LA SOCIETE A MISSION
Par TANO JOSEPH KOBENAN
Posté le: 11/05/2024 2:05
L’article Article 1832 du code civil dispose que « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter.
Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l'acte de volonté d'une seule personne.
Les associés s'engagent à contribuer aux pertes ».
Initialement la société était appréhendée comme une entité créée dans le seul but de générer du profit pour les associés. En ce sens que l’évaluation de la société n’était basée que sur la performance économique. D’un autre coté les associés étaient les seuls maitres de leur société ayant ainsi le contrôle et la direction exclusif sur celle-ci.
Cependant, avec la prise de conscience collective sur les impacts négatifs des activités des sociétés sur l’environnement et la société, ces principes de bases du droit des sociétés ont subi de profonds bouleversements.
En effet, Il semble y avoir une volonté d’ensemble d’amener les sociétés à prendre en considération les enjeux environnementaux et sociaux de leur activité dans leur mode de fonctionnement.
Dans cette perspective, différents mécanismes volontaires, comme « la société à mission » ont été mis à disposition des sociétés à l’effet de réaliser cet objectif.
Le concept de société à mission a été introduite par la loi pacte du 22 mai 2019 modifiant le code du commerce et son décret d’application no 2020-1 du 2 janvier 2020.
A la lumière de ladite loi, la « société à mission » est une qualité attribuée aux sociétés qui intègrent des objectifs sociaux et/ou environnementaux dans leurs statuts et ajustent leur mode de fonctionnement pour garantir leur atteinte.
Selon l’observatoire des sociétés à mission, 1553 sociétés sont référencées comme société à mission en France à ce jour.
Elle doit être distinguée des certifications, mais également des labels, précisément le label B corp qui poursuit également le même objectif (15 % des entreprises à mission sont aussi labelisées B Corp).
Dans le cadre de cet article, il s’agira pour nous de montrer les conditions d’acquisition de la qualité de société à mission (I), ensuite d’aborder la question de son fonctionnement (II) avant de relever l’intérêt de celle-ci (III).
I- LES CONDITIONS D’ACQUISITION DE LA QUALITE DE SOCIETE A MISSION.
D’emblée, il convient de préciser que la société à mission n’est pas une nouvelle forme juridique de société. Il s’agit simplement d’une qualité que toute société quelle que soit sa forme juridique peut acquérir.
La reconnaissance de la qualité de société à mission, suppose la réunion de conditions de fonds et de formes.
A- Condition de fonds.
L’article L210-10 du code de commerce dispose que « une société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque les conditions suivantes sont respectées :
1° Ses statuts précisent une raison d'être, au sens de l'article 1835 du code civil ;
2° Ses statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ;
3° Ses statuts précisent les modalités du suivi de l'exécution de la mission mentionnée au 2°. Ces modalités prévoient qu'un comité de mission, distinct des organes sociaux prévus par le présent livre et devant comporter au moins un salarié, est chargé exclusivement de ce suivi et présente annuellement un rapport joint au rapport de gestion, mentionné à l'article L. 232-1 du présent code, à l'assemblée chargée de l'approbation des comptes de la société. Ce comité procède à toute vérification qu'il juge opportune et se fait communiquer tout document nécessaire au suivi de l'exécution de la mission ;
Il ressort de cette disposition que les entités souhaitant obtenir la qualité de société à mission doivent préciser dans leurs statuts les trois éléments suivants :
• La raison d’être de la société.
Il existe une définition légale de la raison d’être. L’article 1835 du code civil formule que « les statuts peuvent préciser une raison d'être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».
C’est un engagement destiné à guider la société dans son orientation économique. C’est la justification fondamentale de l’existence de la société, au-delà de la simple réalisation de profits. Elle représente l’objectif ou l’impact que l’entreprise sociétaire cherche à avoir sur la société.
Pour une meilleure compréhension, il convient de la distinguer des autres notions connexes.
- Elle se distingue de l’objet social
L’objet social est défini dans les statuts de la société et décrit spécifiquement les activités dans lesquelles elle s’engage pour réaliser sa raison d’être.
L’objet social est obligatoirement défini dans les statuts de la société sous peine d’irrégularité (article 210-2 du même code).
- Elle se distingue également de l’intérêt social
Même si l’intérêt social de la société est étroitement lié à sa raison d’être, il existe bien une différence notionnelle.
La raison d'être définit l'objectif fondamental de l'entreprise, son impact désiré sur la société et l'environnement. L'intérêt social découle de cette raison d'être et se manifeste à travers les actions concrètes de l'entreprise pour créer de la valeur pour la société, au-delà de la simple génération de profits. En d'autres termes, la raison d'être guide les choix stratégiques et les activités de l'entreprise, tandis que l'intérêt social représente les résultats tangibles de ces choix pour la société et l'environnement.
o La définition d’objectifs sociaux et environnementaux dans les statuts.
