
L'appréciation d'une modification substantielle apportée à une installation classée : publication d'une circulaire
Par Marine BATTEZ
Juriste en Droit des Affaires et Environnement
STORENGY-GDF SUEZ
Posté le: 29/06/2012 9:45
Au titre de l’article R.512-33 du Code de l’environnement, « toute modification apportée par le demandeur à l'installation, à son mode d'utilisation ou à son voisinage, entraînant un changement notable des éléments du dossier de demande d'autorisation doit être portée, avant sa réalisation, à la connaissance du préfet avec tous les éléments d'appréciation. S'il estime, après avis de l'inspection des installations classées, que la modification est substantielle, le préfet invite l'exploitant à déposer une nouvelle demande d'autorisation. Une modification est considérée comme substantielle, outre les cas où sont atteints des seuils quantitatifs et des critères fixés par arrêté du ministre chargé des installations classées, dès lors qu'elle est de nature à entraîner des dangers ou inconvénients significatifs pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 ». Qu’est-ce qu’une « modification substantielle » ? La loi ne le précise, ce qui a pour conséquence de rendre cette notion floue, subjective et partant source d’insécurité juridique et économique pour l’exploitant en proie à l’éventuelle nécessité de déposer une nouvelle demande d’autorisation. Une circulaire du 14 mai 2012, émanant du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, vise à fournir aux préfets et aux services en charge de l’inspection des installations classées un cadre de référence homogène pour l’application de l’article susmentionné, soit des éléments d’appréciation du caractère substantiel de la modification.
A titre liminaire, rappelons que sur le plan juridique, la présente circulaire, n’a aucune valeur réglementaire et par conséquent ne saurait être opposable aux tiers sauf reprise de dispositions réglementaires. Dès lors l’exploitant serait en droit d’attaquer une décision administrative défavorable qui se fonderait directement sur les critères posés par la circulaire sans autre motivation.
La circulaire distingue trois situations dans lesquelles il convient de considérer qu’il s’agit d’une modification substantielle : lorsque la modification conduit au dépassement de certains seuils de la nomenclature ICPE, ou de la directive IPPC / IED, ayant pour conséquence un changement du régime réglementaire applicable à l’installation ; lorsque sont dépassés certains seuils réglementaires portant sur l’ampleur de la modification ; et enfin lorsqu’au terme d’une évaluation au cas par cas, il est établi que la modification entraîne des dangers ou inconvénients « significatifs » pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l’environnement. En d’autres termes, il s’agit d’une modification substantielle lorsqu’elle entraîne le dépassement de seuils et critères (1). En l’absence ou en deçà de ces seuils, elle pourra être jugée comme telle au terme d’un examen au cas par cas (2).
1) LE DEPASSEMENT DE SEUILS
La circulaire relève deux types de seuils : ceux fixés par les directives IPPC/IED et Seveso et ceux issus de l’arrêté ministériel du 15 décembre 2009 et mentionnés aux articles R 512-33, R 512-46-23 et R512-54 du code de l’environnement.
Tout d’abord, une modification de l’installation qui entraînerait un dépassement des seuils techniques fixés par la directive IPPC/IED ou du seuil haut de la directive Seveso devrait être jugée comme substantielle. Le dépassement de ces premiers seuils entraîne des modifications importantes en terme de contenu du dossier d’autorisation à fournir, de conditions d’autorisation ainsi qu’en terme de perception par le public de l’importance de l’installation. Dès lors, le fait de basculer dans ce type de régime réglementaire implique de réviser l’étude d’impact afin d’engager une comparaison avec les meilleures techniques disponibles. De la même manière, le basculement en installation classée soumise à autorisation avec servitudes (seuil haut) nécessite une révision du contenu de l’étude de dangers de façon à se conformer aux exigences de la directive. Eu égard aux enjeux d’un tel basculement, il apparaît logique qu’une nouvelle demande d’autorisation doive être initiée.
La circulaire prend également en compte le dépassement de seuils et critères fixés par l’arrêté ministériel du 15 décembre 2009 conduisant systématiquement à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’autorisation. Ainsi, concernant les installations utilisant des solvants organiques, relevant de la directive COV (désormais intégrée dans la directive IED), la modification devra être considérée comme substantielle soit lorsque l’augmentation des rejets de COV est supérieure à 25 % pour des petites installations ou 10 % pour des grandes installations ; soit lorsque l’augmentation de capacité de production ou de consommation annuelle de solvants dépasse les seuils de l’annexe II. Concernant les installations relevant de la directive IPPC/IED, la modification devra être considérée comme substantielle lorsque l’augmentation de capacité dépasse en elle-même les seuils de l’annexe III. Enfin, concernant les industries chimiques et pétrolières, relevant de la directive « études d’impact », une augmentation de capacité supérieure à 200 000 t/an est substantielle.
2) EXAMEN AU CAS PAR CAS DE LA MODIFICATION
La circulaire précise qu’ « en cas de modification ou d’extension en deçà des seuils mentionnés ci-dessus ou en leur absence, les modifications doivent faire l’objet d’un examen au cas par cas ». Au terme de cet exam et à lumière des éléments fournis par l’exploitant, la modification sera substantielle, si elle entraîne des dangers ou inconvénients nouveaux significatifs ou si les dangers et inconvénients sont significativement accrus.
La circulaire apporte des éléments d’appréciation en fonction des différents cas de modification susceptibles d’intervenir à savoir : le développement d’une nouvelle activité, la soumission à une nouvelle rubrique, l’extension de capacité d’une activité d’une même rubrique, l’augmentation des rejets et nuisances, l’extension géographique de l’installation, l’accroissement des risques accidentels, la prolongation de la durée de fonctionnement, le changement de la nature ou de l’origine des déchets pour les installations de traitement de déchets, la modification du plan d’épandage et enfin la modification temporaire de l’installation.
Selon la circulaire et à titre d’exemple, « la mise en place sur un site existant d’une nouvelle activité permanente est en principe de nature à présenter des dangers et inconvénients nouveaux. Il convient ainsi de considérer, de manière générale, que ceux-ci sont significatifs dès lors que cette nouvelle activité constituerait, prise séparément, une installation relevant d’une procédure d’autorisation ». Egalement, concernant l’augmentation des rejets, « une faible augmentation des rejets peut être considérée comme significative et justifier d’une nouvelle procédure d’autorisation, si elle intervient dans un milieu sensible. A l’inverse, une augmentation plus forte dans un milieu ne présentant pas de sensibilité particulière peut être considérée comme non significative ».
Enfin, précisant que cette décision revêt « souvent une importance particulière pour les entreprises développant des projets », la circulaire accorde une certaine importance au délai de réponse qui se doit d’être relativement bref. Ainsi, il leur est demandé de répondre « dans un délai maximal de deux mois, à partir du moment où l’exploitant aura transmis les éléments d’appréciation nécessaires ». Lorsqu’il ne s’agit pas d’une modification substantielle, mais qu’il apparaît nécessaire d’encadrer la modification par un arrêté complémentaire, la rédaction d’un tel arrêté peut nécessiter des délais supplémentaires. Toutefois, il convient d’indiquer rapidement à l’exploitant qu’il ne s’agit pas d’une modification substantielle afin de lui permettre d’engager sa réalisation parallèlement à l’élaboration de l’arrêté complémentaire.
En conclusion, même si la marge de manœuvre des préfets et des services en charge de l’inspection des installations classées demeure large, ceux-ci devraient être mieux armer pour apprécier de manière la plus objective, efficace et homogène possible le caractère substantielle d’une modification apportée à une installation classée pour la protection de l’environnement.