Le rappel des faits et de la procédure

Le projet TILENGA du groupe TotalEnergies consistera à extraire du pétrole dans une vaste campagne en Afrique de l’Est. Le projet EACOP consistera à acheminer l’hydrocarbure de l’Ouganda vers la Tanzanie via une canalisation enterrée. Le 24 juin 2019, les associations « Les Amis de la Terre France » ainsi que deux associations ougandaises « « NAPE » et « AFIEGO » mettent la société TotalEnergies en demeure «de satisfaire à ses obligations en matière de vigilance eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en œuvre effective ainsi que de sa publication ». Le 24 septembre 2019, la société défend son plan de vigilance estimant qu’il contenait toutes les informations exigées par la réglementation. Le 29 octobre 2019, les associations susmentionnées saisissent le tribunal judiciaire de Nanterre en référé aux fins d’enjoindre à TotalEnergies d’exécuter ses obligations en matière de vigilance. Ce qu’elles pensaient être une saisine d’urgence finit en bataille judiciaire longue de trois années qui finira à la Cour de cassation. En effet, le tribunal ainsi que la Cour d’appel de Versailles avaient estimé que le juge des référé n’avait pas la compétence matérielle pour statuer. Dans un arrêt du 15 décembre 2021, la Cour de cassation avait partiellement cassé la décision et renvoyé l’affaire devant le juge des référés du tribunal de Nanterre. Elle avait en outre rappelé que la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a donné compétence exclusive au tribunal judiciaire de Paris pour connaître des actions introduites sur le fondement de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mère.


Le débat autour de la loi « vigilance »

En France, la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance a pour objectif de renforcer les obligations des sociétés françaises en matière de prévention des atteintes graves aux droits humains, à l’environnement, à la santé et à la sécurité des personnes et afin d’éviter la survenance de dommages s’y rapportant. Cette obligation de vigilance a été codifiée aux articles L. 225-102-4 et 5 du code de commerce. En vertu de cette réglementation, le 20 mars 2019, la société TotalEnergies a publié son plan de vigilance pour l’année 2018, document ainsi attaqué par les requérants.
Devant le tribunal de Paris enfin saisi, les associations demandent au juge des référés d’enjoindre à TotalEnergies, en vertu du II de l’article L. 225-102-4 du code de commerce sous astreinte :
1)D’établir et publier dans son plan de vigilance l’ensemble des mesures de vigilances prévues par cette disposition propres à prévenir les risques identifiés dans la cartographie des risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement résultant des projets Tilenga et EACOP. Elles estiment notamment que ni la cartographie des risques, ni la procédure d’évaluation régulière, ni le mécanisme d’alerte ou le dispositif de suivi des mesures ne sont satisfaisantes au vu des exigences de l’article L. 225-102-4 mentionné.
2)De mettre en œuvre de manière effective son plan de vigilance conformément à la loi
3)De suspendre lesdits projets qui sont à l’origine de graves atteintes ou risques d’atteinte aux droits des personnes et de l’environnement selon elles.
La société TotalEnergies quant à elle, réitère son soutien de son plan de vigilance qu’elle estime parfaitement conforme aux prescriptions légales.

La décision du tribunal

Il convient d’emblée de préciser qu’à l’audience du 26 octobre 2022, le tribunal, compte tenu de la nature de l’affaire, a procédé à l’audition de professeurs et spécialistes en tant que amici curiae afin de l’éclairer sur les notions de vigilance et conformité. Ceci démontrait déjà la difficulté de statuer sur une notion qui n’a pas encore fait l’objet de beaucoup de contentieux ou de clarification du gouvernement.
En effet, le tribunal n’a pas manqué de relever que « le contenu de ces mesures de vigilance demeure général, étant observé que le décret prévu par les dispositions susvisées pouvant apporter des précisions sur le contenu de ces mesures de vigilance n’est pas paru à ce jour ». Il a ensuite observé que « loi ne vise directement aucun principe directeur, ni aucune autre norme internationale préétablie, ni ne comporte de nomenclature ou de classification des devoirs de vigilance s’imposant aux entreprises concernées ». Par conséquent, la lecture seule de la loi ne permet pas de déterminer un référentiel, une typologie précise ou un modus operandi pouvant servir à évaluer les mesures prises par une entreprise. Ceci est d’autant plus difficile que la loi ne prévoit pas d’organisme de contrôle ou d’indicateurs de performance clairs. Ainsi, en l’absence de contour précis aux mesures générales de la part du législateur, les pouvoirs limités du juge des référés ne lui permettent pas d’apprécier le caractère raisonnable des mesures adoptés lors du plan de vigilance de TotalEnergies. Tout ce qu’il est en mesure de déclarer c’est que ce plan de vigilance contesté comporte, en tout état de cause, les rubriques correspondants aux cinq mesures exigées par la loi. Toutefois, il ne s’agit pas là d’une victoire de la société pour autant. Le juge des référés a pris le soin de préciser que seul un examen approfondi du juge du fonds pourrait trancher sur la légalité du plan de vigilance litigieux.

Par ailleurs, le juge a rappelé que la loi de 2017 institue une phase obligatoire de dialogue qui exige du demandeur une mise en demeure avant toute saisine du juge. Il a ensuite relevé que les associations n’ont pas entièrement satisfait cette exigence procédurale puisque tous les griefs formées à l’encontre de la société TotalEnergies n’ont pas été adressés à cette dernière entre l’assignation en justice et la première mise en demeure. Ceci entraine l’irrecevabilité de l’ensemble de leurs demandes qui ont donc été rejetées.

Dans un communiqué conjoint, les associations déplorent sans réserve la décision qu’elles trouvent très décevante. Elles espèrent que le contentieux au fond leur donnera plus de satisfaction.