La Cour fédérale australienne a prononcé une amende de 11,3 millions de dollars australiens à l’égard de MercerSuperannuation Limited ("Mercer"), soit plus de 6 millions d’euros. L'expert en gestion de l'épargne retraite a été reconnu coupable d'avoir fait des déclarations trompeuses sur le caractère durable et les engagements éthiques de certaines de ses options d'investissement pour la retraite
Cette condamnation fait suite à l’action en justice intentée contre Mercer par la Commission australienne des valeurs mobilières et des investissements (ASIC) courant 2023.
La pratique en cause était la promotion d’une partie des produits de Mercer sous l’étiquette « Sustainable Plus » qui permettait d’affirmer en théorie que ces options excluaient les entreprises œuvrant dans les secteurs suivants : les combustibles fossiles, l’alcool, ou encore les jeux de hasard. Or, la Cour a constaté que les membres ayant opté pour cette option avaient en réalité investi dans des entreprises impliquées dans lesdits secteurs supposés exclus telles que BHP Goup LTD, Heineken Holding NV, ou encore Cron Resorts Limited.
Ainsi ces pratiques ont été qualifiées par la Cour de Greenwashing ou écoblanchiment en français, c’est-à-dire une méthode de communication dans laquelle une organisation, une entreprise ou un produit se présente avec une image de marque plus écologique qu’elle ne l’est en réalité. Ces pratiques consistent ainsi à exagérer ou falsifier des caractéristiques écologiques dans le but d’attirer des consommateurs ou partenaires soucieux de l’environnement, alors même que les actions réelles de l’entreprises sont en décalage avec lesdites revendications. Selon l’ADEME (agence de la transition écologique), dans le même sens, le terme de greenwashing est utilisé pour qualifier toute allégation pouvant induire le public en erreur sur la qualité écologique réelle d'un produit ou d'un service ou sur la réalité de la démarche de développement durable d'une organisation, quelles que soient ses modalités de diffusion.
Les accusations de greenwashing portées contre Mercer n’ont pas été contestées par ce dernier qui s’est engagé à revoir son processus de communication interne après avoir présenté ses excuses à ses membres et clients.
En outre, dans quelle mesure la condamnation des pratiques de greenwashing de Mercer représente-t-elle une avancée bienvenue ?
L'affaire Mercer constitue un exemple significatif de condamnation du greenwashing dans le secteur des services financiers (I), reflétant ainsi la préoccupation croissante face à ces pratiques trompeuses (II).

I. L’affaire Mercer : un tournant décisif contre le greenwashing dans les services financiers

La sanction prononcée par la Cour fédérale australienne a permis d’envoyer un message clair aux autres acteurs du secteur financier (A) où les allégations environnementales trompeuses peuvent être lourdes de conséquences (B).

A. Un message fort, la sanction de la Cour fédérale australienne à l’attention des acteurs du secteur financier

La décision de la Cour est historique en Australie, l’ASIC n’ayant jamais porté d’affaires similaires devant la Cour fédérale. Sarah Court, vice-présidente de l’ASIC déclarait en ce sens « Il s'agissait de la première affaire d'écoblanchiment de l'ASIC portée devant la Cour fédérale ; un cas historique à la fois pour l’ASIC et pour le secteur des services financiers. Cela démontre l’importance de faire des déclarations environnement, social, gouvernance (ESG) précises aux investisseurs actuels et potentiels ». Ces allégations trompeuses ont ainsi permis de révéler l’incapacité pour l’entreprise Mercer d’une part à mettre en œuvre des systèmes adéquats afin de garantir la véracité des déclarations ESG relatives à ses produits de retraites et d’autre part sa défaillance dans la surveillance et le contrôle du respect de l’application de ses déclarations ESG.
En outre, les autres acteurs du secteur financier vont ainsi pouvoir procéder à la mise en place d’audits internes afin de vérifier également la conformité de leurs déclarations ESG à la réalité de leurs actions. Cela, d’autant plus que l’ASIC a émis plus de 270,000 de dollars australiens d’avis d’infractions afin de répondre à des préoccupations relatives à des allégations de greenwashing. En ce sens, deux autres affaires ont été portées par l’ASIC devant le Tribunal fédéral et sont en cours.

Ces actions sont encourageantes notamment au regard des conséquences néfastes de l’écoblanchiment dans le secteur particulier des services financiers.

