Les espérances des géants de la tech d’atteindre les objectifs de neutralité carbone ont été battus en brèche par la croissance fulgurante de l’intelligence artificielle (« IA ») ces dernières années.

Désormais de plus en plus connus par le grand public, les systèmes d’IA, selon la définition donnée par le législateur européen, sont conçus pour fonctionner à différents niveaux d’autonomie et peuvent même faire preuve d’une capacité d’adaptation après leur déploiement. Ces systèmes peuvent déduire à partir des entrées qu’ils reçoivent, la manière de générer des sorties telles que des prédictions, du contenu, des recommandations ou des décisions qui peuvent influencer les environnements physiques ou virtuels.

Et pour cause, les rapports publiés dernièrement par Google ou encore par Microsoft révèlent que les systèmes d’IA sont sources d’émissions de gaz à effet de serre (« CO2 ») importantes. Celles de Google et de Microsoft ayant bondi de 40% ces dernières années. Le rapport environnemental 2024 de Google, publié en juillet 2024, nous apprend ainsi que le mastodonte a vu ses émissions de CO2 augmenter de 48% en 2023 par rapport à 2019. Cela représente pour l’année 2023, l’émission de 14,3 millions de tonnes de CO2.
Quant à Microsoft, le rapport de développement durable de ce dernier du 15 mai 2024 dévoile le rejet de 17,6 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère en 2023, ce qui représente une hausse de 40% par rapport à l’année 2020. A titre de comparaison, et afin que ces chiffres soient davantage concrets, cela signifie que lors de son dernier exercice financier, Microsoft a émis autant que de CO2 que la pollution carbone annuelle d’Haïti.

Or force est de constater que ces résultats divergent fortement avec les engagements qui avaient été pris par ces entreprises. Les objectifs dévoilés en 2020 sont fortement remis en cause par l’avènement de l’intelligence artificielle et son empreinte environnemental. Il est important de noter que l'intelligence artificielle n'est pas la seule activité de ces entreprises, mais c'est cette activité en particulier qui a conduit à une quantité significative de ces rejets de CO2, cela est pointé par ces entreprises elles-mêmes.

En outre, les effets de l'augmentation des émissions de CO2 sont bien connus. Le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, les impacts sur la santé humaine ou encore les effets socio-économiques en sont quelques exemples qui ne sont plus à démontrer.

Avancée pour les uns, l’avènement de l’intelligence artificielle apparait dans le même temps dévastatrice pour les autres. Les acteurs de l’innovation doivent se montrer particulièrement vigilants et prendre les mesures qui apparaissent nécessaires face à ces résultats inquiétants et désormais connus, la réflexion s’articulant à l’avenir sur les conclusions à en tirer.

Symbole du progrès de ces dernières années, l’intelligence artificielle est en réalité une nouvelle menace pour l’environnement (I) dont la prise de conscience de ses impacts ne peut être que salutaire en cette période d’urgence climatique (II).

I. L'intelligence artificielle : un nouvel eldorado au prix de la préservation environnementale

L’intelligence artificielle représente une activité à dépendance énergétique élevée (A), bien que les acteurs de l’IA entreprennent des efforts de compensation, ces derniers apparaissent pour l’heure insuffisants afin d’atténuer les impacts environnementaux qui en découlent (B).

A. Une industrie énergivore et lourde en empreinte écologique

Afin de saisir l’importance de l’impact environnemental de l’IA, son utilisation doit être explicitée. La majorité des IA, à l’instar de Chat GPT, nécessite d’analyser des quantités astronomiques d’images et de textes afin d’en générer de nouveaux et de répondre aux instructions des utilisateurs. Pour cela, des unités de stockage des données informatiques (également appelés les Data centers) doivent être mis en place, lesquels sont alimentées par une quantité importante d’électricité. L’électricité ainsi utilisée n’est que rarement issue d’énergies renouvelables eu égard à la quantité importante qui est nécessaire.

