Un document inexistant jusqu'à présent vient d'être dévoilé par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) le 25 mars. Cette expertise se penchait sur la capacité des pesticides à base de glyphosate à altérer l'ADN, une étape potentiellement liée au cancer.

Cet énième rapport sur l'herbicide controversé, le plus utilisé au monde et réautorisé dans l'Union européenne en 2023 pour une durée de dix ans, présente une particularité intrigante : sa finalisation était imminente à l'automne 2016, mais il a été mystérieusement mis de côté sans explication. Initialement présenté aux instances de l'Anses le 27 septembre 2016, il a ensuite disparu sans être rejeté, ni validé, un événement sans précédent dans l'histoire de l'agence.

Après avoir découvert l'existence de ce rapport, « Le Monde » a exigé sa communication à l'Anses en octobre 2021 en vertu de la loi sur l'accès aux documents administratifs, aux côtés de tous les documents relatifs à ces travaux. L'Anses a opposé un refus, arguant notamment que le rapport n'avait jamais été formellement adopté, donc qu'il n'existait pas pour être communiqué. « Le Monde » a alors saisi le tribunal administratif de Melun pour obtenir gain de cause. C'est seulement à la veille de l'audience, tenue le mardi 26 mars, que l'agence a publié les quelque 70 pages de ce "prérapport" datant de huit ans.

Le directeur général de l'Anses, Benoît Vallet, nommé en octobre 2022 et confronté à ce litige, a choisi de publier ces travaux "dans un souci de transparence", comme l'indique la notice accompagnant la publication.

L'agence reconnaît son erreur en cessant une expertise avant son terme, citant un avis de son comité de déontologie datant de 2018. Elle affirme également que le rapport de 2016 n'a jamais été adopté ni publié car son sujet se chevauchait avec celui d'un "groupe de travail" établi par la Commission européenne en février 2016. Ce groupe avait pour mission d'identifier des critères et de constituer une liste de coformulants ne pouvant pas être utilisés dans les produits phytopharmaceutiques.

Cependant, l'Anses ne clarifie pas pourquoi ses quatre experts ont continué leurs travaux jusqu'à la rédaction d'un rapport abouti à la fin de septembre 2016, soit sept mois après la mise en place du groupe de travail européen, avant que l'expertise ne soit abandonnée.

Selon l'agence, le rapport préliminaire de 2016 visait à évaluer la pertinence des tests de génotoxicité des produits à base de glyphosate, en tenant compte des coformulants qui potentialisent ses effets. Après les travaux du groupe de travail européen, les produits à base de glyphosate contenant des coformulants génotoxiques ont été retirés du marché français en mars 2021, conformément aux nouvelles réglementations européennes. L'Anses soutient donc que le rapport de 2016 est devenu obsolète, puisque son objectif initial a été réalisé.

Mais, le rapport inachevé contenait des éléments gênants, notamment des divergences entre les experts sur l'interprétation d'études montrant un effet génotoxique d'un produit commercial à base de glyphosate sur des animaux de laboratoire. De plus, il recommandait la réalisation de tests supplémentaires sur les produits testés, car les résultats des tests initiaux ne permettaient pas d'écarter le potentiel mutagène et génotoxique de ces produits.

Ces révélations soulèvent des questions sur les décisions prises par l'Anses concernant l'évaluation de la génotoxicité des produits à base de glyphosate. En effet, en 2020 et 2021, l'Anses a rejeté les préoccupations concernant la génotoxicité de certains produits à base de glyphosate sans exiger les tests supplémentaires recommandés dans son rapport préliminaire de 2016.

Lors de l'audience du mardi 26 mars devant le tribunal administratif de Melun, la rapporteuse publique a recommandé l'annulation de la décision de l'Anses de refuser à « Le Monde » l'accès aux documents relatifs à l'expertise abandonnée.