B. Les répercussions sévères des allégations trompeuses dans le secteur financier

Le greenwashing dans le secteur financier est particulièrement grave du fait de la résonance que ces pratiques peuvent avoir. En effet, cela peut d’abord détourner des capitaux qui auraient pu être utilisés afin de soutenir des initiatives réellement durables, en trompant les investisseurs soucieux de l’environnement. Dans le même sens, cela peut également conduire à ce que des investisseurs financent, contre leur gré, des entreprises qui participent à la dégradation de l’environnement.
Par ailleurs, plus largement, le greenwashing dans le secteur financier peut également être responsable de la perturbation des marchés en créant une distorsion du marché par l’avènement d’avantages concurrentiels injustes à des entreprises qui ne respectent pas les normes ESG. Les pratiques nuisibles pour l’environnement seront alors favorisées au détriment d’une transition vers une économie plus durable. Des entreprises qui investissent réellement dans des pratiques durables et éthiques se retrouvent ainsi désavantagées et peuvent peiner à se distinguer sur le marché. Le secteur financier peut également être dévastateur vis-à-vis de la confiance des consommateurs et investisseurs, dénué de toute transparence et éthique.

Face aux répercussions du greenwashing dans le secteur financier, l'affaire Meler s'inscrit dans un élan mondial de lutte contre ces pratiques.

II. Une mobilisation mondiale, l’essor des initiatives contre les pratiques de greenwashing

Avec cette condamnation, l'Australie s'aligne sur les efforts internationaux de lutte contre le greenwashing, tant en matière de régulation (A) qu'en matière de sanctions appliquées par d'autres régulateurs (B).

A. Une convergence avec les standards internationaux

En Europe, la lutte contre le greenwashing est devenue une préoccupation croissante. D’abord, avec le Règlement sur la taxonomie (1) qui permet d’établir un système de classification afin de définir ce qui est susceptible d’être considéré comme une activité économique durable de sorte qu’il oblige les entreprises à fournir des informations claires et détaillées vis-à-vis de leurs impacts environnementaux. Plus ancienne, la Directive sur les informations non financières (NFRD) (2) imposait à plus de 11 000 entreprises de réaliser leur reporting extra-financier, c’est-à-dire de suivre et publier leurs performances ESG. Elle a permis d’instaurer une notion de responsabilité des entreprises, qui ne concernent pas exclusivement les performances économiques. Cette dernière a été remplacée par la Directive CSRD (3), qui a le même objectif que la NFRD tout en augmentant le nombre d’entreprises concernées ainsi qu’en améliorant la conscience environnementale des entreprises.
En outre, aux Etats-Unis, plusieurs réglementations et initiatives visent également à lutter contre le greenwashing. A titre d’illustration, la Féderal Trade Commission (FTC) a mis en place des Green Guides, qui consistent en un ensemble de directives afin d’aider les entreprises à éviter ce genre de pratiques dans leur marketing environnemental. La législation américaine sur la protection des consommateurs permet également de lutter contre ces allégations trompeuses.

En parallèle du renforcement des textes et normes encadrant ces pratiques, les sanctions se multiplient également.

B. Une harmonisation avec les sanctions appliquées par d’autres régulateurs

Le régulateur australien n’est pas le seul à sanctionner ces pratiques. Par exemple, en 2023, la France et plus précisément la Répression des fraudes a prononcé une amende à la société Décathlon ainsi qu’au fabricant de meubles Maisons du Monde pour des allégations environnementales trompeuses, du fait de preuves insuffisantes afin de justifier des affirmations telles que « écologique » ou « durable ». En Norvège également, la société H&M s’est vue reprocher d’utiliser la gamme « Conscious » pour ses vêtements, affirmant que l’entreprise ne fournissait pas suffisamment de preuves pour les justifier. Les sanctions peuvent aller des amendes financières à des interdictions de publicité ou encore des poursuites judiciaires.
Les autorités européennes font preuve d’un engagement croissant afin de lutter contre le greenwashing, en protégeant les consommateurs tout en favorisant une communication davantage transparente et honnête sur les questions environnementales.

(1) : RÈGLEMENT (UE) 2020/852 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088 ;
(2) : Directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 en ce qui concerne la publication d'informations non financières et d'informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes) ;
(3) : Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.