Le second élément devant figurer dans les statuts de la société est un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité.
Ces objectifs doivent être suffisamment précis pour être évalués et contrôlés.
Par exemple : concevoir des produits durables en privilégiant des matières premières recyclées, mettre en œuvre des actions de sensibilisation à l’économie circulaire auprès des clients, soutenir des initiatives de protection de l'environnement, etc.
o La Précision des modalités du suivi de l'exécution de la mission mentionnée dans les statuts.
Le troisième élément qui doit figurer dans les statuts de la société concerne les moyens mis en œuvre par la société pour assurer le suivi de l'exécution de sa mission (ses objectifs sociaux et environnementaux).
Pour assurer ce suivi, la société doit mettre en place un comité de mission.
Le comité de mission est :
- Distinct des autres organes sociaux de l'entreprise
- Composé d'au moins 1 salarié
- Chargé exclusivement du suivi de l'exécution de la mission de l'entreprise
Le comité de mission doit :
- Présenter annuellement un rapport à l'assemblée générale des associés
- Procéder à toute vérification qu'il juge opportune
- Se faire communiquer tout document nécessaire au suivi de l'exécution de la mission.
Les statuts de la société peuvent renvoyer à un règlement intérieur destiné à préciser le fonctionnement du comité de mission (désignation des membres, nombre de réunions, règles de vote, durée du mandat, rémunération des membres...).
Selon Article L210-12 une société qui emploie au cours de l'exercice moins de cinquante salariés permanents et dont les statuts remplissent les conditions définies au 1° et 2° de l'article L. 210-10 peut prévoir dans ses statuts qu'un référent de mission se substitue au comité de mission mentionné au 3° du même article L. 210-10. Le référent de mission peut être un salarié de la société, à condition que son contrat de travail corresponde à un emploi effectif.
B- Les conditions de forme
Le cinquième alinéa de l’article 210-10 dispose que La société déclare sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce, qui la publie, sous réserve de la conformité de ses statuts aux conditions mentionnées aux 1° à 3°, au registre du commerce et des sociétés, dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat.
La société doit déclarer sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce. Le greffier la publiera au RCS: RCS : Registre du commerce et des sociétés, au RNE: RNE : Registre national des entreprises et la communiquera à l'Insee: Insee : Institut national de la statistique et des études économiques après avoir vérifié que la société remplit les conditions requises.
Cette démarche peut intervenir :
- Soit au moment de la création de la société lors de sa demande d'immatriculation
- Soit au cours de la vie sociale par une demande d'inscription modificative. Si la qualité de « société à mission » vient modifier l'objet social de la société, le greffe peut exiger une publication dans un support d'annonces légales avant le dépôt des statuts modifiés.
II- LE CONTROLE DE LA QUALITE DE SOCIETE A MISSION.
A- Le contrôle par un organisme tiers Indépendant (OTI).
Les sociétés à mission doivent se soumettre à des contrôles effectués par un organisme tiers indépendant (OTI) référencé accrédité.
Sauf clause contraire des statuts de la société, l'OTI est désigné par la société, pour une durée initiale d'au maximum 6 ans. Cette désignation est renouvelable, dans la limite d'une durée totale de 12 ans.
L'OTI doit avoir accès à l'ensemble des documents détenus par la société et utiles à la formation de son avis, notamment au rapport annuel du comité de mission (ou du référent de mission).
Il procède à toute vérification sur place qu'il estime utile au sein de la société. Il peut également effectuer des vérifications au sein des entités concernées par un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux constitutifs de la mission de la société (par exemple une fondation), avec l'accord de ces entités.
L'OTI rend un avis motivé qui explique les éléments pris en compte et qui indique si la société respecte ou non les objectifs qu'elle s'est fixés.
En cas d'avis négatif, il mentionne les raisons pour lesquelles, selon lui, les objectifs n'ont pas été atteints ou pour lesquelles il lui a été impossible de parvenir à une conclusion.
Le dernier rapport de l'OTI doit être joint au rapport du comité de mission (ou du référent de mission). Cet avis est publié sur le site internet de la société et doit rester accessible publiquement au moins pendant 5 ans.
En cas de manquement constater à l’issue du contrôle, des sanctions peuvent être prononcé à l’égard de la société.
B- Les sanctions prévues pour non-respect des engagements pris.
• Le retrait de la qualité de la société à mission.
En vertu de article L210-11 du code de commerce lorsque l'une des conditions mentionnées à l'article L. 210-10 n'est pas respectée, ou lorsque l'avis de l'organisme tiers indépendant conclut qu'un ou plusieurs des objectifs sociaux et environnementaux que la société s'est assignée en application du 2° du même article L. 210-10 ne sont pas respectés, le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal statuant en référé aux fins d'enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la mention “ société à mission ” de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société.
Ainsi la société peut être obligée par le président du tribunal saisie au moyen d’une requête de retirer la mention société à mission sur ces actes.
