I- La responsabilité du service public hospitalier en matière de produits défectueux

L’arrêt Conseil d'État du 10 juillet 2024 met en exergue le principe fondamental de la responsabilité sans faute des services hospitaliers (A) ainsi que la possibilité de l’exercice d’une action récursoire(B).

A. Responsabilité sans faute des établissements de santé

La décision du Conseil d'État du 10 juillet 2024 rappelle le principe fondamental selon lequel le service public hospitalier, en l'occurrence le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Rennes, est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables résultant de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise.

Ce principe de responsabilité sans faute s'applique lorsqu'un établissement de santé implante un produit défectueux lors d'une intervention chirurgicale, engageant ainsi sa responsabilité envers le patient.

Or dans le cas d’espèce, c’est à la suite de l’opération selon les éléments contenus dans le dossier soumis aux juges du fond, que Mme B a subi, en 2006, une intervention chirurgicale au sein du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Rennes, consistant en la pose d'une prothèse totale du genou droit.

Suite à cette intervention, elle a présenté des douleurs résiduelles significatives ainsi que des troubles fonctionnels, qui ont conduit à la nécessité de remplacer sa prothèse en juin 2013. Ainsi il a été établi que c’est la transplantation de la prothèse qui était à l’origine de ses douleurs d’où la condamnation du CHU de Rennes.
Cette approche vise à garantir une indemnisation rapide et efficace des victimes, en reconnaissant que les patients ne doivent pas subir les conséquences des défaillances des dispositifs médicaux


B. Action récursoire contre le producteur

Le juge de la Cour de cassation rappelle qu'un établissement de santé peut être condamné à indemniser un patient en raison d'un produit défectueux, il peut rechercher la responsabilité du producteur sur le fondement des articles 1245 à 1245-17 du Code civil, qui régissent la responsabilité du fait des produits défectueux.

Toutefois, cette action récursoire permet à l'établissement de santé, en l'espèce le CHU de Rennes, d'engager la responsabilité du producteur, en l'occurrence la société Zimmer GMBH qui ne peut se prévaloir du délai de10 ans car il a commis une faute.

Le Conseil souligne que dans un tel cas, la responsabilité du producteur peut être engagée indépendamment de la question de savoir si le produit n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Cette possibilité d'action récursoire est essentielle pour assurer un équilibre entre les responsabilités respectives des producteurs et des établissements de santé.

II. Analyse des circonstances de la défaillance du produit et de la responsabilité du producteur

Pour se prononcer, le juge a évalué la négligence dans le choix du conditionnement de la prothèse tibiale (A). Cette décision vient renforcer la position de la jurisprudence sur la question (B).

A. Évaluation de la négligence du producteur

Le Conseil d'État a examiné les circonstances entourant l'implantation de la prothèse tibiale défectueuse chez Mme B.

Il a été établi que l'usure prématurée de cette prothèse était due à un conditionnement inapproprié, perméable à l'oxygène, causant ainsi la dégradation et l'usure prématurée du polyéthylène pendant le stockage.

Cette négligence dans le choix de l'emballage constitue une faute du producteur, la société Zimmer GMBH, susceptible d'engager sa responsabilité sur un fondement distinct des articles 1245 à 1245-17 du Code civil. Le Conseil d'État souligne que cette faute présente un lien direct et certain avec les dommages subis par Mme B, ce qui renforce l'idée que les producteurs doivent respecter un devoir de vigilance quant aux risques associés à leurs produits.


B. Conséquences pour la jurisprudence et les pratiques futures


Cette décision a des implications significatives pour la jurisprudence en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Elle rappelle aux producteurs leur obligation d'assurer la sécurité et la qualité de leurs produits tout au long de leur cycle de vie, y compris lors du conditionnement et de l'information fournie aux utilisateurs finaux.

En outre, elle souligne l'importance pour les établissements de santé, tels que le CHU de Rennes, d'exercer leur droit à action récursoire afin d'obtenir réparation auprès des producteurs en cas de préjudice causé par des dispositifs médicaux défectueux. Cette dynamique pourrait inciter les producteurs à renforcer leurs pratiques en matière de contrôle qualité et d'information afin d'éviter d'éventuelles responsabilités.

Cette décision du Conseil d'État sur la responsabilité du fait des produits défectueux met en lumière les enjeux cruciaux liés à la protection des usagers dans le secteur de la santé. En affirmant une responsabilité sans faute pour les établissements publics tout en permettant une action récursoire contre les producteurs pour faute, cette décision établit un cadre juridique équilibré qui vise à protéger les patients tout en encourageant l'innovation responsable dans le domaine médical.
Les implications juridiques sont vastes, tant pour les établissements que pour les producteurs, soulignant l'importance d'une vigilance accrue dans la conception et la commercialisation des dispositifs médicaux.



Source: Actualité du Droit Lamy via https://www-actualitesdudroit-fr.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/browse/public/droit-public-general/45354/actions-recursoires-d-un-etablissement-public-de-sante-contre-le-producteur-defaillant-faits-presentant-un-caractere-fautif