Un collectif de 14 collectivités territoriales, dont Grenoble, et cinq associations a porté plainte contre Total Energies devant le tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine) le 28 janvier 2020. Il reproche au groupe pétrolier de ne pas respecter son devoir de vigilance en matière d’empreinte carbone. “Nous voulons que Total prenne des mesures pour limiter son impact sur le climat”, déclarait alors à franceinfo Sébastien Mabile, l’un des avocats du collectif.

Le devoir de vigilance est une obligation légale pour certaines multinationales depuis la loi du 27 mars 2017. Il s’agit de “prévenir les atteintes graves aux droits humains, à la santé et à la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement”, en France et à l’étranger, chez leurs sous-traitants et fournisseurs. Ces mesures doivent être consignées dans un plan de vigilance, et appliquées efficacement. Si ce n’est pas le cas, la justice peut être sollicitée après une “mise en demeure”. C’est ce qu’a fait le collectif.
"Le pétrolier Total est responsable à lui seul d'environ 1% des émissions de gaz à effet de serre [dues aux activités humaines, consommatrices de charbon, pétrole et gaz] au niveau mondial. Ce qui veut dire qu'il a une empreinte carbone qui est équivalente à celle des 67 millions de Français réunis", développe Sébastien Mabile, qui demande à Total Energies "de prendre des mesures fortes", "afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050, à laquelle nous devons tous contribuer pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré". La multinationale conteste ce constat. “Pour atteindre son objectif de neutralité carbone en 2050, Total Energies met en œuvre des plans d’actions concrets”, dont la réduction, “d’ici 2030”, des “émissions directes de ses installations industrielles opérées de plus de 40%”, affirme aujourd’hui le groupe pétrolier auprès de franceinfo. Total Energies ne veut pas être jugé par le tribunal de Nanterre pour son devoir de vigilance sur le climat. Le groupe pétrolier pense que c’est au tribunal de commerce de trancher, car le devoir de vigilance est dans le Code du commerce.

Mais le tribunal de Nanterre n’est pas d’accord. Il dit qu’il peut juger l’affaire, et il est soutenu par la cour d’appel de Versailles. La Cour de cassation aussi dit que les tribunaux judiciaires peuvent s’occuper du devoir de vigilance. Et le Parlement a décidé que c’est au tribunal judiciaire de Paris de le faire. C’est là que le dossier a été transféré en mars 2022.
Le nombre de plaignants contre Total Energies augmente au fil du temps. Aujourd’hui, 16 collectivités territoriales et six associations sont en justice contre le groupe pétrolier. Paris et New York ont rejoint le collectif le 21 septembre 2022, avec Amnesty International et Poitiers.

“Nous devons respecter l’accord de Paris pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C. Mais certains privilégient leurs profits au lieu du bien commun et de la vie sur Terre”, dénonce la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui veut “forcer un acteur majeur de l’énergie à respecter l’accord de Paris”. Le dossier n’est pas encore prêt pour être jugé sur le fond. En mars 2022, il a été envoyé au tribunal judiciaire de Paris, où un juge de la mise en état s’occupe de la procédure civile. C’est lui qui a présidé l’audience de mercredi.

Les deux parties ont exposé leurs arguments sur les questions de procédure et les motifs d’irrecevabilité invoqués par Total Energies. “Nous avons trois objectifs : défendre le devoir de vigilance et obtenir une décision claire ; faire reconnaître le droit des collectivités territoriales à agir en justice ; et demander des mesures conservatoires en urgence”, explique l’avocat François de Cambiaire.

Il veut ainsi contraindre Total Energies “à arrêter tous ses nouveaux projets d’énergies fossiles”, le temps que le dossier soit traité. Car François de Cambiaire pense que la procédure sera longue et ne prévoit pas de procès avant 2024 ou 2025, voire plus. Le juge de la mise en état ne donnera pas sa décision tout de suite, mais plus tard. “Elle sera sûrement contestée en appel”, dit l’avocat, qui pense que Total Energies va continuer à “faire durer la procédure”. Selon lui, le groupe pétrolier “gagne du temps”. Ce que le groupe dément : “Total Energies a toujours suivi le calendrier fixé par le tribunal judiciaire et le juge de la mise en état.”