L'introduction du devoir de vigilance dans le cadre législatif français marque une avancée significative vers une responsabilité accrue des entreprises en matière de droits de l'homme et de protection de l'environnement. La Directive (UE) 2024/1760 du Parlement Européen et du Conseil du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 et le règlement (UE) 2023/2859 impose aux entreprises de plus de 1000 salariés et un chiffre d’affaire supérieur à 450 millions d’euros de mettre en place un plan de vigilance pour identifier et prévenir les risques d'atteintes graves liés à leurs activités, ainsi que celles de leurs filiales, sous-traitants, et fournisseurs. Le devoir de vigilance couvre un large spectre d'activités des entreprises visées notamment leurs propres activités, les activités de leurs filiales, les activités de leurs partenaires commerciaux tout au long de la chaîne de valeur. Sont également concernées la production de biens ou la fourniture de services en amont et la distribution, le transport et le stockage des produits en aval.
Toutefois, la mise en œuvre de ce devoir de vigilance se heurte à des défis considérables auxquels les entreprises françaises vont devoir faire face. On pourrait alors se demander quels sont les principaux défis auxquels les entreprises françaises doivent faire face dans une démarche de mise en œuvre du devoir de vigilance? Cette question est cruciale, car elle touche non seulement à la complexité intrinsèque de la chaîne de valeur surtout pour les grandes entreprises, mais aussi à l’évolution constante du cadre juridique et réglementaire.
L'intérêt de ce sujet réside dans son impact profond sur la gouvernance d'entreprise et sa capacité à influencer positivement les pratiques commerciales à l'échelle mondiale.
En effet, le devoir de vigilance ne se limite pas à une obligation de conformité légale, mais il représente une opportunité pour les entreprises de renforcer leur réputation, d'améliorer leur gestion des risques et de répondre aux attentes croissantes des investisseurs et des consommateurs en matière de durabilité. Comprendre les défis qui s’imposent à elles permettrait aux entreprises de mieux diriger leurs efforts et de prendre des décisions en toute connaissance de cause.
La complexité intrinsèque des chaînes de valeur mondiales (I), le cadre juridique et réglementaire en constante évolution (II) constituent autant d'obstacles à surmonter pour les entreprises.

I- Défis liés à la complexité intrinsèque de la chaîne de valeur

La chaîne de valeur est une notion assez complexe à appréhender pour les entreprises. La standardisation de la cartographie des risques s’avère éprouvante au vu de la variabilité géographique et sectorielle des acteurs (A) nécessitant l’élaboration d’un plan de vigilance minutieux (B).

A- Une standardisation laborieuse de la cartographie des risques dûe à la variabilité géographique et sectorielle

La complexité de la chaîne d'approvisionnement représente un défi majeur pour les entreprises françaises dans la mise en œuvre du devoir de vigilance, en particulier lorsqu'il s'agit de cartographier les risques. La complexité de la chaîne d'approvisionnement exige des entreprises qu'elles adoptent une approche intégrée et stratégique pour cartographier et gérer efficacement les risques, tout en respectant les obligations légales et en renforçant leur réputation en tant qu'acteurs responsables.
Dans un contexte de mondialisation croissante, les entreprises opèrent souvent avec des réseaux de fournisseurs répartis sur plusieurs continents, chacun soumis à des régulations locales variées et à des pratiques commerciales distinctes. Cette diversité géographique et culturelle complique l'identification et l'évaluation des risques potentiels liés aux droits de l'homme et à l'environnement. La cartographie des risques devient ainsi une tâche herculéenne, nécessitant des ressources humaines et technologiques considérables pour assurer une surveillance continue et précise.
Par ailleurs, en ce qui concerne les grandes entreprises qui ont une pluralité de fournisseurs, c’est un exercice éprouvant d’avoir une vue d’ensemble de tous ces partenaires mais aussi et surtout, il est encore plus difficile d’identifier clairement les risques potentiels auxquels les exposent chacun d’eux.
Lorsque les parties prenantes et les principales sources potentielles de risques sont clairement identifiées, vient le moment où l’entreprise doit pouvoir compter sur une bonne collaboration de toutes les parties intéressées. En effet, il ne suffit pas d'identifier ses parties prenantes encore moins les risques potentiels d’atteinte des droits de l’Homme et de droit de l’environnement. Il est question de mettre en place un plan de vigilance efficace et de partager les bonnes pratiques afin qu’il y ait un effet de ruissellement permettant de prévenir les atteintes graves aux droits de l’Homme et au droit de l’environnement.


