Si la CJIPE représente un outil prometteur pour sanctionner et réparer les dommages environnementaux, sa mise en œuvre reste controversée. Le cas récent de Nestlé Waters Supply Est, ayant fait l’objet d’une CJIPE homologuée par le parquet d’Épinal le 10 septembre 2024,, interroge sur la portée dissuasive et réparatrice de ce dispositif, en particulier lorsque des infractions connexes, comme la tromperie commerciale, y sont intégrées. Ce cas nous invite ainsi à questionner les limites et les effets de cette convention dans la lutte contre les infractions environnementales et amène donc à la problématique suivante : la CJIPE peut-elle constituer un outil de sanction et de réparation efficace dans la lutte contre les infractions environnementales et connexes, et quels en sont les freins en termes de dissuasion, de transparence et de cohérence ?
Pour répondre à cette question, il s’agira dans un premier temps d’analyser les critères d’application et les limites de la CJIPE en matière de dissuasion et de réparabilité (I), avant de réfléchir aux réformes nécessaires pour optimiser son impact et répondre aux critiques soulevées (II).

I. Les critères d’application et les limites de la CJIPE : entre flexibilité et insuffisance dissuasive

A. De larges conditions d'admissibilités

La CJIPE repose sur des critères d’application visant à garantir une utilisation encadrée du dispositif. Seules les personnes morales (entreprises) peuvent bénéficier d'une CJIP. Elle ne s'applique pas aux personnes physiques.La CJIP est applicable aux infractions telles que la corruption, le trafic d'influence, le blanchiment de fraude fiscale, et d'autres délits économiques et financiers.
Parmi ces critères figurent l’absence d’antécédents judiciaires de la personne morale, la révélation spontanée des infractions, ainsi qu’un haut niveau de coopération incluant la mise en place de mesures correctives pour limiter les impacts écologiques et sanitaires. Ces critères, cependant, sont appliqués avec une certaine souplesse, ce qui laisse au ministère public une marge d’appréciation potentiellement source d’inégalités. En particulier, l’exclusion des personnes physiques des conventions CJIP, et donc l’impossibilité de poursuivre les dirigeants individuellement, soulève des questions sur la responsabilité personnelle dans les infractions d’origine écologique.
De plus, la possibilité d’inclure des infractions connexes, comme la tromperie commerciale, au titre de la « connexité des faits » – comme dans le cas de Nestlé – crée des zones d’ambiguïté dans l’application de la CJIPE.

B. Des sanctions et réparations variables, limitant la portée dissuasive de la CJIPE

La faiblesse relative des sanctions financières dans le cadre de la CJIPE limite son efficacité dissuasive. Par exemple, dans l’affaire Nestlé, l’amende s’élève à deux millions d’euros, un montant qui, bien que significatif, ne représente qu’environ 1 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, alors que le Code de procédure pénale permet une amende atteignant 30 % des revenus. Cette disparité entre les plafonds théoriques et les amendes effectives crée une perception de complaisance vis-à-vis des grandes entreprises, dont les profits issus de pratiques contestables peuvent largement compenser les montants infligés. Les associations de défense de l’environnement déplorent aussi cette faiblesse, soulignant l’écart entre les amendes infligées et les bénéfices obtenus par les sociétés impliquées.
Par ailleurs, l’évaluation des dommages écologiques est encore très inégale d’une CJIPE à l’autre, en l’absence d’un standard méthodologique. La réparation des préjudices, souvent constituée de compensations versées à des associations, ne compense pas toujours de manière adéquate les dommages causés, compromettant l’impact réparateur de ce dispositif. La place limitée des associations et des victimes dans ce processus constitue également une restriction : elles ne peuvent ni contester les montants de réparation ni influer sur les conditions de la CJIPE.

II. Perspectives de réforme pour renforcer la dissuasion, la transparence et la portée réparatrice de la CJIPE

A. Clarifier les critères et renforcer le champ d’application pour garantir une application plus rigoureuse

Pour pallier les faiblesses du dispositif, il serait souhaitable de renforcer les critères d’éligibilité de la CJIPE. Par exemple, des critères plus stricts sur la récidive et la gravité des infractions pourraient être introduits, en distinguant différents niveaux de CJIP en fonction de la gravité des dommages et des antécédents de l’entreprise concernée. Cela permettrait de cibler les entreprises avec des sanctions proportionnées à l’ampleur de leurs pratiques et de réduire les écarts d’application.
En outre, une clarification du champ d’application de la CJIPE pourrait également s’avérer pertinente. Plutôt que de diluer les infractions environnementales avec des infractions commerciales connexes, il pourrait être pertinent de prévoir une extension explicite du cadre légal de la CJIPE aux infractions de probité. Cela garantirait que les conventions couvrent les infractions connexes sans créer de confusion.

B. Augmenter la transparence et inclure les
associations dans la négociation des réparations écologiques

Pour que la CJIPE incarne un véritable outil de réparation écologique, il est crucial de mieux intégrer les associations et les victimes dans le processus de négociation. La participation active des associations permettrait de mieux représenter les intérêts collectifs et de garantir une évaluation plus équilibrée des préjudices. Une méthode de calcul standardisée des dommages écologiques, élaborée avec des experts environnementaux indépendants, pourrait également harmoniser les montants de réparation et éviter des disparités significatives d’une CJIPE à l’autre.
D’un point de vue financier, l’augmentation des sanctions pourrait renforcer la portée dissuasive du dispositif. En rehaussant les amendes minimales et en fixant des seuils proportionnels aux revenus des entreprises, la CJIPE pourrait imposer des sanctions plus équitables, alignées sur les profits générés par l’activité illégale. Cela offrirait une meilleure perception de justice pour les infractions de grande ampleur, en particulier lorsque les profits obtenus excèdent largement les amendes imposées.


En conclusion, la CJIPE représente un outil de justice innovant pour répondre aux infractions environnementales, mais elle souffre de limites notables en matière de dissuasion et de réparabilité. Si son principe de justice négociée favorise une gestion rapide des contentieux environnementaux, le dispositif gagnerait à être renforcé pour atteindre ses objectifs de transparence et d’efficacité. Des réformes visant à clarifier les critères d’éligibilité, à encadrer l’application de la CJIPE et à intégrer davantage les associations de défense de l’environnement permettraient de répondre aux critiques et de renforcer la crédibilité de ce mécanisme. La CJIPE pourrait alors constituer un outil efficace de lutte contre les infractions environnementales, en répondant aux besoins de dissuasion, de réparation et de transparence attendus dans un contexte de prise de conscience croissante des enjeux écologiques.