GOUVERNANCE : SELON LA CEDH, LES ÉTATS ONT L'OBLIGATION DE GARANTIR UNE PROTECTION EFFICACE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE.
Par Aime Jean Marie LOE BANG
Ingénieur QHSE
RENAULT GROUPE
Posté le: 17/08/2024 11:33
Dans une décision qualifiée d'historique pour la justice climatique, la Cour européenne des droits de l'homme reconnaît le droit à une protection efficace de la part des États contre les conséquences néfastes du changement climatique.
Le 9 avril dernier, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a examiné trois affaires concernant les changements climatiques, parmi les douze qui sont actuellement en attente devant elle. Cette juridiction internationale a marqué une avancée importante en matière de justice climatique en donnant gain de cause aux plaignantes dans l'affaire dite des « grands-mères suisses ». En revanche, elle a déclaré irrecevables les requêtes des six jeunes Portugais contre 33 États, ainsi que celle de Damien Carême contre l'État français.
La première a été rejetée pour non-épuisement des recours internes, comme l'exige pourtant la Convention européenne des droits de l'homme. La seconde a été jugée irrecevable en raison des liens limités du requérant avec la commune de Grande-Synthe, où les dommages ont eu lieu, bien qu'il en ait été le maire.
Dans l'affaire des grands-mères suisses, quatre femmes âgées et l'association Verein KlimaSeniorinnen Schweiz reprochaient à l'État suisse de ne pas avoir pris des mesures suffisantes pour atténuer les effets du réchauffement climatique, malgré les obligations imposées par la Convention européenne des droits de l'homme. Cette audience avait eu lieu le 27 septembre 2023, le même jour que celle concernant Damien Carême.
1- VIOLATION DU DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a conclu à une violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Selon la décision, cet article inclut un droit à une protection efficace de la part des autorités étatiques contre les graves effets néfastes du changement climatique sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie des individus.
La Cour souligne que le devoir principal d'un État contractant est de mettre en place et de faire appliquer concrètement des réglementations et des mesures destinées à atténuer les effets actuels et futurs, potentiellement irréversibles, du changement climatique.
Dans ce contexte, la CEDH rappelle que sa compétence se limite à l'interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles. Toutefois, compte tenu des engagements internationaux des États parties, notamment ceux pris dans le cadre de l'Accord de Paris, et des informations scientifiques fournies par le GIEC, les États ont l'obligation de mettre en œuvre des réglementations et des mesures pour prévenir l'augmentation des concentrations de gaz à effet de serre (GES) dans l'atmosphère et l'élévation de la température mondiale à des niveaux susceptibles d'avoir des conséquences graves et irréversibles sur les droits humains protégés par l'article 8.
Pour ce faire, les États doivent prendre des mesures de réduction des émissions de GES afin d'atteindre la neutralité carbone, en principe d'ici les trois prochaines décennies. À cet égard, les États sont tenus d'établir des objectifs et des calendriers appropriés, intégrés dans leur cadre réglementaire interne et servant de base aux mesures d'atténuation nécessaires, selon la Cour.
2- VIOLATION DU DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE
Bien que la Cour ait déclaré les plaintes des quatre individus irrecevables en raison de leur incapacité à démontrer leur qualité de victime, elle a néanmoins accepté l’action de l'association requérante. La Cour a conclu que la Confédération suisse n’a pas respecté les obligations que la Convention lui impose en matière de lutte contre le changement climatique. La Cour a souligné que « le processus de mise en place du cadre réglementaire interne pertinent comportait de graves lacunes, notamment un manquement des autorités suisses à quantifier, au moyen d’un budget carbone ou autrement, les limites nationales applicables aux émissions de gaz à effet de serre (GES) ». De plus, elle a noté que la Suisse n’a pas atteint ses objectifs de réduction des émissions de GES dans le passé.
La CEDH a également jugé que la Suisse a violé l’article 6 de la Convention, qui garantit le droit à un procès équitable. Selon la Cour, « le rejet de l’action intentée par l’association requérante, d’abord par une autorité administrative, puis par des tribunaux internes, à deux niveaux de juridiction distincts, constitue une atteinte au droit d’accès de l’intéressée à un tribunal ». Elle a également rappelé « le rôle clé que les juridictions nationales jouent dans les litiges relatifs au changement climatique ». La Cour a réaffirmé que, conformément aux principes de responsabilité partagée et de subsidiarité, ce sont d’abord les autorités nationales, en particulier les juridictions, qui doivent veiller au respect des obligations découlant de la Convention.
Corinne Lepage a qualifié cette décision de « décision historique à la CEDH » sur X (anciennement Twitter). Elle a ajouté que, bien que les règles de recevabilité demeurent strictes, « la carence des États en matière de climat constitue une violation des droits humains et du droit à la santé ».
Pour l’avocat et professeur de droit Arnaud Gossement, cette décision ouvre la voie à une nouvelle question dans le contentieux climatique : celle du respect de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il a cependant souligné que « le niveau d’exigence et de rigueur des requêtes devra être très élevé, et que le juge national devra d’abord être saisi » à la lumière de cette nouvelle jurisprudence.