Parmi les neuf rapports publiés en 2023, le bureau mis en place après l'accident de Lubrizol formule plusieurs recommandations destinées aux industriels ainsi qu'au Gouvernement, visant à faire évoluer la réglementation en vigueur.
En 2023, le Bureau d'enquêtes et d'analyses pour les risques industriels (BEA-RI), établi en décembre 2020 dans le cadre des mesures post-Lubrizol, a initié douze nouvelles enquêtes techniques et publié neuf rapports. Ces rapports ont conduit à une série de recommandations (1), incluant des mesures techniques, organisationnelles et humaines, ainsi que des propositions d'études, de contrôles, et des suggestions pour l'évolution de la réglementation.
Les neuf rapports se concentrent sur des accidents survenus en 2022 et au début de 2023, impliquant les sites suivants : Cenergy à Saint-Ouen-l'Aumône (Val-d'Oise), Esso Raffinage à Port-Jérôme-sur-Seine (Seine-Maritime), Arf à Saint-Rémy-du-Nord (Nord), Chanel à Compiègne (Oise), Yara France à Ambès (Gironde), GRDF à Paris, Manudo à Bergerac (Dordogne), Arkema à Jarrie (Isère), et TotalEnergies Raffinage France à Donges (Loire-Atlantique). Parmi ces neuf sites touchés, cinq appartiennent à l'industrie chimique, deux au secteur de l'énergie, un au traitement des déchets, et un à l'industrie pétrolière.

A- MAINTENANCE DES ÉQUIPEMENTS CRITIQUES POUR LA SÉCURITÉ
Le BEA-RI émet en priorité des recommandations techniques pour renforcer la sécurité. Le rapport souligne que l'année 2023 a révélé l'importance de prendre en compte le risque d'accident dès la phase de conception des équipements. Un exemple marquant est celui du site de Cenergy, où un court-circuit électrique a déclenché un incendie.
Les enquêteurs insistent ensuite sur la nécessité d'assurer un entretien rigoureux des équipements essentiels pour la sécurité. Dans l'incident cité, la colonne sèche et la vanne de fermeture du système de rétention incendie étaient hors service. De même, dans le cas de la fuite chez TotalEnergies à Donges, l'endommagement de l'équipement est attribué à une mauvaise exécution et à l'absence de contrôle des travaux de maintenance. Le rapport met également en avant que la fiabilité des câbles électriques, souvent négligée dans les plans de maintenance, s'est avérée problématique à plusieurs reprises, notamment chez Esso Raffinage et Arkema.
Les établissements ayant fait l'objet d'une enquête par le BEA-RI en 2023 BEA-RI
Dans certains cas, les enquêteurs recommandent l'ajout ou le renforcement de barrières techniques. Par exemple, le balisage des zones dangereuses et l'installation de détecteurs ATEX permettent de signaler les dangers auxquels le personnel est exposé et de mieux les protéger.
Le rapport présente également une série de recommandations spécifiques et très techniques adaptées à chaque établissement concerné : sécurisation d'un processus automatisé et gestion des shunts chez Chanel après un mélange incompatible de produits ; retrait d'équipements inutilisés ayant amplifié une explosion de nitrocellulose chez Manuco pendant une phase de maintenance ; et activation automatique du système d'extinction ainsi qu'arrêt automatique des systèmes d'aspiration en cas d'incendie chez Arkema, suite à des explosions causées par un court-circuit électrique.

