Par un arrêt rendu le 30 janvier, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a contribué de manière significative à la consolidation de la jurisprudence en matière de droit international de l'environnement. La juridiction a affirmé que l'inaction prolongée d'un État face à une pollution grave constitue une violation de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, lequel garantit le droit à la vie. Cet arrêt, rendu par une chambre, ne deviendra définitif qu'au terme d'un délai de trois mois, sauf si les parties sollicitent le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre de la Cour.
L'affaire concernait des pratiques illicites de gestion des déchets, notamment le déversement, l'enfouissement et l'incinération illégaux, orchestrés par des groupes criminels organisés sur des terrains privés dans 90 communes de la région de Campanie (Italie), communément appelée "Terra dei Fuochi". Cette zone est marquée par une prévalence élevée de cancers et une contamination avérée des sols et des eaux souterraines par des substances toxiques, notamment des dioxines et des métaux lourds.
Quarante-et-un requérants, ainsi que cinq organisations, ont saisi la CEDH en 2014 et 2015, alléguant avoir subi les effets directs ou indirects de ces pollutions. Ils ont invoqué les articles 2 (droit à la vie), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention, soutenant que les autorités publiques, bien que pleinement informées de la situation depuis au moins 1988, n’avaient pris aucune mesure pour les protéger ou les informer des risques encourus.
La Cour a rejeté les requêtes des organisations, estimant qu'elles ne pouvaient être considérées comme victimes de la pollution, ainsi que celles des individus ne résidant pas dans une commune officiellement touchée. D'autres requêtes ont été déclarées irrecevables en raison du non-respect des délais de recours.
Dans son analyse, la Cour a conclu, à l'unanimité, à la violation par l'État italien de l'article 2 de la Convention, du fait de son défaut de diligence dans la gestion d’une pollution systémique, persistante et de grande ampleur. Elle a estimé que le manquement des autorités italiennes à adopter une approche coordonnée et structurée pour lutter contre cette pollution constituait une défaillance grave dans la protection du droit à la vie des requérants. Par ailleurs, la Cour n'a pas jugé nécessaire d'examiner les griefs relatifs aux articles 8 et 13, considérant que leurs fondements étaient similaires à ceux soulevés sous l'article 2.
Dans sa motivation, la Cour a reconnu l'existence d'un risque "suffisamment grave, véritable, vérifiable et imminent" pour la vie des personnes concernées, et a rappelé que l'absence de certitude scientifique sur les effets spécifiques de la pollution ne saurait exonérer l'État de son obligation de protection. La juridiction a relevé des lacunes majeures, notamment l'absence d’une stratégie globale de dépollution, des carences dans l’attribution des responsabilités et un retard considérable dans l’évaluation des effets sanitaires de la pollution. De surcroît, la Cour a souligné l'insuffisance des mesures de justice pénale mises en place par l'État italien pour lutter contre les infractions environnementales et l'absence d’une communication claire et accessible aux populations locales sur les risques sanitaires et les mesures mises en œuvre.
Concernant l’exécution de l’arrêt, la Cour a imparti un délai de deux ans au gouvernement italien pour élaborer une stratégie globale intégrant les actions existantes et futures afin de remédier aux problèmes environnementaux de la "Terra dei Fuochi". L’Italie est en outre tenue de mettre en place un mécanisme de suivi indépendant, sans affiliation aux autorités publiques, et de créer une plateforme unique d'information à destination du public. Dans le cadre de la procédure d'arrêt pilote, la Cour a décidé de surseoir à l'examen de 36 autres requêtes introduites par environ 4 700 requérants, en attendant l’évaluation des mesures correctives prises par l’État italien. Elle suspend également, pour une durée maximale de deux ans, l’examen des demandes de réparation du préjudice moral fondées sur l'article 41 de la Convention.
Cette décision revêt une importance majeure, non seulement pour les requérants, mais également pour d'autres victimes potentielles d'inaction étatique face à des pollutions chroniques, dans l’ensemble des États parties à la Convention. Le WWF Italie a ainsi salué cet arrêt en soulignant que "le droit de vivre dans un environnement sain et de ne pas tomber malade doit devenir une priorité des institutions", dénonçant au passage la sous-estimation prolongée des risques environnementaux et sanitaires liés aux activités illicites dans la région.

Sources :

https://www.actu-environnement.com/ae/news/pollutions-droit-a-la-vie-violation-cedh-inaction-etat-italie-dechets-terra-dei-fuochi-45527.php4

https://www.euractiv.fr/section/justice/news/la-cedh-condamne-litalie-pour-le-deversement-de-dechets-toxiques-sur-la-terre-des-feux/

https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=53574&opac_view=-1