Le 30 novembre 2022, la 3e chambre civile de la cour de cassation condamnait des exploitants éoliens à indemniser des associations de protection de l’environnement suite à la découverte de nombreux cas de mortalité de rapaces protégées dans un grand parc héraultais. Se prononçant sur l’atteinte en cause, la cour retenait que les juges du fond n’avaient pas, pour considérer qu’une dérogation était nécessaire, à « caractériser l’atteinte portée à la conservation de l’espèce protégée en cause, dès lors que celle-ci résultait de la constatation de la destruction d’un spécimen appartenant à l’espèce ». Cette décision est venue en rajouter à l’incompréhension qui régnait en raison d’une appréciation disparate des conditions de dépôt d’une demande de dérogation « espèces protégées ». Face à ce « flou jurisprudentiel » une décision du Conseil d’Etat est intervenue pour unifier les positions. C'est dans ce contexte que s'inscrit le sujet ci-après : Le seuil de déclenchement du dépôt par un développeur éolien d'une demande de dérogation <>.
Dans une approche définitionnelle nous nous intéresserons aux termes essentiels du sujets : le seuil de éclenchement, éolien, dérogation, espèces protégées. Le seuil de déclenchement s’entend des conditions ou des critères à partir desquels commence un état. Se rapportant au vent, l’éolienne est une installation permettant de transformer l’énergie cinétique du vent en énergie mécanique. La dérogation « espèces protégées » quant à elle se rapporte à l’autorisation d’atteinte exceptionnelle délivrée par l’administration au titre des « espèces protégées », sous certaines conditions.
Cette réflexion ne fait pas de distinction entre les éoliennes onshore qui relèvent du régime des installations classées et les éoliennes offshore qui elles, relèvent de la loi sur l’eau, toute les deux somme toute étant soumise à l’autorisation environnementale. Seule les éoliennes de petite puissance seront exclues.
Ce sujet est intéressant à un certain point de vue car il permet de se rendre compte du contexte qui a prévalu à l’évolution jurisprudentielle apportée par la l'avis du Conseil d’Etat en date du 9 décembre 2022, à la lumière de laquelle sera menée cette réflexion.
Face aux contradictions observées dans les décisions des juridictions du fond, se pose alors la question de savoir : le dépôt par un développeur éolien d’une demande de dérogation « espèces protégées » est-il systématiquement nécessaire ?
Saisi par la Cour d’appel de Douai sur cette question, le Conseil d’Etat, dans un avis n° 463563 en date du 9 décembre 2022 répond à cette question en précisant, dans un premier temps que, le porteur de projet doit, de façon méthodique, vérifier si un spécimen d'une espèce protégée est présent dans la zone du projet (I), ce n’est qu’en cas de réponse positive qu’il sera nécessaire pour lui, dans un second temps, de vérifier l'existence d'un "risque suffisamment caractérisé" au regard des mesures d'évitement et de réduction proposées (II).

I/ L’OBLIGATION DE DEMANDE D’UNE DEROGATION « ESPECES PROTEGEES » ; UNE FORMALITE SOUMISE A LA PRESENCE PREALABLE D’UN SPECIMEN PROTEGE SUR LE SITE DU PROJET

Pour savoir si une demande de dérogation espèces protégées doit être déposée, il convient tout d'abord, de s'intéresser à l'espèce dont la protection est susceptible d'être mise en cause. Pour ce faire, il faut dans un premier temps vérifier si "des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet". Dans un deuxième temps, il n’est pas nécessaire que cet examen porte, ni sur le "nombre de ces spécimens", ni sur leur "état de conservation".

