La société anonyme Wattelez obtient en 1939 puis en 1976, l’autorisation d’exploiter, sur un terrain lui appartenant, une usine de régénération de caoutchouc. En 1989, elle cède son fonds de commerce comprenant notamment, le stock de matières premières et de marchandises existant, à la société Eureca, tout en demeurant propriétaire du site. Mise en liquidation de biens en février 1991, la société Eureca cesse son activité et laisse sur le terrain plusieurs milliers de tonnes de pneumatiques usagés.


1. Police des ICPE : la société Wattelez, en « sa seule qualité de propriétaire des terrains et des installations », ne peut être débitrice de l’obligation de remise en état du site


Par plusieurs arrêtés, le Préfet de la Haute-Vienne, met en demeure, au titre de la police des installations classées, la société Wattelez, en sa qualité de propriétaire des terrains, de faire évacuer les déchets entreposés dans l'enceinte de l'usine comportant des risques de nuisances, et de prendre diverses mesures conservatoires. En réponse, la société Wattelez forme plusieurs recours en annulation à l’encontre de ces arrêtés préfectoraux. Déboutée devant le tribunal administratif de Limoges, la société Wattelez obtient néanmoins satisfaction devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui annule le jugement de première instance ainsi que les arrêtés préfectoraux en cause. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat se prononce à son tour le 21 février 1997 et confirme l’arrêt de la Cour d’appel ainsi que l’illégalité des arrêtés préfectoraux.

Considérant que la société Eureca s’est régulièrement substituée en qualité d’exploitant à la société Wattelez et que sa disparation n’a pas eu pour effet de transférer à cette dernière la qualité d’exploitant du dépôt de déchets sur le site de l’usine, la Haute juridiction administrative a retenu la société Eureca, en tant que dernier exploitant au titre de la police des installations classées, comme seule débitrice de l’obligation de remise en état. Le Conseil d’Etat ajoute que la société Wattelez, en « sa seule qualité de propriétaire des terrains et des installations », ne peut être débitrice de l’obligation de remise en état du site, et partant interdit le préfet de mettre en demeure ladite société de faire évacuer les déchets entreposés dans l'enceinte de l'usine, et de lui demander de prendre diverses mesures conservatoires. A l’inverse, si le propriétaire avait été exploitant de l’activité à l’origine des nuisances, il aurait été à l’évidence débiteur de l’obligation de remise en état.


2. Police des déchets : le propriétaire ayant fait preuve de négligence à l’égard d’abandon de déchets sur son terrain, est responsable de leur élimination


Loin de clore la saga, c’est au tour du maire de Palais sur Vienne, au titre de la police des déchets, d’intervenir et de mettre en demeure, le 13 juin 2007, la société Wattelez de prendre toutes mesures pour éliminer les déchets se trouvant sur sa propriété.

Pour rappel, selon l'article L. 541-3 du code de l’environnement, en cas de pollution des sols, de risque de pollution des sols, ou au cas où des déchets sont abandonnés, l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable. Est réputé abandon tout acte tendant, sous le couvert d'une cession à titre gratuit ou onéreux, à soustraire son auteur aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour son application.

Saisi par la société Wattelez d’une demande tendant à l’annulation de l’arrêté, le tribunal administratif de Limoges, par un arrêt du 20 décembre 2007, rejette la demande. Saisie à son tour, la Cour administrative d’appel de Bordeaux annule le jugement et l’arrêté pris par le maire considérant que « si ces pneumatiques sont devenus des déchets à la suite de leur abandon, les requérants, en leur seule qualité de propriétaires du terrain sur lequel ont été entreposés les déchets et en l'absence de tout acte d'appropriation portant sur ceux-ci, ne peuvent être regardés comme ayant la qualité de détenteurs de ces déchets au sens des dispositions précitées de l'article L. 541-2 du code de l'environnement et comme ayant ainsi celle de responsables au sens des dispositions également précitées de l'article L. 541-3 du même code ; que, dans ces conditions, le maire de Palais-sur-Vienne n'a pu légalement se fonder sur ces dispositions pour mettre en demeure la SOCIETE X et les consorts X de prendre toutes mesures pour éliminer les déchets se trouvant sur leur propriété ».

De nouveau saisi, le Conseil d’Etat, par un arrêt du 26 juillet 2011, annule cette fois l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux « considérant que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l'absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain ». En d’autres termes, le propriétaire d’un terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, sous deux conditions, être regardé comme le détenteur de ces déchets et partant être responsable de leur élimination : les déchets ne doivent avoir aucun autre détenteur connu et le propriétaire du terrain doit avoir fait preuve de négligence à l’égard de ces déchets. Si ces deux conditions sont réunies, le maire peut imposer au propriétaire d’un terrain d’éliminer des déchets abandonnés qui y seraient entreposés et ce même si ceux-ci sont issus de l’exploitation d’une installation classée dont le propriétaire n’est pas l’exploitant.


