I. Le contexte juridique

L’article L.542-10-1 du code de l’environnement est relatif aux centres de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs qui sont des installations nucléaires de base. La disposition règlemente les conditions d’obtention d’une autorisation de création de ces installations dangereuses. A l’origine du contentieux se trouve le décret du 7 juillet 2022 portant déclaration d’utilité publique du projet Cigéo, un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs. Ce décret est attaqué par plusieurs associations de défense de l’environnement et/ou de lutte contre les déchets nucléaires. Dans le cadre de ce litige, les requérants ont également demandé au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L.542-10-1 précité. Selon eux, l’article litigieux méconnait « le droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, garanti par le considérant 7 et l’article 1er de la Charte de l’environnement, le principe de solidarité intergénérationnelle, garanti par les articles 2, 3 et 4 de la Charte de l’environnement, éclairés par son préambule, et le principe de fraternité transgénérationnelle, garanti par le Préambule et les article 2 et 72-3 de la Constitution ».

II. Les conditions de transmission d’une QPC

Pour rappel, l’article 61-1 de la Constitution permet à tout justiciable, à l’occasion d’un litige porté devant une juridiction, de contester la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si certaines conditions sont remplies, la « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) ainsi soulevée est renvoyée au Conseil constitutionnel. Pour être recevable, la QPC doit d’abord être introduite dans le cadre d’une instance pendante devant une juridiction relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation. Elle doit être présentée dans un mémoire distinct du mémoire relatif au contentieux de fond et elle doit être motivée. Ensuite elle ne peut porter que sur une disposition législative. Enfin, elle ne doit contester qu’une méconnaissance des droits et libertés que la Constitution garantit.
Après l’examen des conditions de recevabilité, la QPC doit également remplir certaines conditions pour être transmise. Le juge du fonds vérifie que ces trois conditions sont remplies :
1. La disposition dont la constitutionnalité est contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites,
2. Cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances,
3. La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux
Si la juridiction estime que les conditions ne sont pas remplies, elle tranche le litige sans transmettre la QPC. Mais si elle estime que ces conditions sont remplies, elle transmet la QPC au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation selon qu’il s’agisse d’une juridiction administrative ou judiciaire. Elle doit en principe sursoir à statuer sur le litige principal en attendant le retour de la juridiction suprême.
Au niveau du Conseil d’Etat ou la Cour de cassation, ils procèdent à un examen plus approfondi des conditions de renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel en tant que « juge du filtre ». A cela s’ajoute un examen du caractère « nouveau » de la question, critère non examiné par le juge du fonds. La question est nouvelle lorsque la norme constitutionnelle invoquée n’a fait l’objet d’aucune application par le Conseil constitutionnel. Quant au caractère sérieux dont l’examen est plus strict à ce stade, il permet d’écarter les questions manifestement infondées ou ne laissant aucun doute sur le fait que le Conseil constitutionnel serait conduit à ne pas censurer la disposition législative contestée.

III. Les enjeux de cette QPC

Une fois le conseil constitutionnel saisie d’une QPC, deux hypothèses s’ouvrent. Soit, il déclare la disposition législative conforme à la Constitution. Dans ce cas elle conserve sa place dans l’ordre juridique interne. Le Conseil d’état devra l’appliquer, en prenant en compte les éventuelles réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel. Soit le Conseil déclare la disposition législative contraire à la Constitution. Dans ce cas elle sera abrogée à compter de la publication de la décision en vertu de l’article 62 la Constitution.
Comme déjà évoqué, le Conseil d’Etat ne transmet au Conseil constitutionnel que les questions nouvelles et sérieuses après une étude minutieuse et très stricte des conditions requises. Par conséquent, si cette QPC a été transmise en l’espèce, c’est qu’il n’est pas impossible que le conseil constitutionnel déclare l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement non conforme à la constitution. Considérant qu’il s’agit de la disposition qui autorise la création des installations nucléaires de base, son abrogation menacerait l’existence même de ces installations. De plus, la déclaration d’inconstitutionnalité bénéficie non seulement à la partie qui a présenté la QPC, mais aussi à toutes celles qui ont des QPC pendantes sur la même disposition ou à celles qui avaient des instances en cours mettant en jeu cette disposition. Ensuite, au-delà même de l’article L.542-10-1 litigieux, son abrogation pourrait ouvrir la porte à des QPC similaires qui viseraient tout type d’installation aux mêmes caractéristiques. Cette combinaison de fondements tirés des articles, du Préambule de la Charte de l'environnement et de la Constitution (articles 1er à 4 de la Charte avec les considérants 1er et 7 de son préambule ; articles 2 et 72-3 de la Constitution, et préambule de la Charte) serait un véritable passoir pour les nombreux projets relatifs au nucléaire. Enfin et surtout, une telle jurisprudence pourrait faire tache d’huile et ouvrir la voie à des QPC sur des dispositions relatives aux combustibles fossiles par exemple. En définitive, tout un pan du droit de l’environnement et du droit de l’énergie pourrait tomber ou être modifié.
Le Conseil constitutionnel a un délai de trois mois pour statuer. Et en entendant, le Conseil d’Etat a sursis à statuer jusqu’à ce que les sages tranchent la question de constitutionalité. A suivre….