L’avènement de la nomenclature des préjudices environnementaux : nommer pour mieux normer
Par Virginie PETRUS
Juriste Environnement, Qualité et Sécurité
Thales Avionique
Posté le: 29/05/2012 10:13
Le mercredi 23 mai 2012, la nomenclature des préjudices environnementaux a été présentée officiellement lors d’un colloque à Paris (référence de l’ouvrage : Nomenclature des préjudices environnementaux, LGDJ, avril 2012). Cette nomenclature a été élaborée sous la direction du Professeur Laurent Neyret et le Professeur émérite Gilles J.Martin.
L’objectif de ces travaux était de définir l’étendue des préjudices à prendre en compte en cas de dommage environnemental, car différentes normes traitent ce sujet central mais aucune définition n’apparaît clairement aujourd’hui. Par exemple, la Directive 2004/35 du 21 avril 2004 relative à la responsabilité environnementale (transposée en droit français par une loi du 1er août 2008) avait promis la réparation du préjudice environnemental mais celle-ci resté imprécise dans l’identification du préjudice environnemental.
De plus, les tribunaux , en prenant en compte de plus en plus souvent les conséquences du dommage environnemental , expriment leur volonté d’indemniser le préjudice écologique en tant que tel , mais ces derniers rencontrent des difficultés à identifier les différents préjudices réparables en cette matière, c’est pourquoi ils utilisent les notions de préjudice moral et de préjudice collectif pour prononcer leur décisions de condamnation.
Le but est de nommer pour mieux normer, en effet il y a une nécessiter de prévisibilité du dommage environnemental.
La nomenclature des préjudices environnementaux rappelle la prohibition de la réparation forfaitaire soutenu par le Conseil Constitutionnel dans son interprétation de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1989 pour fonder le principe de réparation « in integrum » (indemnisation du préjudice effectivement subi).
Il existe un pont entre le préjudice corporel et le préjudice environnemental , c’est pourquoi les auteurs de la nomenclature des préjudices environnementaux se sont appuyés sur le prestigieux précédent de la nomenclature Dintilhac « relative aux préjudices corporels, qui prévoit un vocabulaire commun à l’ensemble des protagonistes de l’indemnisation du dommage corporel, qu’ils soient responsables ou victimes ». Il s’agit de faire une check-list des préjudices afin d’identifier les conséquences des dommages environnementaux.
Pour cela, certaines définitions sont rappelées dans la nomenclature des préjudices environnementaux, à savoir :
* Le dommage environnemental peut être défini comme l’atteinte portée à l’intégrité et/ou à la qualité de l’environnement actuel
* Les préjudices qui peuvent en découler sont réparties en deux catégories : les préjudices causés à l’environnement et les préjudices causés à l’Homme
* Les préjudices causés à l’Environnement rendent compte des détériorations de l’environnement au delà et indépendamment des répercussions connues sur les intérêts humains
* Les préjudices causés à l’Homme envisagent les conséquences négatives du dommage environnemental pour l’Homme.
Par ces définitions une architecture générale a été mis en place dans la nomenclature des préjudices environnementaux , qui est le suivant :
I- Les préjudices causés à l’Environnement
1- Atteintes aux sols et à leur fonctions
2- Atteintes à l’air ou à l’atmosphère et à leurs fonctions
3- Atteintes aux eaux, aux milieux aquatiques et à leurs fonctions
II- Les préjudices causés à l’Homme
A- Préjudices collectifs
1- Atteintes aux services écologiques
2- Atteintes à la mission de protection de l’environnement
B- Préjudices individuels
1- Préjudices économique résultant d’un dommage environnemental
2- Préjudices moraux résultant d’un dommage environnemental
3- Préjudices corporels résultant d’un dommage environnemental
La nomenclature distingue dont deux grandes catégories de poste préjudice : ceux à l’encontre de l’Environnement et ceux à l’encontre de l’Homme. Cette nomenclature protège d’une part l’environnement et d’autre part le patrimoine commun.
Les atteintes à l’encontre de l’environnement sont prises en compte dans la nomenclature dans sa première partie, et ont été établies suivant les éléments de l’environnement ( les sols, l’air, et l’atmosphère, les eaux et milieux aquatiques, les espèces, …) et leur fonctions respectives (« c’est-à -dire de leur utilité pour le fonctionnement des écosystèmes »).
La nouveauté ici est l’admission de la catégories des atteintes aux services écologiques dans le domaine du patrimoine commun ; pour cela le groupe de travail formé d’une quinzaine de membres s’est fondé sur la directive n°2004/35 relative à la responsabilité environnementale. Il faut comprendre par atteintes aux services écologiques , « les atteintes aux bénéfices collectifs que l’Homme retire de l’environnement au delà et indépendamment des bénéfices individuels » (Laurent Neyret, La Gazette du Palais, n°109-110). S’ajoute à cette sous catégorie de préjudices causés à l’Homme, les préjudices individuels, qui sont repris sous le triptyque traditionnel des préjudices économiques, moraux et corporels en les spécifiant au dommage environnemental.
Cependant, la nomenclature des préjudices environnementaux laisse en suspend quelques questions. En effet, la recevabilité des actions et le droit d’agir ne sont pas traités. Classiquement, il existe une ambigüité entre la recevabilité de l’action et le bien fondé de l’action dans le cas du préjudice collectif. Laurent Neyret explique que la recevabilité de l’action n’est pas le sujet d’étude de la nomenclature et par suite écarte le problème, mais explique que la question qui se pose dans le cas de la recevabilité de l’action en matière environnementale est l’obtention de l’indemnisation.
De plus , la nomenclature ne règle pas la question de la responsabilité source de ces préjudices environnementaux.
Ces points restent en suspend, mais la nomenclature étant une « grille de lecture ouverte et évolutive » il ne tarderait que ces points soient éclairés par la suite.
Cette démarche rationnelle est totalement accompagnée par les assureurs. Cependant, il faut préciser que la nomenclature des préjudices environnementaux n’établit pas de barème d’indemnisation car en amont de la question pécuniaire, il faut se poser la question de l’identification de l’objet du préjudice. Cela n’empêche pas les assureurs de se servir de la nomenclature non pas comme outil de référence mais comme un outil de travail pour déterminer l’étendue de leur garanties.
La nomenclature est une base pour aider les avocats à appréhender et à structurer leurs demandes. Les magistrats peuvent utiliser cette nomenclature en support pour la rédaction de leurs mission d’expertise et leurs décisions. De plus, comme l’a expliqué Joseph Valantin (Magistrat honoraire) lors du colloque, la nomenclature doit être vue comme une aide à la caractérisation et évaluation du préjudice environnementale.
En conclusion, il semble que cette nouvelle nomenclature ne peut pas être un outil opérationnel sans que certaines questions juridiques ne soient réglées en amont, pour autant cette œuvre pourrait indéniablement faciliter le travail des praticiens du droit.