Commande publique et environnement, jusqu’où peut-on aller ?
Par Kouamé Serges YEBOUA
Posté le: 24/12/2024 0:18
-Selon les données de l’Observatoire économique de l’achat public intégré au sein du Ministère de l’économie, le montant des marchés publics s’élevait à 75,5 milliards d’Euros au dernier recensement de 2012. La même année, l’Observatoire notait que seulement 5,4 % des marchés dont le montant est supérieur à 90 000 € (HT) comportaient des clauses environnementales .
Pour autant, dès 2007, lors de la restitution des conclusions du Grenelle de l’environnement, le Président de la République avait insisté sur le rôle exemplaire que l’État devait jouer pour assurer le développement durable de l’économie, relayé par le Premier Ministre évoquant dans une circulaire de 2008 l’importance de la commande publique à cet égard . L’insertion de clauses environnementales dans les contrats de la commande publique est un vecteur incontestable de politique publique environnementale mais son efficacité est encore débattue .
Par commande publique on entendra à l’instar de Grégory Kalflèche tout « contrat conclu à titre onéreux par lequel une personne morale de droit public ou une personne privée contrôlée par une ou plusieurs personnes publiques ou ayant en charge la gestion des deniers publics se procure pour elle-même ou les usagers du service public dont elle a la responsabilité des biens corporels ou des services » 
En ayant une vision quelque peu renouvelée avec les évolutions du droit européen mais aussi critique au regard des objectifs assignés à la France en matière de protection de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique, il est possible d’aborder la question de la protection de l’environnement prise en compte (I) puis ciblée (II) par le droit de la commande publique. Ces deux manières d’envisager l’environnement au sein de la commande publique n’ont pas le même objectif. La première a pour but d’insuffler, d’intégrer la question environnementale au sein de l’ensemble de la commande publique, la seconde a pour objectif d’utiliser la commande publique à des fins environnementales et pourrait offrir de nombreuses potentialités futures.
I – La protection de l’environnement prise en compte par le droit de la commande publique
Le droit des marchés publics a été historiquement le domaine dans lequel la question environnementale a émergé le plus tôt, même si cela ne date que des années 2000. Il semble que ce terrain d’expérimentation ait servi d’exemple en France aux contrats de partenariats et en Europe, aux concessions de services publics. Dès lors la voie tracée dans le domaine des marchés publics (A) va être suivie par le droit des contrats de partenariats en France et le droit des concessions de service public à travers les récentes directives européennes (B).
A – La voie tracée dans le domaine des marchés
Le droit des marchés publics est de loin le domaine de la commande publique dans lequel la protection de l’environnement est la plus présente. Le droit français, conditionné en cela par le droit de l’Union européenne, intègre la question environnementale dans six articles du CMP. Mais, d’une part, cette intégration se fait dans le respect des règles générales du droit des marchés publics comme, plus globalement, du droit de la commande publique . Ainsi, comme le précise le premier article du CMP, « les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ».
D’autre part, cette intégration se fait avec trois particularités qui démontrent une intégration assez timide. En premier lieu, le droit de l’environnement est parfois inclus, noyé pourrait-on dire , dans l’élément englobant du développement durable. La Charte de l’environnement, au plus haut niveau de l’ordre juridique français, définit ce dernier de façon tout à fait classique comme la conciliation entre la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social . En deuxième lieu, la protection de l’environnement est vue le plus souvent comme une possibilité. Aucune obligation d’intégrer la donnée environnementale, que ce soit par l’intermédiaire de critères ou de spécifications techniques, n’est affirmée. En dernier lieu, lorsqu’une obligation est envisageable, elle porte sur le développement durable et non directement sur l’environnement, et instaure un rapport de prise en compte entre les normes.
B – La voie suivie pour d’autres contrats
Ce sont en premier lieu les contrats de partenariats qui ont suivi la voie tracée par les marchés publics dans l’intégration du critère environnemental. En second lieu, les délégations de service public, hors formalisme pourrait-on dire, vont connaître une évolution certaine avec la directive du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concessions , pour l’instant non transposée.