B- Une nécessaire élaboration d’un plan de vigilance efficace

L'élaboration de stratégies d'atténuation des risques identifiés dans le cadre du devoir de vigilance est une tâche complexe et cruciale pour les entreprises françaises. Une fois les risques évalués, les entreprises doivent mettre en place des mesures adaptées pour prévenir et atténuer les impacts négatifs potentiels sur les droits de l'homme et l'environnement. Cela inclut la réalisation d'audits réguliers, qui permettent de vérifier la conformité des pratiques des fournisseurs et de s'assurer que les normes de durabilité sont respectées tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Les audits doivent être rigoureux et systématiques, impliquant souvent des visites sur site et des évaluations détaillées des pratiques opérationnelles.
En parallèle, la formation continue des employés et des fournisseurs est essentielle pour sensibiliser toutes les parties prenantes aux enjeux de durabilité et aux exigences légales. Ces formations doivent être conçues pour renforcer les compétences en matière de gestion des risques et de conformité, tout en favorisant une culture d'entreprise axée sur la responsabilité sociale et environnementale. La mise en place de mécanismes de suivi et d'évaluation continue est également cruciale. Ces mécanismes permettent de mesurer l'efficacité des stratégies d'atténuation et d'apporter des ajustements en temps réel pour répondre aux évolutions des risques.
La coordination de ces efforts à travers l'ensemble de la chaîne de valeur nécessite une approche intégrée et collaborative. Les entreprises doivent établir des partenariats solides avec leurs fournisseurs, clients et autres parties prenantes pour garantir une mise en œuvre cohérente et efficace des mesures de vigilance. Cela implique une communication transparente et régulière, ainsi qu'un partage des meilleures pratiques et des leçons apprises. En adoptant une telle approche, les entreprises peuvent non seulement se conformer aux obligations légales, mais aussi renforcer leur réputation en tant qu'acteurs responsables et durables sur le marché mondial.

II- Un cadre juridique et réglementaire en constante évolution

Le cadre juridique et réglementaire est en constante évolution mettant ainsi les entreprises face à une rude mise en conformité (A) et une collecte de données sensibles chronophage nécessitant une protection accrue(B)

A- Une mise en conformité rude face aux normes évolutives

Le cadre juridique et réglementaire est très important dans le cadre de la mise en œuvre du devoir de vigilance en ce sens qu’il est censé fournir une structure claire et uniforme qui guide les entreprises dans l'identification, l'évaluation et la gestion des risques liés aux droits de l'homme et à l'environnement. Cela est particulièrement pertinent dans un contexte où les chaînes d'approvisionnement sont de plus en plus mondialisées et complexes. Un cadre réglementaire bien défini aide à harmoniser les pratiques à travers les différentes juridictions, réduisant ainsi les incohérences et les ambiguïtés qui pourraient survenir en l'absence de normes communes. Toutefois, ce cadre juridique et réglementaire n’est pas toujours que avantageux pour les entreprises. En effet, face aux normes en constante évolution, la mise en conformité devient un exercice éprouvant pour les entreprises.
L'introduction de la directive européenne sur le reporting de durabilité des entreprises, connue sous le nom de CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), illustre cette complexité. Cette directive impose des exigences accrues en matière de transparence et de publication d'informations sur la durabilité, obligeant les entreprises à adapter continuellement leurs pratiques de reporting et de gouvernance. La nécessité de se conformer à des normes variées à travers différentes juridictions ajoute une couche supplémentaire de complexité, car les entreprises doivent harmoniser leurs pratiques de vigilance tout en respectant les spécificités locales. Cette harmonisation est essentielle pour garantir une cohérence dans la communication des informations et pour éviter les incohérences qui pourraient nuire à la crédibilité des rapports de durabilité.
En parallèle, la mise en œuvre du devoir de vigilance expose les entreprises à des risques juridiques accrus. En cas de non-respect de leurs obligations, les entreprises peuvent faire face à des litiges coûteux et à des sanctions potentielles. Cela nécessite une gestion proactive des risques juridiques et une solide compréhension des implications légales de leurs actions. Les entreprises doivent donc investir dans des systèmes de conformité robustes et s'assurer que leurs équipes sont bien formées pour naviguer dans ce paysage réglementaire complexe. Une telle préparation est cruciale pour minimiser les risques de non-conformité et pour protéger la réputation de l'entreprise.
Cette complexité concerne également la collecte et la sécurité des données collectées des parties prenantes.

B- Le caractère chronophage de la collecte de données potentiellement sensibles

La gestion des données dans le cadre du devoir de vigilance pose des défis technologiques et informationnels significatifs pour les entreprises françaises. La collecte, l'analyse et le reporting des données ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) nécessitent des systèmes d'information avancés et intégrés, représentant un investissement technologique conséquent. Les entreprises doivent non seulement acquérir des outils capables de traiter des volumes importants de données, mais aussi développer une expertise interne pour interpréter ces informations de manière pertinente. Ce processus est chronophage, car il implique la mise en place de mécanismes de collecte de données fiables à travers des chaînes d'approvisionnement souvent complexes et mondialisées. La diversité des sources de données et la nécessité de les harmoniser pour obtenir une vue d'ensemble cohérente ajoutent une couche de complexité supplémentaire.
Par ailleurs, la sécurité et l'intégrité des données collectées sont cruciales pour éviter les fuites d'informations sensibles et garantir la fiabilité des rapports de durabilité. Les entreprises doivent mettre en œuvre des protocoles de sécurité robustes pour protéger ces données contre les cyberattaques et les accès non autorisés. Cela implique l'utilisation de technologies de pointe en matière de cybersécurité et la formation continue des employés pour sensibiliser aux bonnes pratiques de gestion des données. La protection des données est d'autant plus critique que les informations recueillies peuvent inclure des détails sensibles sur les pratiques des fournisseurs et les conditions de travail, dont la divulgation non contrôlée pourrait entraîner des conséquences juridiques et réputationnelles graves.
Cette démarche proactive est essentielle pour transformer les défis technologiques et informationnels en leviers de compétitivité et de résilience organisationnelle.