L ’accroissement de la qualité et de l'accessibilité des informations de durabilité avec la CSRD
Par Mireille Besseyaki Bony
Chargee de mission RSE
CDC Habitat
Posté le: 22/10/2024 23:07
La CSRD a été mise en place pour garantir un rapport de durabilité de qualité qui rend effectivement compte de la réalité de la situation des entreprises au-delà de l’aspect financier. Elle introduit dans cette optique des mesures clés permettant un cadre assez réglementé pour une publication d’informations extra-financières qui se veut fiable. Des rapports de qualité permettent de garantir la transparence, la comparabilité et la fiabilité des informations divulguées par l’entreprise renforçant la confiance des parties prenantes et des investisseurs. Un rapport de durabilité de qualité améliore la réputation de l’entreprise.
L’accroissement de la qualité et de l’accessibilité des informations extra-financières s’obtient à travers le renforcement de l’engagement des parties intéressées nécessitant une profonde refonte des structures de gouvernance (I) et une exigence de vérification accrue (II).
I - Le renforcement de l'engagement des parties intéressés nécessitant une profonde refonte des structures de gouvernance
Le renforcement de l’engagement des parties intéressées nécessitant une profonde refonte des structures de gouvernance se fait à travers une prise en compte plus accrue des attentes des parties intéressées (A) ainsi qu’un appui sur des structures de gouvernance à l’image de l’extension de la responsabilité de l’entreprise (B).
A - Une prise en compte plus accrue des attentes des parties intéressées
L’ ESRS 1 stipule que : “ Les parties intéressées sont les personnes qui peuvent influer sur l’entreprise ou sur lesquelles l’entreprise peut influer. Il existe deux grands groupes de parties intéressées: (a) les parties intéressées touchées: les individus ou les groupes sur les intérêts desquels influent ou pourraient influer – positivement ou négativement – les activités de l’entreprise et ses relations d’affaires directes ou indirectes dans sa chaîne de valeur; et (b) les utilisateurs des déclarations relatives à la durabilité: les principaux utilisateurs des informations financières à usage général (investisseurs existants et potentiels, prêteurs et autres créanciers, y compris les gestionnaires d’actifs, les établissements de crédit ou les entreprises d’assurance) ainsi que les autres utilisateurs des déclarations relatives à la durabilité, y compris des partenaires commerciaux, des syndicats et des partenaires sociaux de l’entreprise, des organisations de la société civile et des organisations non gouvernementales, des pouvoirs publics, des analystes et des chercheurs. “
Autrement dit, les parties intéressées sont les personnes ou groupes de personnes susceptibles d’avoir une influence sur une entreprise ou, au contraire, susceptibles d’être influencés par les décisions et les actions de cette entreprise. Dans cette perspective, il est possible d’identifier deux grands types de parties prenantes avec des caractéristiques et des intérêts différents. Le premier groupe encore appelé parties prenantes affectées, regroupe les personnes ou les groupes dont les intérêts peuvent être soit favorablement soit défavorablement influencés par les activités de l’entreprise et par ses relations d’affaires qu’elles soient directes ou indirectes dans sa chaîne de valeur. Cette idée est assez perceptible s’agissant des employés de l’entreprise qui peuvent bénéficier de conditions de travail améliorées ou, au contraire, souffrir de conditions défavorables. C’est aussi très parlant en ce qui concerne les clients qui eux, peuvent être affectés par la qualité des produits ou des services qui leurs sont proposés par l’entreprise. Quant aux fournisseurs, ils peuvent voir leurs relations commerciales influencées par certaines pratiques de l’entreprise comme c’est le cas lorsqu’il y’a des retards de paiement. Prendre en considération les communautés locales est également très important dans la mesure où celles-ci peuvent être affectées par les activités de l’entreprise plus particulièrement en ce qui concerne l’environnement.
Par conséquent, il apparaît primordial de prendre en considération les attentes de ces différentes parties lors de l’analyse de double matérialité afin que les résultats obtenus reflètent réellement la situation de l’entreprise. Par ailleurs, la consultation de ces parties permet de faire remonter les informations recueillies aux organes de décision afin qu’elles soient prises en compte lorsque les décisions stratégiques de l’entreprise sont prises. Le second groupe de parties prenantes sont les utilisateurs du rapport de durabilité. Il peut s’agir d’organisations qui s’intéressent aux informations financières ainsi qu’aux données de durabilité divulguées dans les rapports. Ceux-ci sont appelés “utilisateurs des rapports de durabilité”.
