution de ces dispositions attende encore, et que la superposition de montages juridiques restent la norme d’ici là.
Ces conventions permettraient de contenir des clauses sur le partage du valeur, disposition abandonnée par le législateur.