Ce lundi 4 mars à Abidjan, un évènement inattendu a provoqué l’émoi au sein de la population, partagée entre crainte pour les uns et indifférence pour les autres. Plusieurs vidéos-amateurs, relayées sur les réseaux sociaux ont informé l’opinion nationale, d’une importante quantité de poissons retrouvés morts aux larges des côtes de la lagune Ebrié.
Aussitôt alertées, les autorités sanitaires ont pris des mesures dont les premiers résultats ne vont pas tarder à être divulgués. Les résultats des enquêtes diligentées par le Centre Ivoirien Antipollution (CIAPOL), dont communiqué a été lu par le ministre de l’environnement, du développement durable et de la transition écologique, pointent du doigt l’éternelle problématique d’assainissement de la ville. En effet, des déchets d’origine ménagère et industrielle sont la cause de cette pollution environnementale.
Loin d’être anecdotique, cette énième pollution est la preuve, s’il le fallait encore, de l’urgence et la nécessité pour la principale ville économique du pays de se doter d’un système de gestion et de traitement responsable et rigoureux de ses déchets, en application du dispositif juridique – non négligeable – existant.
Nous nous proposons ici, de mettre en lumière les causes à l’origine de cette pollution environnementale et la réponse apportée par les autorités sanitaires (I) avant de formuler des critiques à l’aune de la règlementation existante (II).

I- Les causes de la pollution et les mesures adoptées par les autorités sanitaires

A- L’origine de la pollution

Une quantité très importante de poissons (environ 2,7 tonnes) a été retrouvée morts au large de la lagune Ebrié à Abidjan.
Selon le CIAPOL, ce phénomène est la conséquence d’un manque d’oxygène provoqué par une consommation abondante de matières organiques déversées dans le plan d’eau lagunaire. Les premières enquêtes ont en effet permis d’identifier l’origine de la pollution.
La veille de la pollution, une importante pluie a été enregistrée dans la ville. Cette pluie a charrié les eaux de ruissellement brutes et les déchets ménagers. Les entreprises industrielles quant à elles, profitant de la nuit tombée, ont déversé leurs déchets dans le plan d’eau lagunaire.

1- L’activité humaine

Les résultats de l’enquête préliminaire du CIAPOL ont permis d’identifier les causes de ce drame écologique. Le communiqué lu par le ministre de l’environnement fait état d’une pratique assez connu des abidjanais. En effet les matières organiques qui ont échoué dans le plan d’eau lagunaire sont composées de ruissellements d’eau de pluie, d’eau usées brutes – faute d’infrastructures de traitement – et de déchets ménagers.
Selon des statistiques de l’institut de recherche pour le développement (IRD), repris par le monde, des 200 tonnes de déchets qui y sont déversés chaque jour, 80% sont d’origine plastique, les 20% restant provenant de l’activité industrielle.

2- L’activité industrielle

Selon le ministre de l’environnement, cette pollution est aussi le fait des industriels.
En attendant les résultats définitifs de l’enquête qui permettra de déterminer la part des déchets industriels dans le drame survenu ce lundi 04 mars dernier, le ministre de l’environnement a tenu a décrié une pratique bien connu ; le déversement de nuit des déchets industriels par les entreprises menant des activités à proximité.
Ce phénomène d’anoxie, s’il a été particulièrement inquiétant, notamment pour les populations riveraines, c’est en raison du nombre important de poissons morts qu’il a cette fois-ci provoqué. Au demeurant, c’est une pratique dont elles sont coutumières.
Selon les précisions de l’institut de recherche et de développement, à la fin de la saison sèche, en mars, les premières intempéries entrainent un écoulement important de déchets dans la lagune. Ceux-ci captent l’oxygène disponible rendant ainsi le milieu irrespirable pour la plupart des poissons.
Ils sont composés de 20% de liquides organiques et industrielles sur les 200 tonnes de déchets déversés chaque jour dans la plus grande lagune de l’Afrique de l’Ouest.
En réponse, les autorités, ont dû prendre des mesures importantes pour juguler le phénomène et éviter la catastrophe.

B- Les mesures des autorités

Pour juguler le phénomène et réduire les risques, les autorités ont vite fait d’interdire la pêche sur toute la zone concernée. Dans le même élan, des barrages ont été posés.
Ensuite des opérations de nettoyages ont été réalisées sur plusieurs jours afin d’assainir toute la zone impactée. Les 2,7 tonnes de poissons ont quant à elles fait l’objet d’une destruction à la chaux vive.
Enfin, des mesures prochaines ont été annoncées par le ministre de l’environnement, à savoir la construction de stations de traitement des eaux usées et la surveillance accrue de la part de ses services.
On peut toutefois regretter que des poursuites pénales ne soient pas envisagées, en application des textes existants.