• La responsabilité Civile et pénale de la société et des dirigeants sociaux.
Le non-respect d'une clause statutaire sur la raison d'être et la mission est susceptible d'engager la responsabilité civile et pénale de la société et de ses dirigeants (voire leur révocation).
En effet, il constant que la responsabilité pénale du dirigeant et de la personne morale peut être engagée eu égard du non-respect des engagements volontaires qu’ils ont pris dans le cadre de leur politique RSE. On le précise, la RSE vise l’ensemble des engagements unilatéraux pris par les entreprises en matière de protection de l’environnement, de développement durable, de défense des droits de l’homme ou de droits économiques et sociaux fondamentaux. Bien que unilatéraux et spontanés, ces engagements qui se matérialisent notamment par l’adoption de codes de bonnes pratiques, sont susceptibles de constituer des obligations juridiques assorties de sanctions civiles mais également pénales.
L’arrêt Erika (Cass. crim. 25 septembre 2012, n°10-82.938) constitue l’illustration parfaite de l’émergence d’une responsabilité pénale fondée sur des engagements volontaires.
Par analogie, il va sans dire que des engagements en matière environnementales, sociale et leur modalité de réalisation inscrites dans les statuts de la société ont une force contraignante supérieure. Par conséquence, le non-respect peut donner lieu, le cas échéant à une responsabilité pénale et civile.
Ainsi cette démarche volontaire peut se transformer en obligation juridique pour les sociétés.
III- L’INTERET DU MECANISME DE LA SOCIETE A MISSION.
Nous analyserons l’intérêt de la société à mission à l’endroit des pouvoirs publics et des entreprises.
A- L’intérêt pour les pouvoirs publics.
Le modèle de la société à mission est une innovation juridique et constitue un cadre légal intéressant en France pour mettre à contribution de façon volontaire les entreprises aux grands défis environnementaux et sociaux du moment. Elle permet d’obtenir l’engagement des sociétés à un niveau élevé.
De par sa nature, la société à mission représente un puissant vecteur de transformation de l’entreprise et de la Société. Car elle met au cœur de son activité la résolution des problèmes sociaux et environnementaux.
De plus, cela peut stimuler l'innovation en encourageant les entreprises à développer des modèles économiques plus durables et socialement responsables.
Enfin, cela peut aider à créer un impact positif sur la société et l'environnement, en alignant les intérêts de l'entreprise avec ceux de la collectivité dans laquelle elle opère.
Ce modèle basé sur le volontariat des acteurs tend à être utilisé de plus en plus par les pouvoir publics dans leurs actions en faveur de l’environnement et de la société.
A l’instar de la société à mission, nous avons les obligations réelles environnementale dans le cadre de la restauration de la biodiversité.
B- L’intérêt pour les entreprises d’avoir la qualité de société à mission.
La création d’une société à mission en France présente plusieurs avantages. Tout d'abord, cela permet de donner un cadre légal et une reconnaissance officielle à l'engagement social ou environnemental de l'entreprise. Quoi de plus démonstrative de l’engagement de l’entreprise à la cause environnementale et sociale que l’inscription des objectifs environnementaux et sociaux dans ses statuts!.
Ensuite, cela peut renforcer la confiance des parties prenantes telles que les clients, les investisseurs et les employés, qui recherchent de plus en plus des entreprises responsables.
En effet, la société peut arborer fièrement cette qualité de société à mission sur tous ses actes, ses produits et services.
Enfin, la qualité de société à mission témoigne une certaine éthique, une responsabilité dont elle peut se prévaloir dans ses activités commerciales.
En résumé , il importe de retenir que de par sa nature le modèle de société à mission semble être est un moyen flexible pour les sociétés d’intégrer des objectifs environnementaux et sociaux. En ce sens qu’elles ont la liberté de déterminer d’une part les objectifs à atteindre et d’autres part les moyens pour y parvenir. Cela est profitable pour elle, dans un contexte fortement marqué par la recherche de réalisation des objectifs de réduction des impacts négatifs sur l’environnement et la société par tous les acteurs économiques.
Cependant, l’atteinte de ces objectifs est contrôlée et La société à mission doit mettre tout en œuvre pour assurer la réalisation effective de ces objectifs. Cela pour éviter d’être accusée de greenwashing.
L’entreprise peut toujours renforcer son engagement ou son image vertueuse avec des labels et des certifications.
Sources :
• Article 1835 du code civil
• Article L.210.10 du code de commerce
• Article L.210.12 du code de commerce
• Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises
• Décret n° 2020-1 du 2 janvier 2020 relatif aux sociétés à mission
• https://www.observatoiredessocietesamission.com/
• https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F37408#:~:text=Soci%C3%A9t%C3%A9%20%C3%A0%20mission%20%3A%20de%20quoi,fonctionnement%20pour%20garantir%20leur%20atteinte