En 2022, le président a annoncé un programme pour construire de 6 à 14 réacteurs nucléaires afin d'assurer l'indépendance énergétique et d'atteindre les objectifs de neutralité carbone. Ce projet vise à relancer la construction de réacteurs après des retards, notamment celui de l'EPR de Flamanville. En parallèle, de nouveaux acteurs proposent des petits réacteurs modulaires promettant une énergie moins chère et plus sûre, mais leur efficacité doit encore être prouvée. Ce contexte amène l'ASN à examiner de nombreux dossiers liés à ces projets et à ajuster son contrôle de sûreté nucléaire en conséquence.

LES EPR2
La construction du réacteur EPR de Flamanville, lancée en 2007, a marqué le début d'un projet nucléaire majeur après une longue période. Ce projet a rencontré des difficultés notables, telles que des problèmes de conception complexe pour satisfaire les exigences des fournisseurs d'électricité français et allemands, des estimations initiales irréalistes, une gestion de projet inadéquate, et une perte de compétences industrielles et de culture de qualité. Considéré comme un échec, avec une mise en service prévue en 2024, le projet a toutefois incité la filière nucléaire à entreprendre des transformations importantes pour éviter les mêmes erreurs à l'avenir. Le programme EPR2 a été développé en réponse directe aux leçons tirées de l'EPR de Flamanville. L'EPR2, dérivé de l'EPR, simplifie la conception pour faciliter la construction et l'exploitation. Il représente une évolution vers un réacteur de troisième génération, tenant compte des enseignements de l'EPR pour améliorer la sécurité. Contrairement à l'EPR, sa conception est plus avancée à un stade similaire, réduisant ainsi les modifications potentielles pendant la construction.

Les réacteurs EPR2 sont conçus pour être opérationnels jusqu'à la fin du XXIe siècle, une période où les effets du changement climatique devraient être plus prononcés. Les incertitudes persistent, notamment concernant les températures à prendre en compte, ce qui nécessite une certaine adaptabilité des installations pour faire face à ces défis climatiques. La qualité de la construction et des fabrications demeure le principal défi pour EDF. Le rythme de construction prévu pour le programme EPR2, avec une paire de réacteurs tous les trois ans, exerce une pression considérable sur les fournisseurs et pourrait compromettre la qualité si les échéances deviennent prioritaires.
L'ASN a adapté ses contrôles pour surveiller de près les projets complexes des exploitants et renforcer le contrôle des fournisseurs. La filière nucléaire se prépare depuis plusieurs années à ce nouveau programme, mais des défis persistent, notamment en matière de recrutement et de compétences. Dans ce contexte, l'ASN joue un rôle crucial dans l'évaluation et la supervision des projets nucléaires en cours et à venir, avec une attention particulière portée à la qualité, à la sécurité et à la préparation face aux défis climatiques et techniques.


I- LES PETITS RÉACTEURS MODULAIRES (PRM)

La demande croissante pour des sources d'énergie décarbonée a suscité un intérêt accru pour les petits réacteurs modulaires (SMR). Contrairement aux réacteurs de forte puissance qui ont rencontré des difficultés récentes, les SMR parient sur une réduction significative de la puissance pour simplifier leur conception et bénéficier d'une production en série en usine. Cette approche a attiré de nouveaux acteurs, notamment des start-ups, dans le domaine. Des start-up telles que Jimmy, Calogena ou Naarea se lancent dans le développement de petites entreprises qui visent à rendre l'industrie plus écologique en utilisant de petits réacteurs nucléaires. Cela soulève de nouvelles questions et des défis de sécurité inédits.

Ces réacteurs, appelés PRM (petits réacteurs modulaires), sont plus compacts et moins puissants que les réacteurs traditionnels. Ils peuvent non seulement produire de l'électricité, mais aussi fournir de la chaleur à des industries lourdes telles que le verre, la chimie et l'acier, qui dépendent actuellement largement des énergies fossiles.
Les PRM ont une puissance allant de 10 à 540 mégawatts thermiques (MWth), comparés aux 4 300 MWth de l'EPR de Flamanville en Normandie. Ils se divisent en deux catégories : les SMR (réacteurs modulaires de petite taille), qui sont des versions miniatures des réacteurs à eau sous pression actuels, et les réacteurs innovants de 4e génération (AMR, réacteurs modulaires avancés).