A- La présence d’une espèce ou d’un habitat d’espèce protégée

Il suffit donc qu'un spécimen d'une espèce protégée soit présent sur la zone du projet pour que la première des deux conditions de l'obligation de dépôt d'une demande de dérogation soit satisfaite. Dans l'avis du Conseil d'Etat il est fait mention de la "présence" de spécimen protégés mais les directives ‘’habitats et ‘’oiseaux’’ applicables en l’espèce prévoient aussi la protection de l’habitat de ces espèces.
On peut s’interroger sur la signification du terme "présence". Des spécimens qui traversent la zone du projet à un instant T, pour chasser ou se reproduire, sont-ils concernés par ce terme ? Ou alors ce terme doit être compris dans son sens le plus large, ce qui reviendrait à prendre en compte toute espèce présente sur le site à un instant donné. Si cette condition, ainsi définie, était la seule pour le déclenchement de l'obligation de dépôt d'une demande de dérogation, cette obligation pourrait alors être systématique. Le porteur de projet devrait alors dans ce cas de figure, toujours déposer une demande de dérogation. Une telle situation ne serait pas conforme au droit et rendrait, sur cet aspect, l'étude d'impact assez inutile.

B- L’indifférence du nombre ou de l’état de conservation

Dans son avis du 9 décembre 2022 qui fait jurisprudence, le Conseil d’Etat précise également que le nombre de spécimens auquel le projet porte atteinte ou leur état de conservation n'a pas à être considéré. Peu importe donc qu’il s’agisse d’un spécimen ou de plusieurs ou qu’il s’agisse d’une espèce en voie de disparition ou non.


II/ LA CUMULATIVE ET SUCCESSIVE EXIGENCE D’UN RISQUE D’UNE CERTAINE INTENSITE : LE RISQUE CARACTERISE

Répondant à cette question de la cour administrative d'appel de Douai le Conseil d’Etat précise au point 5 de l'avis rendu le 9 septembre 2022 que le risque à prendre en compte est le "risque suffisamment caractérisé". En outre l'analyse de ce risque suppose de prendre en compte des mesures d'évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire (A). Ces mesures doivent présenter deux caractéristiques. En plus des "garanties d'effectivité", elles doivent permettre de "diminuer le risque" (B).

A- L’appréciation du risque au regard des mesures proposées par le pétitionnaire

Sur l’intensité du risque du risque d'atteinte à la conservation d'une espèce protégée. La Cour d’Appel de Douai se posait la question de savoir si l’appréciation de ce risque doit tenir compte des mesures d'évitement, de réduction et de compensation des atteintes proposées par le pétitionnaire ? Par sa réponse, le Conseil d’Etat met un terme aux hésitations de la jurisprudence administrative sur la qualification du risque à prendre en compte pour l'examen de la nécessité de déposer une demande de dérogation espèces protégées.
En effet, avant cette décision du Conseil certains arrêts ne comportent pas de qualification précise du risque dont l'existence suppose de déposer une demande de dérogation. Il suffit pour s’en rendre compte de se référer aux décisions : CAA Bordeaux, 23 février 2021, n° 20BX00979 relative à l’arrêté d'autorisation d'installer et d'exploiter un parc éolien de 2018 et CAA Nantes, du 7 janvier 2022, n° 20NT03390. Ainsi, depuis cette décision seules les mesures d’évitement et les mesures de réduction doivent être prises en compte dans l’appréciation de l’intensité de l’atteinte, à l’exclusion des mesures de compensations.
Ces mesures doivent toutefois présenter certaines caractéristiques.

B- Les caractéristiques de ces mesures

Selon la décision du 9 décembre du Conseil d’Etat, lorsqu’une demande de dérogation lui est soumise, l'administration est tenue par une obligation de "prendre en compte" ces mesures. Pour ce faire, elle doit apprécier les garanties d’effectivité et la diminution des risques présentées par le pétitionnaire pour apprécier l’atteinte. Sur cette question également, les hésitations étaient nombreuses. En effet, jusqu’à cette décision du Conseil, certaines formations de jugement prenaient en compte les mesures d'évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire pour vérifier si une demande de dérogation devait ou non être déposée, là où d’autres formations de jugement ne considéraient que les seules mesures d'évitement.

Sources consultées
Cour de cassation Civ. 3, 30 nov. 2022, n°21-16.404
CAA Bordeaux, 17 novembre 2020, n°19BX02284, CAA de Nantes, 22 juillet 2022, n°21NT01768
CAA Bordeaux, 9 mars 2021, n°19BX03522