B- MAÎTRISE DES RISQUES EN CONDITIONS DÉGRADÉES AU SEIN DE L'ÉTABLISSEMENT
Le Bureau d'enquêtes a formulé une série de recommandations visant à améliorer les mesures organisationnelles et humaines. Celles-ci concernent la formation, l'intervention des secours et l'organisation des installations. En matière de formation et d'information, ces recommandations portent sur plusieurs aspects essentiels : la compréhension des risques spécifiques à l'établissement en conditions dégradées, comme observé chez Manuco lors des périodes de fortes chaleurs ; la sensibilisation des opérateurs et des sous-traitants aux risques lors des phases critiques d'exploitation, en particulier lorsque l'état des matières peut être altéré par des conditions météorologiques extrêmes ou en cas d'incendie ; l'information sur les pratiques à risque, telles que l'utilisation d'outils électriques dans des zones potentiellement explosives (exemple Arf) ; et la précision, par les fournisseurs de produits, des critères de risque dans les notices d'utilisation fournies aux clients (exemple Chanel).
Les recommandations du BEA-RI concernant l'intervention des services de secours soulignent l'importance d'une meilleure connaissance des lieux et de la situation dès leur arrivée sur site (procédures d'accueil, inventaire des dangers potentiels), ainsi que la nécessité d'une mise en sécurité rapide des installations avant toute intervention (coupure des utilités). Elles insistent également sur l'importance de disposer de moyens d'intervention adéquats (quantité suffisante d'eau, capacités de récupération des eaux dimensionnées et opérationnelles). Les enquêteurs mettent en avant la nécessité d'organiser régulièrement des exercices pour renforcer la coopération entre l'exploitant et les services de secours, un facteur clé pour garantir l'efficacité des interventions.
Concernant l'organisation et l'exploitation des installations, le BEA-RI préconise plusieurs axes d'amélioration, tels que le renforcement des équipes HSE (exemple Arf), la gestion des délestages en cas de coupure d'alimentation électrique (exemple Esso Raffinage), ou encore l'optimisation de la gestion des stocks de matières premières dans les bâtiments de production (exemple Arkema). Le Bureau recommande également de veiller à la stricte application des procédures et à la formalisation des documents liés à l'installation : rédaction de consignes opérationnelles dans le cadre de commandes de travaux ; documents de prévention des risques lors d'interventions pour travaux (absents lors de l'explosion d'une cuve de solvants chez Arf) ; amélioration des procédures d'entretien et d'exploitation des installations (exemple Yara) et, le cas échéant, correction de ces procédures (exemple Esso Raffinage).

C- QUATRE RECOMMANDATIONS POUR FAIRE ÉVOLUER LA RÉGLEMENTATION
Le BEA-RI a également recommandé aux industriels de réaliser plusieurs expertises techniques. Ces demandes incluent l'intégration de nouveaux dispositifs de sécurité dans les procédés existants. Le rapport précise : « Cela pourrait concerner, par exemple, l'installation de moyens de détection des éléments en cours de combustion sur un convoyeur à bande ; la mise en place d'une alimentation de secours d'une durée minimale dans la salle de contrôle en cas de perte d'utilité ou de coupure d'électricité, permettant ainsi une gestion pilotée des installations par les opérateurs ; ou encore l'intégration des contraintes de nettoyage dans la conception des canalisations et des équipements afin de réduire le dépôt de nitrocellulose au sein d'une industrie de production de ce type de produit. »
Les enquêteurs ont également recommandé de mettre à jour les études de dangers ou de réaliser des études spécifiques pour adapter les procédés aux nouveaux risques engendrés par les changements climatiques (NaTech).
Par ailleurs, une autre série de recommandations, également issue des rapports publiés en 2023, vise à renforcer les contrôles, notamment : le contrôle des câbles d'alimentation électrique, en particulier de leur isolant ; le contrôle des raccords « à frapper » ; et le contrôle du respect des consignes des permis de travaux par les sous-traitants.
Enfin, le Bureau d'enquêtes et d'analyses propose quatre recommandations au ministère de la Transition écologique pour faire évoluer la réglementation. Tout d'abord, il attire l'attention de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) sur l'absence d'un arrêté ministériel régulant le stockage et l'utilisation de la biomasse. Ensuite, il formule trois recommandations spécifiques : veiller à ce que les contrôles périodiques des véhicules routiers soumis à l'Accord pour le transport de matières dangereuses par route (ADR) incluent également un contrôle visuel et dimensionnel des parties filetées des équipements de chargement-déchargement équipés de raccords à visser ; informer les entités de contrôle des risques inhérents aux assemblages de type « raccords à visser » ; et compléter l'article 29-4 de l'arrêté du 3 octobre 2010 en prenant en compte la maintenance des accessoires présents sur les bacs de stockage de liquides inflammables.