II- Appréciation de la question environnementale ivoirienne

A- Le cadre juridique

Tout observateur de la question environnementale ivoirienne se rendra vite compte ; le constat le plus saisissant, c’est bien l’insuffisance de la règlementation.
Pourtant l’insuffisance n’est pas synonyme d’absence.
En effet dès 1996 la Côte d’Ivoire étoffait son dispositif règlementaire en se dotant d’un code – la loi du 3 octobre 1996 instituant code de l’environnement – applicable à la gestion des déchets. C’est une loi cadre qui pose les principes généraux et définit la notion de déchet. Elle a vocation à s’appliquer aussi bien aux déchets ménagers que agricoles et industriels.
Ce texte complète ou est complété par plusieurs autres non moins importants que nous nous proposons de revisiter.
Le 7 juillet 1988, le pays se dote d’une loi visant à lutter contre les déchets industriels toxiques et nucléaires par l’adoption de la loi n° 88-651 du 7 juillet 1988 portant protection de la santé publique et de l’environnement contre les effets des déchets industriels toxiques et nucléaires et des substances nocives.
Le 8 novembre 1996 était adopté le décret n° 96-894 du 08 novembre 1996 déterminant les règles de procédures applicables aux études relatives à l’impact environnemental des projets de développement. Ce décret détermine notamment les projets ou activités soumis à étude d’impact environnemental jugés dangereux ou insalubres soumis à autorisation de la nomenclature des installations classées.
Enfin, après avoir été longtemps absente des priorités de règlementations et de réformes, la question des déchets a connu un regain d’intérêt pour les pouvoirs publics ivoiriens avec notamment la loi d’interdiction de production, de commercialisation, de détention et d’utilisation des déchets plastiques, adoptée en 2013.

B- Critiques

On peut le voir, depuis longtemps la volonté des pouvoirs publics ivoiriens de se doter d’un cadre juridique moderne afin de lutter contre les atteintes environnementales a toujours été exprimée. Même si elle a été souvent émaillée d’hésitation voire de confusion, comme en témoignent les réformes successives dans la gestion de la filière déchets ; relevant d’abord de la compétence de l’Etat avant d’être conférée aux collectivités territoriales puis repris et confiée à des institutions, plusieurs fois réformées elles-aussi.
Bien plus que l’insuffisance, il est beaucoup plus à regretter l’inapplication de ces textes dont le pays se dote, à l’instar de la loi de 2013 interdisant la production, la commercialisation, la détention et l’utilisation des déchets plastiques.
L’avancée actuelle du droit de l’environnement internationale relègue juridiquement le pays à distances des enjeux mondiaux auxquels il essaie tant bien que mal de contribuer, à l’instar de ses engagements pris dans le cadre de l’accord de paris sur le climat.
Si elle est louable, cette volonté affichée passe nécessairement par l’ouverture d’un contentieux environnemental, pour l’instant totalement inexistant, en dépit des multiples atteintes de tout genre.
Aussi, dans la même veine, plusieurs projets dont des infrastructures (construction de la centrale de biomasse biovéa dans la localité d’Aboisso) et la révision du code de l’environnement qui prévoit notamment donnée une application concrète au principe du pollueur-payeur prévu en son article 35-5, ont été annoncés.
En attendant cette révision, et le développement d’un régime de réparation adaptée, en réponse à ce récent acte de pollution, les dispositions des articles ; 75 et 100 du code l’environnement, 17 du décret du 3 décembre 1997 portant protection de l’environnement marin et lagunaire contre la pollution ou encore l’article 48 de la loi du 23 décembre 1998 portant code de l’eau, tous incriminant les atteintes à l’environnement pourraient trouver à s’appliquer. Il en est de même des obligations de l’Etat visées aux articles 55 et suivants du même code.





SOURCES

Etude sur la gestion durable des déchets ménagers et industriels dans les états membres de l’UEMOA en vue de la production d’énergie : Côte d’Ivoire, par le consortium – institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (Institut 2iE), FINERGREEN
Partenership Ready Côte d’Ivoire : Gestion et recyclage des déchets organiques
Loi n° 96-766 du 3 octobre 1996 portant Code de l’Environnement
Décret n° 96-894 du 08 1996 déterminant les règles et procédures applicables aux études relatives à l’impact environnemental des projets de développement
Ordonnance n° 2007–586 du 04 octobre 2007 abrogeant certaines dispositions de la loi n°2003-208 du 07 juillet 2003 portant transfert et répartition de compétences de l’Etat aux Collectivités Territoriales
LOI n°98-755 du 23 décembre 1998 Portant Code de l’Eau
Décret n° 91-662 du 9 octobre 1991 portant création d’un établissement public à caractère administratif (EPA), dénomé ‘’CENTRE IVOIRIEN ANTIPOLLUTION’’ (CIAPOL) et déterminant ses attributions, son organisation et son fonctionnement.
Une nouvelle étape dans la construction de la centrale biomasse Biovéa ! | Côte d'Ivoire (edf.com)
CIAPOL – Centre Ivoirien Antipollution
En Côte d’Ivoire, la lagune Ebrié asphyxiée par la pollution (lemonde.fr)
Côte d'Ivoire: les eaux de la baie de Bietry asphyxiées par une pollution de type «organique» (rfi.fr)