Les contrats de partenariat, créés en France par l’ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004, sont des contrats administratifs par lesquels « l’État ou un établissement public de l’État confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la durée d’amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale ayant pour objet la construction ou la transformation, l’entretien, la maintenance, l’exploitation ou la gestion d’ouvrages, d’équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public, ainsi que tout ou partie de leur financement à l’exception de toute participation au capital » . Ces contrats de partenariats, souvent critiqués , n’ont pas intégré la dimension environnementale depuis le début. Il a fallu attendre la loi du 28 juillet 2008 relative aux contrats de partenariat venant modifier l’ordonnance de 2004 pour voir le développement durable faire son entrée dans les textes .
D’une part, au regard notamment des controverses qui les entourent, les contrats de partenariat doivent faire l’objet d’une évaluation préalable. Cette dernière doit faire apparaître les motifs de caractère économique, financier, juridique et administratif qui ont conduit la personne publique à engager la procédure de passation d’un tel contrat et doit, selon l’article 2 de l’ordonnance, comporter une analyse comparative des différentes options, « notamment en termes de coût global hors taxes, de partage des risques et de performance, ainsi qu’au regard des préoccupations de développement durable ».
D’autre part, une fois l’option du contrat de partenariat choisie, l’article 8 de l’ordonnance précise que « parmi les critères d’attribution, figurent nécessairement le coût global de l’offre, des objectifs de performance définis en fonction de l’objet du contrat, en particulier en matière de développement durable (…) ». Il semble que cet article ait été directement inspiré de l’article 53 du CMP. Néanmoins, les formules ne sont pas semblables.
La question peut être posée maintenant de savoir si la protection de l’environnement peut être ciblée, autrement dit l’objet ou un des objets de la commande publique.
II – La protection de l’environnement ciblée par le droit de la commande publique
Celle qui nous intéresse est la fonction de contrat d’incidences écologiques, archétype du contrat visant à améliorer les performances écologiques dotée d’une multitude de potentialités (B).
A – La nouveauté des contrats de performance énergétique
On doit l’initiative des contrats de performance énergétique (CPE) à la directive 2006/32 [94] désormais abrogée qui les définissait de façon assez générale et imprécise à l’article 3 j) comme des accords contractuels « entre le bénéficiaire et le fournisseur (normalement une SSE [société de services énergétiques]) d’une mesure visant à améliorer l’efficacité énergétique, selon lequel des investissements dans cette mesure sont consentis afin de parvenir à un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique qui est contractuellement défini ».
Selon ce texte, compte tenu du rôle d’exemple que joue le secteur public, les États membres doivent s’assurer que le secteur public respecte certaines obligations d’économie d’énergie. Pour ce faire, par exemple, il s’agit d’utiliser des CPE stipulant des économies d’énergie mesurables et prédéterminées à fournir. La directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments  oblige quant à elle les États membres à adopter une méthode de calcul et à fixer des exigences minimales de la performance énergétique des bâtiments, qu’ils soient neufs ou existants .
B – L’hypothèse des contrats de performance écologique ?
En regardant de plus près le décret du 25 août 2011, il convient de noter que la réforme de l’article 73 du CMP ne porte pas exclusivement sur les contrats de performance énergétique mais ouvre aussi potentiellement d’autres portes, à notre connaissance peu développées pour l’instant. En effet, l’article 73 (qu’il s’agisse de l’alinéa I ou II) dispose que : « Les marchés de réalisation et d’exploitation ou de maintenance sont des marchés publics qui associent l’exploitation ou la maintenance à la réalisation de prestations afin de remplir des objectifs chiffrés de performance définis notamment en termes de niveau d’activité, de qualité de service, d’efficacité énergétique ou d’incidence écologique ».
Comme le précise la très utile fiche explicative du décret publiée par la direction des affaires juridiques du ministère de l’économie, « Il peut s’agir de « contrats de performance énergétique », institués par les lois « Grenelle I et II », mais aussi, d’une façon générale, de tout contrat comportant, de la part du titulaire, des engagements de performance mesurables, notamment en termes de niveau d’activité, de qualité de service, d’efficacité énergétique ou d’incidence écologique » . Ainsi, selon l’interprétation logique de Florian Linditch, « Il semble donc que l’objet de la performance énergétique dépasse désormais la simple efficacité énergétique. Peuvent être retenus comme indicateurs, « le niveau d’activité, de qualité de service, d’efficacité énergétique ou d’incidence écologique ». De même « tout contrat » pourrait être concerné, et pas simplement les contrats prévus par les lois Grenelle [les CPE] ».
SOURCES:
- Hubert Delzangles
Pages 13 Ã 40
- Révue juridique de l'environnement