De plus, à titre d’illustration, une demande faite à une IA nécessite environ dix fois plus d’énergie qu’une requête sur un moteur de recherche classique. Parallèlement, ces grands centres doivent être refroidis pas une grande quantité en eau, par exemple, Microsoft a utilisé 6,4 milliards de litres d'eau en 2022, reflétant une augmentation de 34% par rapport à 2021, cela équivaut à 2 500 piscines olympiques. Un autre impact défavorable est lié à l’utilisation de composants électroniques qui représentent un défi écologique important eu égard à la gestion des déchets électroniques, qui est loin d’être optimale. Cela suscite également des contestations internes parmi les employés des géants de la tech. Par exemple, cela a engendré plusieurs démissions chez Microsoft, la conscience écologique croissante des salariés étant difficile à ignorer.

Afin de contrebalancer ces effets néfastes sur l’environnement, les acteurs de l’IA invoquent la mise en place de mesures de compensation dans le but de tenter de contrebalancer ces résultats.

B. Des efforts de compensation promus par les acteurs de l'IA

Face aux contestations et critiques à l’égard des géants de la tech vis-à-vis de l’impact environnemental de leurs solutions et produits, des mesures ont été prises afin de tenter de respecter les objectifs pris pour l’horizon 2030. La solution notamment trouvée par les géants de la Tech a été l’achat de crédits d’élimination du dioxyde de carbone. Cette technologie, consistant en un captage direct dans l’atmosphère, permet de retirer le dioxyde de carbone de l'environnement et de le stocker de manière sécurisée. Certes, l’ONU (Organisation des nations unies) préconise ce genre de solution, or il reste préférable de réduire les émissions à la source. En d'autres termes, plutôt que de se concentrer uniquement sur la compensation des émissions de carbone, il est pertinent de mettre en place des stratégies visant à diminuer directement les émissions produites par les activités concernées. Les géants de la tech doivent combiner les solutions de captage de CO2 avec des efforts substantiels pour réduire leur empreinte carbone dès le départ. Cela pourrait inclure l'optimisation de leurs processus industriels, l'investissement dans des énergies renouvelables, la conception de produits plus économes en énergie et la promotion de pratiques durables tout au long de leurs chaînes d'approvisionnement.

En outre, la course à l’innovation dans le domaine de l’IA n’avait pas été anticipée par les acteurs du secteur, les prenant de court face aux impacts environnementaux. La solution de facilité mais coûteuse, à savoir l’achat des crédits carbone, a ainsi été choisie. Microsoft a ainsi signé le plus important contrat d’achat de crédits carbone jamais réalisé, puisqu’il s’est engagé à acheter 500 000 tonnes de crédits d’élimination du dioxyde de carbone sur 6 ans. Google a également tenté d’atténuer les retombées en introduisant une nouvelle infrastructure nommée Trillium, qui consomme 67% d’énergie en moins que la précédente, pour des tâches similaires. Il s’agit d’un Tensor Processing Unit permettant d’entrainer des modèles de langage. Bien que ces initiatives soient positives, il est impératif que la réflexion s’oriente également davantage vers les types d’usages de l’IA que nous souhaitons développer. L'innovation est essentielle, mais les conséquences néfastes sur l’environnement ne peuvent plus être reléguées au second plan. Une approche plus durable est nécessaire, comportant non seulement des améliorations technologiques mais aussi une remise en question des finalités de l’IA.

L’impact écologique de l’intelligence artificielle interpelle, dont la mise en lumière constitue une première étape encourageante afin de le diminuer.

II. La révélation de l'impact environnemental du numérique : une prise de conscience bienvenue

La transparence des géants de la tech vis-à-vis de l’impact environnemental de l’intelligence artificielle est louable (A) d’autant plus que cela permet d’ouvrir la réflexion au sujet d’une responsabilisation des acteurs et utilisateurs de cette nouvelle technologie si convoitée (B).