Ces utilisateurs peuvent être des investisseurs mais aussi des créanciers qui ont un intérêt à s’informer sur les données de durabilité de l'entreprise. Il peut donc s’agir des gestionnaires d’actifs, des établissements de crédit, des entreprises d’assurance qui peuvent évaluer la durabilité de l’entreprise avant de nouer avec elles des relations commerciales. Les syndicats et partenaires sociaux ainsi que les ONG sont également des utilisateurs importants qui peuvent jouer un rôle crucial. En effet, ces derniers peuvent influencer positivement les décisions de l’entreprise en matière de conditions de travail et de responsabilité sociale.
Quant aux pouvoirs publics, ils utilisent ces informations pour orienter les lois et réglementations afin d’encourager les pratiques commerciales responsables. La consultation des parties prenantes est une interaction et un dialogue permanent entre l’entreprise et ses parties intéressées. La première étape consiste à identifier les parties intéressées qui sont susceptibles d’être impactées par les activités de l’entreprise ou susceptibles d’influencer ces mêmes activités. Il est important de dresser une liste exhaustive afin de s'assurer qu’aucune partie importante ne soit laissée de côté. Lorsque l’entreprise identifie clairement ses parties intéressées, elle passe à l’étape de la planification de la consultation.
A ce stade, l’entreprise doit avoir une idée claire et précise des objectifs de la consultation. Définir les objectifs de la consultation permet à l’entreprise de déterminer les méthodes qu’elle entend utiliser pour recueillir les avis et les retours. La nécessité d’un calendrier précis est évident. Il peut s’agir d’enquêtes, d’ateliers participatifs ou encore de réunions.
La méthode de consultation est choisie en fonction de la partie intéressée afin de créer un cadre rassurant propice aux échanges. L’entreprise se doit d’apporter une attention particulière à la collecte des données afin que les analyses soient fidèles aux retours des parties prenantes. Il ne suffit pas de consulter les parties prenantes. L’entreprise doit assurer un suivi et une communication qui s’inscrit dans la durée. Il est important d’informer les parties ayant été interrogées des résolutions qui ont été prises et des actions mises en place en réponse à leurs attentes (Thierry Bonneau, 2024). Dans le cadre du rapport de durabilité, la CSRD demande une transparence sur la consultation des parties prenantes. Il s’agit d’une exigence de publication découlant de l’ESRS 2 SBM-2 qui concerne les intérêts et points de vue des parties intéressées.
B- Des structures de gouvernance à l’image de l’extension de la responsabilité de l’entreprise
Traditionnellement les organes de direction et d’administration sont responsables à l’égard de l'entreprise, des actionnaires. Ainsi, ils rendent compte de la gestion de l’entreprise aux actionnaires. La direction de l’entreprise était celle chargée principalement de la rédaction et de la publication de la Déclaration de Performance Extra-Financière. Cette responsabilité était généralement assumée en étroite collaboration avec les départements dédiés à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et les équipes financières. En effet, la direction devrait veiller à ce que les informations divulguées à travers la DPEF reflètent fidèlement les pratiques de durabilité de l’entreprise tout en respectant les réglementations en vigueur.
Avec l’introduction du rapport de durabilité, les préoccupations des employés, des fournisseurs, des communautés locales, des clients sont davantage prises en compte. Les organes d’administration, de direction et de surveillance des entreprises ont aujourd'hui une responsabilité collective importante en matière de divulgation des informations de durabilité Intérêts et points de vue des parties intéressées dans le cadre des nouvelles exigences réglementaires. Cette responsabilité endossée collectivement signifie que ces différents organes doivent s’assurer que le rapport de durabilité respecte les directives qui représentent la base légale du rapport mais aussi les normes ESRS. Ils doivent également s’assurer que le rapport répond aux exigences de balisage électronique rendant l’information publiée accessible et lisible. Cela implique une collaboration des organes de gouvernance sur les questions de durabilité.