Plus de 80 projets de ce type sont en cours dans le monde, à différents stades de développement. Jusqu'à présent, seule la Russie exploite deux SMR montés sur une barge.
En France, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) surveille une dizaine de projets, principalement des réacteurs de 4e génération à neutrons rapides. Leur recyclage plus efficace des combustibles usés est présenté par leurs défenseurs comme une solution au problème des déchets radioactifs générés par les réacteurs actuels. Philippe Dupuy, chef de la mission réacteurs innovants à l'ASN, a récemment souligné leur capacité à traiter ces déchets lors d'une conférence de presse : "Ils sont capables de brûler les déchets générés par les réacteurs actuels". Les SMR englobent une gamme variée de technologies, de l'utilisation militaire aux centrales nucléaires de taille moyenne, en passant par la production de chaleur et la propulsion navale. En France, la plupart des projets SMR visent la production d'électricité ou de chaleur, avec des puissances allant de quelques dizaines à quelques centaines de mégawatts.

• LES PROJETS EN FRANCE
La start-up Jimmy Energy est sur le point de déposer la première demande d'autorisation pour son réacteur à haute température refroidi à l'hélium d'ici la fin de mars. L'ASN indique que ses créateurs sont déterminés à avancer rapidement. L'examen de cette demande devrait prendre au moins 3 ans. D'autres projets, comme la chaudière de Calogena ou le SMR de Nuward (une filiale d'EDF), prévoient de soumettre leur demande d'ici fin 2026 et visent le premier coulage de béton pour la tête de série d'ici 2030. Selon l'ASN, la réalisation de ces projets dépendra en grande partie de la disponibilité de combustibles spécifiques, ce qui nécessitera la mise en place de nouvelles filières.

II- ENJEUX DE RÉGLEMENTATION ET SÛRETÉ
• Enjeux de réglementation

Les SMR sont vantés pour leur sûreté grâce à leur faible puissance et leur compacité, ce qui permet d'adopter des normes de sûreté plus ambitieuses selon l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). Cette dernière travaille en étroite collaboration avec les entreprises françaises développant des SMR pour évaluer les aspects techniques et réglementaires des projets. La réglementation nucléaire, bien que technologiquement neutre, peut être adaptée pour accueillir des concepts innovants, sans nécessiter de révisions majeures, comme cela a été fait aux États-Unis. L'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) a évalué la maturité des différentes filières de réacteurs en 2015, soulignant la nécessité d'acquérir des connaissances approfondies pour garantir la sûreté des projets. Outre les aspects techniques, les SMR soulèvent des questions sur la sûreté, l'impact industriel et financier, ainsi que le démantèlement des installations. L'ASN travaille sur des objectifs de sûreté minimum et adapte son cadre de travail pour accompagner ces nouveaux projets, avec une attention particulière aux premières phases pour résoudre rapidement les problèmes de conception.

• Enjeux de sûreté
L'ASN affirme que la taille réduite de ces réacteurs ne signifie pas moins d'exigences en matière de sûreté. Elle s'engage à être plus stricte envers ce qu'elle appelle le "nouveau nucléaire de proximité". Ces nouveaux réacteurs sont conçus pour être fabriqués en série et déployés en grand nombre afin d'être rentables économiquement. Ils pourraient être placés dans des zones densément peuplées à l'avenir. Pour répondre à ces défis, l'ASN a mis en place une commission composée de cinq experts en sûreté et de cinq représentants des parties prenantes (société civile, industriels, assureurs). Comme ces réacteurs seront situés près d'habitations dans des zones urbaines ou industrielles, il sera crucial de démontrer que même en cas d'accident grave, les conséquences seront minimes, alors que dans les réacteurs traditionnels, elles doivent être limitées, explique M. Dupuy.

Bien que l'électricité acheminée jusqu'à la prise ne puisse pas être contaminée par la radioactivité, la question se pose pour les industries recevant la chaleur produite par ces petits réacteurs sur place. Selon l'ASN, il est possible qu'une partie de la radioactivité du cœur se retrouve dans le processus industriel du client en cas de défaillance des barrières.
Karine Herviou, directrice générale adjointe de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), souligne que la conception doit éviter que tout accident n'entraîne une contamination du processus industriel, par exemple en mettant en place des circuits de refroidissement intermédiaires. L'ASN estime qu'il existe une possibilité d'amélioration de la sécurité pour ces petits réacteurs. En raison de la puissance réduite du cœur, il y aura moins d'énergie résiduelle à évacuer après l'arrêt automatique du réacteur. Moins d'énergie à évacuer signifie également moins de stress mécanique sur les barrières de confinement, souligne M. Dupuy.






Bibliographie
• COUR DES COMPTES (2020), « La filière EPR », rapport de la Cour des comptes.
• FOLZ J.-M. (2019), « La construction de l’EPR de Flamanville », rapport au ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, et au président directeur général d’EDF, Jean-Bernard Lévy.
• IRSN (2015), « Examen des systèmes nucléaires de 4ème génération », rapport de l’IRSN.
• RTE (2022), « Futurs énergétiques 2050 », rapport d’étude de RTE.
• Nucléaire: la "vague" de projets de mini-réacteurs soulève de nouveaux défis de sûreté (linfodurable.fr)