La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), adoptée par l'Union européenne en novembre 2022, marque un tournant majeur dans le domaine du reporting extra-financier. Cette directive ambitieuse vise à transformer radicalement la manière dont les entreprises communiquent sur leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cependant, à l'approche de sa mise en application progressive à partir du 1er janvier 2025, la CSRD se heurte à des défis importants, tant au niveau de sa transposition dans les législations nationales que dans sa mise en œuvre pratique par les entreprises.
Dans ce contexte, il convient de s'interroger : Comment concilier l'ambition européenne en matière de reporting de durabilité avec les réalités opérationnelles des entreprises et les disparités de transposition au sein de l'Union européenne ? Quels sont les enjeux juridiques et pratiques soulevés par l'application de la CSRD, et quelles perspectives d'évolution se dessinent pour cette réglementation ?
Pour répondre à ces questions, nous examinerons dans un premier temps le cadre juridique ambitieux de la CSRD et les défis de mise en œuvre auxquels font face les entreprises (I). Nous analyserons ensuite l'état de la transposition de la directive au sein de l'UE et les conséquences juridiques qui en découlent, tout en explorant les débats actuels sur l'avenir de ce texte (II). Cette analyse nous permettra de dresser un état des lieux complet de l'application de la CSRD et d'envisager les perspectives d'évolution de cette réglementation cruciale pour l'avenir du reporting de durabilité en Europe.

I. Un cadre juridique ambitieux confronté à des défis de mise en œuvre

A. Les fondements et objectifs de la directive CSRD

La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), adoptée par l'Union européenne en novembre 2022, marque un tournant décisif dans le domaine du reporting extra-financier. Cette directive ambitieuse vise à transformer radicalement la manière dont les entreprises communiquent sur leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
La CSRD s'inscrit dans la continuité de la Non-Financial Reporting Directive (NFRD) de 2014, tout en élargissant considérablement son champ d'application et en renforçant ses exigences. Les objectifs principaux de la CSRD sont triples :

- Harmoniser et renforcer les exigences de reporting sur la durabilité à l'échelle européenne, afin de fournir aux investisseurs et aux parties prenantes des informations plus complètes et comparables.

- Élargir le périmètre des entreprises concernées, passant d'environ 11 000 entités sous la NFRD à près de 50 000 avec la CSRD. Cette extension inclut notamment toutes les grandes entreprises et les PME cotées, à l'exception des micro-entreprises.

- Améliorer la qualité, la fiabilité et la comparabilité des informations ESG divulguées, notamment en introduisant une obligation d'audit des informations publiées.

Le calendrier d'application de la CSRD est progressif, avec une entrée en vigueur échelonnée, allant de 2025 à 2027.
Cette approche graduelle vise à permettre aux entreprises de s'adapter aux nouvelles exigences, tout en reconnaissant les défis particuliers auxquels font face les PME.


B. Les difficultés pratiques rencontrées par les entreprises

Malgré ses objectifs louables, la mise en œuvre de la CSRD soulève de nombreux défis opérationnels pour les entreprises. Ces difficultés sont particulièrement prononcées pour les PME et les entreprises n'ayant pas d'expérience préalable en matière de reporting extra-financier.
L'un des piliers de la CSRD est l'exigence d'une analyse de double matérialité, qui constitue le socle du rapport de durabilité. Cette approche requiert des entreprises qu'elles évaluent non seulement l'impact des enjeux ESG sur leur activité (matérialité financière), mais aussi l'impact de leur activité sur l'environnement et la société (matérialité d'impact).
Ainsi, de nombreuses entreprises expriment des doutes quant au contenu exact attendu dans leurs rapports. Cette incertitude concerne tant le fond que la forme des informations à communiquer. Certaines déclarent être encore dans le flou sur la manière de connecter et de traiter efficacement les données nécessaires.
La CSRD met un accent particulier sur la lutte contre le changement climatique, exigeant des entreprises qu'elles élaborent des plans de transition alignés sur l'objectif de limitation du réchauffement à 1,5°C. Cependant, une étude récente montre que seulement 36% des entreprises ont défini une trajectoire de décarbonation théoriquement compatible avec cet objectif.

Ces difficultés opérationnelles alimentent un débat plus large sur la charge réglementaire imposée aux entreprises européennes et son impact potentiel sur leur compétitivité internationale.


II. Une transposition inégale générant une insécurité juridique

A. État des lieux contrasté de la transposition dans l'UE

La mise en œuvre de la CSRD révèle des disparités importantes entre les États membres de l'Union européenne, créant un paysage réglementaire fragmenté au sein du marché unique.
Certains États membres ont fait preuve de diligence dans la transposition de la directive. La France, par exemple, a entamé le processus dès le 6 décembre 2023, se positionnant parmi les premiers pays à intégrer la CSRD dans son droit national.
Cependant, la situation est loin d'être homogène à l'échelle européenne. Le 26 septembre 2024, la Commission européenne a annoncé l'ouverture de procédures d'infraction à l'encontre de 17 États membres pour non-transposition ou transposition incomplète de la CSRD, alors que le texte doit entrer progressivement en application à compter du 1er janvier 2025.

B. Conséquences juridiques et débats sur l'avenir de la directive

Le retard et l'hétérogénéité de la transposition de la CSRD engendrent plusieurs problématiques juridiques et alimentent un débat sur l'avenir de la directive.
La situation actuelle crée une insécurité juridique significative, particulièrement pour les entreprises opérant dans plusieurs États membres. Ces dernières se trouvent confrontées à des exigences potentiellement différentes selon les pays, compliquant la mise en place d'une stratégie de reporting cohérente à l'échelle européenne. L'application inégale de la CSRD peut entraîner des distorsions de concurrence au sein du marché unique.

Face à ces difficultés, des voix s'élèvent en faveur d'un assouplissement de la CSRD. L’ancien Premier ministre français avait notamment évoqué la possibilité d'un moratoire sur l'application de la directive et certains acteurs plaident pour une limitation du nombre d'entreprises concernées ou une réduction des indicateurs obligatoires. À l'inverse, de nombreuses grandes entreprises, déjà engagées dans le processus et ayant investi des ressources significatives, plaident pour le maintien du texte en l'état.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, entame son second mandat en souhaitant mettre l'accent sur la simplification des réglementations du Pacte vert européen. Elle vise à alléger trois textes majeurs : la taxonomie verte, la directive CSRD et la directive sur le devoir de vigilance (CS3D), jugés administrativement trop complexes. Si la présidente insiste sur le maintien du contenu de ces lois, leur simplification passera par une législation "omnibus", permettant de modifier plusieurs textes en une seule fois. Cependant, cette initiative suscite des inquiétudes, notamment parmi les ONG et les forces politiques de gauche, qui craignent un affaiblissement des exigences environnementales et sociales. Ces modifications risquent de créer une forte incertitude juridique pour les entreprises qui se préparent depuis longtemps à respecter ces réglementations. Des experts et observateurs avertissent que de tels ajustements pourraient compromettre les objectifs initiaux de ces lois, tout en désorientant les acteurs économiques déjà engagés dans leur mise en conformité.Dans une lettre à l'exécutif européen datée du 17 décembre, cosignée par quatre ministres, l'Allemagne estime qu’il devrait être envisagé de reporter la date butoir de mise en œuvre de la CSRD de deux ans".