Il n’est plus approprié que la responsabilité de la durabilité soit déléguée à une seule entité ou à un individu au sein de l’organisation. Par conséquent, chaque membre des organes d’administration, de direction et de surveillance doit comprendre son rôle dans la durabilité et agir proactivement afin de promouvoir des pratiques durables. De plus, il incombe aux organes de gouvernance de veiller à ce que les rapports de durabilité soient élaborés et diffusés de façon transparente et qu'ils soient en accord avec les attentes de la directive. Cela requiert une surveillance accrue du processus de divulgation, ainsi qu’une intégration systématique des critères de durabilité dans le processus décisionnel de l’entreprise. Autrement dit, les choix stratégiques et opérationnels doivent maintenant prendre en compte les enjeux de durabilité et les attentes des parties prenantes. C’est une démarche qui requiert un engagement fort des organes de gouvernance pour promouvoir une culture de transparence au sein de l’entreprise.
Ainsi, les organes de gouvernance contribuent à renforcer la crédibilité et la confiance des parties prenantes tout en faisant de l'entreprise un acteur responsable et impliqué dans la transition vers une économie plus durable.
Par ailleurs, les engagements pris à l’égard des parties prenantes et de l’environnement au sens strict du terme doivent être formalisés dans des documents appelés politiques. Les parties prenantes pourront donc se prévaloir dans leurs relations avec l’entreprise de tous les engagements mentionnés dans ce document. Ces dernières ont désormais des documents formalisés qui peuvent leur permettre de réclamer certaines choses ou de reprocher certains comportements à l’entreprise.
Il y a clairement une extension de la responsabilité des organes de gouvernance qui traditionnellement étaient responsables à l’égard des actionnaires sur la base des documents internes à l’entreprise tels que les statuts, les mandats et bien d’autres, à l’égard des parties prenantes qu’elles soient internes ou externes. Cette situation permet de responsabiliser davantage les organes de gouvernance favorisant ainsi une transparence de celle- ci.
II - Une exigence de vérification accrue
Conformément à la directive, la vérification des rapports de durabilité est une condition cruciale pour garantir la crédibilité des données publiées par les entreprises. Les entreprises doivent donc faire vérifier leurs rapports de durabilité par des professionnels accrédités pour un processus de vérification plus rigoureux (A) justifiant de sa portée non négligeable (B).
A- Des professionnels accrédités pour un processus de vérification plus rigoureux
Les vérificateurs de rapports de durabilité occupent une place de choix dans la recherche de qualité d’informations de durabilité divulguées. Ce sont des professionnels chargés de vérifier le rapport de durabilité qui ont pour mission non seulement l’évaluation de la conformité mais aussi de la véracité des informations divulguées par l’entreprise (Arnaud Lecourt, 2024). Ils sont désignés par les entreprises. En effet, la nomination se fait selon les dispositions des statuts de l’entreprise ou en assemblée générale des actionnaires. Les vérificateurs qui vérifient le rapport de durabilité sont généralement ceux chargés de certifier les comptes financiers de l’entreprise. Autrement dit, ce ne sont pas des personnes totalement étrangères à la situation et au domaine d’activité de l’entreprise. On distingue les commissaires au compte et les Organismes Tiers Indépendants (OIT). S’agissant des commissaires aux comptes, ils ont déjà une expertise en ce qui concerne les l’audit financier mais aussi en conformité réglementaire. Cette casquette leur permet de vérifier l’exactitude des informations divulguées par l'entreprise sur les questions de durabilité mais aussi d’attester de la conformité ou pas aux attendus de la CSRD. Toutefois, qu’ils soient commissaires aux comptes ou OTI, les vérificateurs doivent se concerter entre eux afin que les informations qu’ils communiquent aux différentes entreprises soient homogènes et qu’il n’y ait pas de divergences de lecture et d’interprétation des exigences de la norme. La CSRD impliquant une obligation de transparence et non une obligation de faire, les CAC et les OTI attendent de l'entreprise qu’elle divulguent des données qu’elles soient narratives ou quantitatives fidèles à la situation de l’entreprise (Anne Stevignon, Transposition de la CSRD : les derniers détails sont désormais fixés, 2024). Le processus de vérification du rapport de durabilité se fait selon plusieurs