Interdiction des PFAS en France : entre santé publique et intérêts économiques
Par Victor Langlois
Posté le: 24/06/2024 13:15
Les substances per- et polyfluoroalkylées, communément appelées PFAS, font l’objet de nombreux débats depuis des années. Ce sont des composés organiques de synthèse comportant un ou plusieurs groupes fonctionnels alkyle per- ou poly fluoré. Ces composés se retrouvent dans de nombreuses industries différentes, telles que le textile, les emballages alimentaires, les cosmétiques, les ustensiles de cuisines, en raison de leur propriétés antiadhésives, imperméabilisantes et résistantes aux fortes chaleurs. La banque de données américaines de molécules chimiques PubChem compte, en 2022, environ six millions de PFAS différents dont seulement certaines sont aujourd’hui réglementées.
Ces composés, surnommés « polluants éternels » ont une demi-vie dans l’environnement extrêmement longue, ce qui fait qu’on les retrouve aujourd’hui partout et ce, jusque dans l’eau du robinet, particulièrement dans certaines régions telle que l’Auvergne-Rhône-Alpes, l’Occitanie, l’Ile-de-France et les Pays de la Loire.
Des études indiquent que les PFAS présentent un risque pour la santé humaine. Une étude publiée dans la revue Science of the Total Environment en Mai 2023 indique qu’il existerait un lien entre l’exposition aux PFAS et des problèmes de fertilité chez les femmes, l’étude indiquant que les femmes ayant les niveaux les plus élevés de ces polluants éternels dans leur sang ont 40% de chances en moins de tomber enceinte. Selon l’Institut national de santé publique du Québec, l’exposition à certains PFAS peut provoquer des effets sur la santé telles que la diminution de la réponse immunitaire à la vaccination, la baisse de poids de naissance, l’augmentation du risque de cancer du rein.
Ces études et les inquiétudes qu’elles font naitre appellent à une réaction législative permettant de protéger la santé des êtres humains en appliquant le principe de précaution. Les PFOS et PFOA, deux PFAS différents, ont été interdits dans l’Union Européenne respectivement en 2009 et 2020 en raison de leur caractère particulièrement néfaste pour la santé.
L’Assemblée nationale a votée en première lecture le 5 Avril 2024 une proposition de loi visant à restreindre la fabrication et la vente de produits contenant des PFAS, contre l’avis du gouvernement. L’article 1er de cette proposition de loi prévoit d’interdire, à partir du 1er janvier 2026, la fabrication, l’importation, l’exportation et la vente de tout produit cosmétique, produit de fart ou produit textile d’habillement contenant des PFAS. L’article 2 prévoit, quant à lui, l’application du principe pollueur-payeur pour les industriels rejetant des PFAS en créant une taxe.
Les débutés ont expliqué ne pas vouloir attendre que l’Union Européenne prenne une directive dans le domaine pour légiférer, voulant placer la France en leader dans la lutte contre la pollution aux PFAS. Le gouvernement souhait agir au niveau européen plutôt qu’au niveau national.
Cette proposition de loi a cependant été édulcorée par divers amendements. Elle prévoyait d’interdire aussi la fabrication, l’importation, l’exportation et la vente des ustensiles de cuisine contenant des PFAS, ce qui a provoqué une vague de colère parmi les industriels du secteur. Les salariés de TEFAL se sont réunis le jour du vote pour manifester contre cette interdiction. Comme bien souvent lorsque l’on parle de santé et de protection de l’environnement, ces enjeux se confrontent à des problématiques d’ordre économique.
Les discussions lors de l’audience publique témoignent de cela. La députée Emmanuelle Ménard expliquait qu’il fallait distinguer les PFAS « utiles pour assurer notre compétitivité et notre souveraineté industrielle » de ceux qui ne le sont pas. Elle ajoutait que cette loi « entraînerait la perte de milliers d’emplois en Europe et aurait des conséquences désastreuses pour notre compétitivité industrielle ». Bien que le principe de précaution imposerait de légiférer en raison des risques sur la santé humaine que constituent ces polluants, les députés ont dû composer avec la réalité économique de ce secteur industriel. L’association Générations futures parle d’une « victoire du lobby à la poêle à frire ».