Droit constitutionnel de l’environnement et droit des générations futures
Par Mireille Besseyaki Bony
Chargee de mission RSE
CDC Habitat
Posté le: 19/09/2024 22:01
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I- Une reconnaissance implicite du droit des générations futures par le conseil constitutionnel après l’effacement de la mention explicite dans le code de l’environnement
La décision du Conseil constitutionnel suite à la QPC constitue un moment décisif dans l'évolution du droit constitutionnel de l’environnement. Elle représente un premier pas vers la reconnaissance du droit reconnu à chaque personne de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et la réversibilité des atteintes à l’environnement aux générations futures (B) après une fuite en avant qui avait eu lieu avec la suppression de la mention explicite les visant directement (A).
A- Une fuite en avant avec l’effacement de la mention explicite visant les générations futures
L’expression “générations futures” n’est pas si récente. Après les bombardements atomiques qu’ont subi Hiroshima et Nagasaki, des séquelles tant sur le plan physique que psychologique ont été observées sur les générations d’après. Il fallait donc réagir. En 1991, l’expression « générations futures » est introduite en droit français. A cet effet, l’article L 542-1 du code de l’environnement était formulé comme suit : « la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue doit être assurée dans le respect de la protection de la nature, de l’environnement et de la santé, en prenant en considération les droits des générations futures ». Le débat à ce stade ne devrait n’avait pas lieu d’être. Le code de l'environnement visant ainsi expressément les générations futures créait un droit à leur profit et une obligation à la charge de la présente génération non seulement du respect de ce droit mais aussi de la prise en compte de ce droit dans les décisions pouvant les affecter. La complexité et le risque de la multitude d’implications de cette position ont très vite été compris. En effet, l’article L 542-1 du code de l’environnement va faire l’objet d’une réécriture. La loi de programme numéro 2006-739, datée du 28 juin 2006, concernant la gestion durable des matières et des déchets radioactifs, a été adoptée dans le cadre d'une procédure d'urgence. Elle a permis de reformuler l’article L 542-1 du code de l’environnement. Cette fois, l’article ne vise pas expressément les générations futures et donc aucune référence faite en ce qui concerne leurs droits. Toutefois, il est signifié la nécessité de limiter la charge de gestion des déchets radioactifs
transmise aux générations futures en adoptant le stockage géologique pour passer à un modèle de gestion passive.
Cependant, cette manoeuvre qui ressemble fortement à une fuite en avant n’aurait pas servi à grand chose au regard de la réponse du Conseil Constitutionnel à la QPC relative à la constitutionnalité de l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016.
B- Le droit reconnu à chaque personne de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et la réversibilité des atteintes à l’environnement étendues aux générations futures
Le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, ainsi que les textes et principes auxquels il fait référence, ont été reconnus comme ayant une valeur constitutionnelle par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Cela inclut la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, comme en témoigne cette décision n°73-51 DC du Conseil constitutionnel du 27 décembre 1973. De même, le préambule de la Constitution de 1946 a été reconnu comme ayant cette valeur, comme en atteste la décision n°74-54 DC du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975. Ces organes juridictionnels ont également accordé une importance similaire aux principes fondamentaux consacrés par les lois de la République. La Charte de l’environnement ne reste pas en marge vue qu’elle est mentionnée au préambule de la constitution. Toutefois, il persistait un doute quant à la valeur normative du préambule de la Charte de l’environnement. La réécriture de l’article L 542-1 du code de l’environnement n’a pas permis d’avoir plus de clarté; elle a au contraire semé une sorte de doute car le préambule en particulier le considérant 7 vise les générations futures tandis l’article réécrit efface la référence aux droits des générations futures.
Dans une QPC relative à la constitutionnalité de l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 posé par l’association Meuse nature environnement et une trentaine d’autres associations de protection de l’environnement, le Conseil Constitutionnel, les requérants reprochaient aux dispositions en question d’être incapables d’assurer la réversibilité du stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde au-delà d'une période de cent ans. Ils estimaient également que cela empêchait les générations futures de revenir sur cette décision, alors que les dommages irréversibles à l'environnement, notamment à la ressource en eau, pourraient compromettre leur capacité à répondre à leurs besoins. Enfin, ils arguent que ces dispositions violaient le droit des générations futures à un environnement sain et équilibré, ainsi que les principes de solidarité et de fraternité entre les générations, qu'ils demandaient au Conseil constitutionnel de reconnaître.
En réponse à ces préoccupations, le Conseil Constitutionnel répond « qu'il découle de l'article 1er de la Charte de l'environnement éclairé par le septième alinéa de son préambule que, lorsqu'il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des
générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard ». Il faut noter que l'article 1er de la Charte de l'environnement consacre le droit fondamental de chaque individu à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Ce droit à travers cette décision a été étendu également aux générations futures. Le législateur ne peut apporter des limitations à ce droit que s’il y a des exigences constitutionnelles si ces limitations sont justifiées par un motif d'intérêt général. Limitations qui doivent être proportionnées à l'objectif poursuivi. A ce stade, ce n’est pas la
constitutionnalité ou pas de l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement qui nous importe le plus mais l’obligation que le Conseil d’Etat reconnaît au législateur de tenir compte des générations futures en leur assurant de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel souligne que la satisfaction des besoins de la génération actuelle ne doit pas se faire en méconnaissance de la liberté de choix des générations futures. En d’autres termes, les générations futures doivent pouvoir faire leurs propres choix quant à la gestion des ressources. Il n’est donc pas envisageable de prendre des décisions irréversibles qui vont les contraindre à se cantonner aux choix qui ont été faits par les générations précédentes. Il faut donc garantir la réversibilité des atteintes à l'environnement. A cet sujet, le Conseil constitutionnel a estimé que le stockage de déchets radioactifs respecte les exigences protégées par la Charte de l’environnement en ce sens qu’au regard de la dangerosité et de la durée de vie de ces déchets, susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l'environnement et aussi au regard de l’état des connaissances actuelles, les garanties prévues assurent la réversibilité.