étapes définies conjointement avec les entreprises. L’objectif de la vérification est de vérifier la conformité aux exigences de la CSRD. Il faut rappeler que la CSRD est une obligation de transparence et non une obligation de faire. Ainsi, la vérification porte sur ce que l’entreprise a rapporté parce que jugé matérielle. Une première phase de la vérification consiste alors à prendre connaissance de la situation de l’entreprise en examinant les points de données sur lesquels elle entend communiquer après son analyse de double matérialité. Pour ce faire, l’entreprise transmet le fichier IG 3 de l’EFRAG qui contient tous les points de données attendus par la norme. Elle se charge de mentionner les points de données jugés matériels à l'issue de son analyse de double matérialité et les points de données transversales sur lesquels elle communique également. L’entreprise a la possibilité de demander une anticipation des tests. Cette étape consisterait en la vérification de la méthodologie de calcul des données quantitatives. Elle a également la possibilité de soumettre une version anticipée du rapport de durabilité afin de recueillir les premières observations des vérificateurs. Le rôle des vérificateurs ne consiste pas en une intervention seulement en fin de rédaction du rapport. Les entreprises ont la possibilité d’échanger couramment avec les vérificateurs afin d’avoir des éclaircissements non seulement sur la manière dont les vérifications se feront mais pour soumettre au fil de l’eau les travaux afin d’avoir des remarques et des propositions de correction lorsque la situation le nécessite.
B- La portée des vérifications
Le passage de la déclaration de performance Extra- financière au rapport de durabilité implique une modification importante du niveau d’assurance des informations rapportées par les entreprises. Cette évolution est importante car elle permet d’avoir des données fiables qui répondent aux exigences des parties prenantes. La vérification de la DPEF est généralement effectuée avec un niveau d’assurance qualifié de limité. En d’autres termes, le tiers indépendant qui vérifie les informations rapportées par l’entreprise, réalise des procédures de vérification moins étendues que celles attendues pour le rapport de durabilité. Concrètement, l'organisme vérificateur se focalise sur des revues analytiques et des enquêtes limitées pour identifier des incohérences dans les données.
Toutefois, le niveau d’assurance limité permettait de répondre aux exigences de transparence de la DPEF. Il ne peut cependant pas garantir le niveau de confiance attendu par la CSRD du rapport de durabilité. L’introduction de la CSRD requiert un niveau d’assurance plus élevé. Il est désormais question d’une assurance modérée. Les procédures de vérification mises en place seront beaucoup plus approfondies et rigoureuses. La vérification porte non seulement sur la conformité de l’information de durabilité incluant les normes ESRS mais également sur les processus qui sont mis en œuvre pour déterminer les informations publiées sans oublier le respect de l’exigence de balisage et le respect des exigences de publication liées à la taxonomie verte. Les organismes de vérification devront adopter une méthode plus exhaustive qui devra inclure des tests de détails mais également des évaluations systématiques des processus de collecte de de données. L’objectif de ce renforcement de la vérification est de garantir de manière plus précise et fiable les informations qui sont fournies. Cette vérification permet aussi de garantir que les chiffres fournis sont bien en adéquation avec la situation réelle de l’entreprise.
La vérification approfondie dont fait objet le rapport de durabilité permet aux entreprises de procéder à une amélioration continue des pratiques de durabilité. En effet, l’entreprise a la possibilité de voir à quel niveau se trouve ses écarts. Elle peut ainsi y remédier.
Sources
Thierry Bonneau, A. d.-A. (2024). Le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Revue des sociétés, p. p.223.
Anne Stevignon, D. e. (2024). Transposition de la CSRD : les derniers détails sont désormais fixés. Dalloz actualité.
Arnaud Lecourt, P. d. (2024). Transposition de la directive CSRD. RTD Com., p. p.99.
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L’introduction du concept de la double matérialité comme base d’une approche globale et intégrée des sujets de durabilité
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Une structure d'état de durabilité davantage rigoureuse grâce aux normes ESRS
http://www.juristes-environnement.com/article_detail.php?id=6873