A. La transparence croissante et opportune des grandes entreprises de la tech

Bien que le bilan dressé soit négatif, la transparence dont font preuve Microsoft, Google ainsi qu’Apple ou Amazon est appréciée et encourageante dans un contexte où les différentes initiatives législatives de l’Union européenne vont également en ce sens. Les rapports détaillés sur les objectifs environnementaux sont une source d’information précieuse dans un secteur où les données sont difficilement accessibles pour le grand public. Cependant, la transparence ainsi affichée présente des lacunes, indépendantes de la volonté des industriels. L’impact environnemental de l’intelligence artificielle reste flou et entouré de nombreuses incertitudes. Par exemple, Google indique dans son rapport l’absence d’indicateurs spécifiquement dédiés à l’IA, ce qui complique la compréhension de son impact environnemental futur. En outre, la transparence est ainsi bienvenue notamment dans un contexte où, selon une étude OpinionWay pour MAIF, bien que le numérique soit omniprésent dans la vie de tous et perçue positivement, seulement 1/4 des Français s'inquiètent de son impact environnemental. Cela souligne l’importance de sensibiliser davantage le public et de fournir des informations claires et accessibles sur les enjeux écologiques liés à la technologie. Bien que des progrès soient réalisés en matière de transparence, il est crucial de continuer à améliorer la clarté et la précision des informations sur l’impact environnemental de l’IA.

Dans le même temps, l’utilisation de l’IA en faveur de la préservation de l’environnement est également arguée par les professionnels du secteur. Ces derniers considèrent que les futures innovations technologiques permettraient d’atténuer également l’impact de l’IA. Dans cette optique, la stratégie de communication de Google, semble être de cherche à démontrer sa sérénité en mettant en avant les éventuels bienfaits environnementaux que pourraient apporter des outils basés sur l’IA. Par exemple, certains prévoient que ces modèles pourraient nous aider à identifier plus précisément les sources de carbone, à améliorer l'efficacité des réseaux de distribution et des appareils énergivores, à rendre les moyens de transport et les chaînes logistiques plus écologiques, ou encore à découvrir de nouveaux matériaux innovants. Toutefois, les mastodontes de la tech doivent faire preuve d’une vigilance toute particulière afin que cela ne soit pas perçu comme une forme de greenwashing. La crédibilité et la transparence sont essentielles pour s'assurer que les promesses faites en matière de durabilité ne se transforment pas en simples arguments marketing sans fondement réel.

Ces résultats édifiants nécessitent une responsabilisation des géants de la tech d’une part, ainsi que des utilisateurs d’autre part.

B. La nécessité d'une responsabilisation partagée des acteurs et des utilisateurs

Les normes tendent ces dernières années à plus de sévérité envers les industriels afin de les contraindre à prendre en compte leur impact sur l’environnement. Cela étant, concernant précisément l’IA, l’IA Act (Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle) adopté par les eurodéputés en mars 2024 avant d’être officiellement validé par le Conseil de l’Union européenne le 21 mai 2024, permet d’encadrer l’utilisation de l’IA notamment au regard des droits fondamentaux, sans toutefois prendre en compte son impact environnemental. Par conséquent, il parait essentiel que les industriels eux-mêmes régulent leur utilisation de l’IA afin d’en faire un usage davantage neutre du point de vue de l’environnement. Par exemple, Google a souhaité moderniser ses centres de données et a également mis en place des mesures telles que l’installation de systèmes géothermiques à grande échelle afin de réduire la demande en électricité.

Certes les résultats de ces entreprises sont impressionnants, mais il est nécessaire de les mettre également en perspective. S’agissant des activités de cloud par exemple, la consommation d’énergie de quelques entreprises qui stockent leurs données sur un cloud commun Google est bien inférieur à une hypothèse selon laquelle ces mêmes entreprises stockeraient leur data sur leurs propres serveurs. Cependant, l’électricité ainsi consommée est incluse uniquement dans les résultats de Google.
En outre, les utilisateurs de l'intelligence artificielle doivent adopter une approche plus réfléchie et responsable dans leur utilisation de cette technologie. L'essor rapide de l'IA et son intégration croissante dans divers secteurs imposent une responsabilité importante, tant aux géants de la technologie qu'à la communauté mondiale. Cette responsabilité partagée signifie que les entreprises de la tech doivent non seulement innover, mais aussi veiller à ce que leurs avancées soient durables pour la société. Un équilibre doit être trouvé entre l'innovation rapide et la durabilité à long terme. Les entreprises doivent développer des solutions qui minimisent l'empreinte écologique, tout en maximisant les bénéfices sociaux et économiques. Simultanément, les utilisateurs doivent être conscients des implications de l'IA et faire preuve de discernement dans son utilisation. Cette réflexion collective sur l’équilibre entre l’innovation et la durabilité est indispensable pour garantir que les progrès technologiques bénéficient à tous, sans compromettre les ressources et l'intégrité de notre planète.