3. Quid de l’articulation des polices déchets et ICPE et de la compétence du maire

La police des déchets se révèle être une porte de sortie là où la police des installations classées ne peut s’appliquer. En l’occurrence, écarter la police des installations classées est une solution logique sur le plan juridique (responsabilité du dernier exploitant) mais qui s’avère inefficace sur le plan environnemental puisque le débiteur de l’obligation de remise en état est une société qui n’existe plus depuis de nombreuses années, rendant ainsi le site « orphelin ». Ici, le Conseil d’Etat semble, en réponse à cette situation, admettre la possibilité d’appliquer successivement les législations ICPE et déchets sur un même site, en cas de disparition de la personne morale débitrice de l’obligation de remise en état au titre de la police des installations classées. Ainsi l’autorité administrative peut, à défaut d’ordonner la remise en état du site au titre de la police des ICPE, obliger le détenteur des déchets, provenant de l’exploitation d’une ancienne installation classée, à en assurer l’élimination, détenteur qui peut en l’occurrence être, sous certaines conditions, le propriétaire du site.

Cet arrêt reconnaît et confirme une jurisprudence constante quant à la compétence du maire en la matière. La législation des installations classées prévoit que le préfet est l’autorité compétente concernant la réglementation et le contrôle des activités d’une installation pouvant avoir un impact sur l’environnement, y compris les conditions d’élimination des déchets. En principe, le maire n'est pas fondé à s'immiscer dans l'exercice des pouvoirs de police spéciale des installations classées. Pour autant, le conseil d’Etat a admis que celui-ci pouvait intervenir dans le fonctionnement d’une installation classée sur le fondement de la loi Déchets en cas de pollution causée par des déchets (CE, 18 novembre 1998, Jaeger). Il est compétent pour exercer les pouvoirs liés à la police des déchets (CE, 11 janvier 2007, Min. écologie c/ Sté Barbazanges), mêmes issus de l’exploitation d’une installation classée. S’il est admis que le maire puisse intervenir en la matière, il est à préciser toutefois que celui-ci ne peut exercer ce pouvoir qu’ «en cas de pollution des sols, de risque de pollution des sols, ou au cas où des déchets sont abandonnés, déposés ou traités contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application». En outre, le maire ne pourra exercer cette compétence qu’en cas de carence du préfet. Aussi, en cas de conflit d’exercice des polices, le préfet apparaît comme l’autorité prioritairement compétente pour intervenir.

Plus que confirmer la compétence du maire, l’arrêt précise que l’intervention de ce dernier peut être dirigée à l’encontre du propriétaire du site, détenteur des déchets sous les conditions susmentionnées.


4. Confirmation de la responsabilité du propriétaire détenteur négligeant

A l’issue de cet arrêt du 26 juillet 2011, il revenait à la Cour d’appel de Bordeaux de trancher l’affaire une nouvelle fois. Par un arrêt du 1er mars 2012, la Cour d’appel a finalement confirmé la légalité de l’arrêté de juin 2007 pris par le maire tendant à l’élimination des déchets. Il lui revenait d’apprécier si en l’espèce, le propriétaire pouvait être considéré comme responsable de l’élimination des déchets sur le fondement de la législation déchets. La Cour a ainsi considéré qu’en l’espèce, la société Wattelez pouvait être regardée comme le détenteur de ces déchets et partant être responsable de leur élimination puisque les déchets n’avaient aucun autre détenteur connu et que ladite société avait fait preuve de négligence à l’égard de ces déchets. La Cour procède ici à une longue argumentation avant de déduire l’existence du comportement négligeant du propriétaire. Véritable condition, ce critère de la négligence du propriétaire s’inscrit comme un garde-fou, il semble ainsi que la responsabilité du propriétaire ne saurait être retenue de manière systématique.



Sources :
- "Police des déchets et des ICPE : nouvel épisode de l'affaire Wattelez" Arnaud Gossement
- "Suite et presque fin du roman Wattelez : la Cour administrative d'appel de Bordeaux confirme la responsabilité du propriétaire fautif" Camille Jarry
- "Police des déchets et des ICPE : responsabilité du propriétaire détenteur : un nouvel épisode de l'affaire Wattelez" Arnaud Gossement
- "Le propriétaire d’un terrain ayant accueilli une ICPE peut être tenu à sa dépollution sur le fondement de la loi Déchets" Carl Enkell
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