II- Le contentieux lié à la reconnaissance des droits des générations futures par le droit constitutionnel environnemental
Le Conseil Constitutionnel opère un contrôle de constitutionnalité qui est un processus juridictionnel qui vise à vérifier la conformité des lois à la Constitution. Ce contrôle permet de garantir le respect de la loi fondamentale par les différents textes de lois. A cet effet, il dispose d’un cadre de contrôle bien déterminé (A) qui sera probablement très sollicité au regard du vaste champ de contentieux que peut impliquer la reconnaissance des droits des générations futures ( B).
A- Le cadre du contrôle du Conseil Constitutionnel
Dans sa décision n° 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023, le Conseil Constitutionnel a tenu à rappeler le cadre dans lequel s’exerce son contrôle. Avant de voir les précisions qu’il a pu apporter, il paraît nécessaire de présenter les composantes du contrôle de constitutionnalité dont il dispose. Le Conseil constitutionnel dispose d’un choix assez large en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité. A cet effet, il dispose du contrôle de la nécessité , du contrôle de la proportionnalité et du contrôle de l’adéquation. Le contrôle de la nécessité, également appelé contrôle d'opportunité, permet au conseil constitutionnel d'évaluer la nécessité d’une loi au regard de la réalisation des objectifs constitutionnels et au respect des principes fondamentaux de la Constitution. Ce contrôle va porter sur les motifs et les objectifs des textes de loi et analyser leurs incidence sur les droits et libertés protégés par la constitution. Il est question de veiller à ce que les lois que le Parlement adopte ne rentrent pas en contradiction avec les principes essentiels de la Constitution. Quant au contrôle de la proportionnalité, il vise à apprécier si une mesure législative est proportionnée aux objectifs poursuivis et si elle garantit le respect des droits fondamentaux protégés par la Constitution. Il s’agit d’analyser les restrictions afin de déterminer si les restrictions imposées trouvent leur justification tout en respectant le concept de société démocratique. S’agissant du contrôle d’adéquation, il permet d' évaluer si les moyens utilisés par un texte législatif sont appropriés pour atteindre des objectifs constitutionnels qui sont visés. Il est question d’apprécier la cohérence entre les objectifs poursuivis par le texte législatif et les moyens utilisés pour les atteindre.
Par conséquent, le Conseil constitutionnel prend soin de préciser qu'il ne lui appartient pas « de rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas, en l'état des connaissances scientifiques et techniques, manifestement inappropriées à ces objectifs ».
Autrement dit, le Conseil constitutionnel estime que dans le cadre de la QPC relative à la constitutionnalité de l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016, son contrôle se borne à vérifier que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées par rapport aux objectifs visés en l’état des connaissances scientifiques et techniques actuelles. En effet, l’association Meuse et les autres estiment que réversibilité n’est pas garantie car elle n’est prévue que sur 100 ans alors que les générations futures représentent toutes les générations à venir. Face à cela, le Conseil Constitutionnel estime qu’il ne contrôle que la conformité des textes. En d’autres termes, le contrôle de la nécessité, de la proportionnalité et de l’adéquation ne peut porter que sur des textes et non sur les objectifs visés par le législateur.
B- Un pas de géant vers une frénésie de contentieux environnemental impliquant les droits des générations futures
La reconnaissance du droit des générations futures est un pas tant important que risqué pour le droit de l’environnement. En effet, le droit de l’environnement ne se retrouve pas uniquement dans la Charte de l’environnement. C’est un droit qui trouve ses fondements dans divers textes. Reconnaître le droit des générations futures c’est permettre qu’il puisse être recherché dans l’ensemble du droit privé. Il serait donc temps de mettre en place des mécanismes de protection véritable des droits des générations futures. Des arguments juridiques nouveaux à la lumière de la reconnaissance des droits des générations futures seront de plus en plus soulevés. Cette situation risque de conduire à une incertitude juridique car une grande marge sera laissée à l’interprétation des textes si ceux-ci doivent se faire à la lumière des droits des générations futures. Par ailleurs, il faut reconnaître que la reconnaissance des droits des générations futures n’est que le début de ce qui doit être fait car il faut pouvoir assurer la mise en œuvre de la protection de ces droits avec des textes concrets. Le risque sera de penser que les textes existants sont capables d’assurer la protection de ces droits. Dans cette situation, on pourrait se retrouver face à une pluralité de jurisprudences instaurant ainsi un climat d’insécurité juridique.
Cependant, en dépit de tous ces risques et inquiétudes qui découlent de la reconnaissance des droits des générations futures, il faut se rendre à l’évidence du pas de géant que constitue cette reconnaissance par le droit constitutionnel de l’environnement.
Sources:
La lettre Lamy de l'Environnement, No 706, 10 novembre 2023
Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé précisé à la lumière de son préambule
Énergie - Environnement - Infrastructures n° 12, Décembre 2023, comm. 93 La Semaine Juridique Edition Générale n° 46, 20 novembre 2023, doctr. 1317 Revue pratique de la prospective et de l'innovation n° 2, Novembre 2023, dossier 11 La Semaine Juridique Edition Générale n° 49, 11 décembre 2023, doctr. 1428