La future directive sur le devoir de vigilance européen sera plus stricte : clap de fin à l’impunité* des multinationales ?
Par Moustapha Diaby
Posté le: 25/09/2023 14:37
« Le moment est venu de rendre les multinationales comptables des destructions de l’’environnement et des violations des droits humains commises sur leur chaîne de valeur » s’est félicité l’eurodéputé Raphaël Gluksmann le jeudi 1er juin 2023, où le Parlement européen fut au centre de toutes les attentions, avec en toile de fond, l’adoption de sa position sur la future Directive relative au devoir de vigilance européen.
Un texte qui enjoint aux entreprises d’intégrer dans leur mode de fonctionnement, la question fondamentale des droits de l’Homme ainsi que la préoccupation cardinale de protection de l’environnement. Avec 366 votes pour, 255 voix contre et 58 abstentions, les eurodéputés ont, dans leur grande majorité, marqué leur adhésion à un mécanisme plus strict dans le cadre du devoir de vigilance destiné à empêcher les puissantes entreprises de se dérober de leur responsabilité.
À l’origine, le devoir de vigilance est perçu comme un mécanisme dont l’existence n’est fondée que sur le volontarisme des sociétés puissantes dès 2011, et ce, avec l’appui d’organisations internationales. Notamment l’OCDE (Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales), l’ONU (Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme).
Régi par un cadre juridique souple, le devoir de vigilance finit par s’imposer comme un impératif, surclassant la seule volonté des entreprises depuis l’affaire de l’effondrement du Rana Plaza le 24 avril 2013. Une catastrophe humanitaire qui mettra en orbite le besoin impérieux du devoir de vigilance dans plusieurs législations européennes.
Ainsi, sera adoptée en France la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre qui est la source d’inspiration du devoir de vigilance européen. Le 24 octobre 2019, le législateur néerlandais emboîte le pas à la France par le biais d’une loi relative à l’introduction d’un devoir de diligence pour empêcher la fourniture de biens et de services provenant du travail d’enfant…
Tous ces bouleversements ne laisseront pas l’Union européenne indifférente, elle qui avait déjà, par un Règlement (UE) n° 995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010, établi les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché.
Le 17 mai 2017, à travers son Règlement (UE) 2017/821, elle fixe des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaîne d’approvisionnement pour les importateurs de l’Union qui importent de l’étain, du tantale et du tungstène, leurs minerais et de l’or provenant de zones de conflit ou à haut risque » avec dans son package, l’adoption le 22 octobre 2014 d’une directive (2014/95/UE) stricte rendant obligatoire le reporting non financier.
Pour atteindre ses objectifs, Bruxelles entend contraindre toutes les entreprises ayant leurs établissements dans l’UE, dès lors que certaines conditions seront remplies. Notamment le fait qu’elles emploient au moins 250 salariés et réalisent un chiffre d’affaires mondial excédant 40 millions d’euros.
Ces chiffres, loin d’être anodins, sont d’une importance que l’on ne soulignera jamais assez. Ils concrétisent la volonté de l’Union européenne qui entendait considérablement élargir le champ d’application du devoir de vigilance à un nombre important d’entreprises, comme annoncé dans sa résolution du 10 mars 2021 contenant des recommandations faites à la commission européenne sur la responsabilité des entreprises. Le faisant, l’UE marque le pas d’avec certains pays comme la France où le devoir de vigilance ne concerne que les entreprises employant plus de 5000 salariés en France ou plus de 10000 salariés dans le monde, mais aussi l’Allemagne où ne sont concernées que les entreprises ayant 3000 salariés avec une extension prévue à celles qui ont plus de 1000 salariés en 2024.
L’Union européenne annonce ainsi l’avènement d’une législation décisive sur le devoir de vigilance.
Cela dit, des zones d’incertitudes profondes demeurent.
Faut-il rappeler que le devoir de vigilance n’est pas un concept inédit ? Ces inquiétudes sont d’ailleurs légitimement nourries par les difficultés de mise en application. À ce propos, le professeur Arnaud Gossement, se prononçant sur l’affaire du devoir de vigilance de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie, a affirmé à juste titre que « le juge avait considéré que la loi française sur le devoir de vigilance est imprécise. Ce qui donne une possibilité au gouvernement de prendre un décret. Le juge fait de cette possibilité une obligation.
Sans ce décret, il estime qu’on ne peut pas évaluer le sens et la portée du devoir de vigilance. Le juge n’étant pas outillé pour se prononcer sur le contenu du plan de vigilance : il peut seulement se prononcer sur l’existence d’un plan ». Ce raisonnement a, selon ce dernier, permis au Groupe TotalEnergies de ne pas être sanctionné car elle avait formellement établi ses plans de vigilance.
Quoiqu’il en soit, Le doute est réel et ne souffre d’aucune légitimité. L’’UE devra compter sur la bonne foi des États membres qui pourraient se montrer hostiles dans la conjoncture économique qui prévaut…
Il n’y a plus qu’à espérer que la nouvelle directive apporte des éléments de précision pour plus d’efficacité. Auquel cas, elle ne ferait que participer de l’inflation législative qui n’est qu’une entorse au besoin d’accessibilité et de lisibilité. En attendant, tous les regards sont tournés vers les négociations avec le Conseil qui seront cruciales.