
L'abandon de déchets, question sous-jacente au naufrage d'un navire.
Par Andrea KERMORGANT
Avocat
Barreau de Paris
Posté le: 30/01/2012 18:44
Le naufrage du paquebot Costa Concordia dans la nuit du 13 au 14 janvier 2012 près des côtes italiennes nous rappelle qu’un tel évènement peut avoir des conséquences catastrophiques sur l’environnement. Outre les questions relatives à la réparation des dommages causés aux personnes et à l’environnement, on peut s’interroger sur l’avenir de l’épave. En effet, en admettant que malgré les nouvelles normes de construction les deux coques d’un navire cèdent, ou bien que ce dernier glisse, le risque de marée noire et de détérioration de la structure du navire font le lien avec la question de la gestion des déchets et surtout de l’infraction d’abandon de ces derniers.
Une telle situation pourrait effectivement conduire à l’abandon de tout ou partie du navire et des hydrocarbures qui y sont contenus. On pourrait alors s’interroger sur le régime applicable à de tels agissements et les sanctions relatives à l’abandon des déchets.
Pour ce faire nous transposerons tout d’abord cette situation en droit français (I) avant de s’interroger sur le droit pénal italien et ses différences (II).
I/ Transposition de la situation en droit français
Le naufrage récent du Costa Concordia mène à terme à la question des déchets en résultant et du régime applicable à ces derniers. Bien qu’échoué dans les eaux territoriales italiennes, on peut transposer cette situation sur le territoire français afin de s’intéresser à la qualification d’une épave comme déchet (A) ou encore voir quelles sont les mesures pénales prévues quant à l’abandon des déchets (B).
A/ La qualification de l’épave comme déchet
L’article L5142-1 du Code des transports dispose dans son second alinéa que «l’état d’épave résulte de la non-flottabilité, de l’absence d’équipage à bord et de l’inexistence de mesures de garde et de manœuvre». Ainsi un navire échoué et sans équipage, si l’on admet l’abandon des mesures envisagées pour éviter que ce dernier ne sombre, pourrait en cas de non flottabilité être considéré comme une épave. Cependant, peut-on considérer une épave comme un déchet? Ou encore le fait de laisser un navire échoué est-il qualifiable d’abandon?
L’article L541-1-1 du Code de l’environnement définit un déchet comme étant «toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire». En parallèle, on peut définir l’abandon commet un acte par lequel une personne renonce à un droit. Toutefois l’abandon suppose une intention à la différence de la perte. L’épave volontairement laissée sur place serait donc constitutive d’un abandon de déchet. Mais quel est alors le régime applicable? Le droit pénal de l’environnement semble prévoir une infraction spécifique à ce sujet.
B/ Le Droit pénal de l’environnement français
En effet, le droit pénal de l’environnement prévoit une infraction d’abandon de déchet. L’article L541-3 du Code de l’environnement dispose qu’en cas d’abandon de déchets, le producteur est avisé des faits et des sanctions encourues. En cas d’inaction une consignation d’une somme déterminée peut être ordonnée le temps de la mise en œuvre des mesures de réparation du dommage. A cela peut s’ajouter une suspension de l’activité et une astreinte de 1500€ par jour ainsi qu’une amende allant jusque 150 000€. L’article L126-6 du même code puni quant à lui de deux ans d’emprisonnement et de 75 000€ d’amende le fait de déverser dans les eaux superficielles des substances susceptibles d’impacter sur la santé, la flore ou la faune. Le Code pénal est nettement moins répressif en la matière dans ses articles R632-1 et R635-8 qui ne prévoient que des contraventions de seconde (150€ maximum) ou cinquième classe (1500€ ou 3000€ maximum en cas de récidive) en cas d’abandon de déchets dans des lieux privés ou publics.
Ces sanctions pénales semblent donc peu dissuasives, surtout celles prévues par le Code pénal, en ce sens que les entreprises y trouvent souvent leurs comptes dans les amendes vu le faible montant de ces dernières. Quant aux deux années d’emprisonnement prévues par l’article L126-6 du Code de l’environnement, il est peu probable qu’on emprisonne un chef d’entreprise pour délinquance environnementale et prendre ainsi le risque de voir fermer une entreprise avec les conséquences que cela engendre sur l’emploi.
Si les sanctions sont encore à développer en France, on peut se demander si une telle infraction d’abandon de déchets existe ailleurs.
II/ Législation italienne en l'espèce
En effet, le naufrage du Costa Concordia ayant eu lieu dans les eaux territoriales italiennes, il est intéressant de voir quelles sont les mesures de sanction prévues par le droit italien (A) et de les comparer avec celles vues précédemment en droit français (B).
A/ le droit pénal de l'environnement italien.
La problématique des déchets en Italie a de nombreuses fois nourri les journaux d’actualités tant le pays a été et est encore confronté à de nombreux problèmes dans la gestion de ses déchets. En effet, si nous prenons l’exemple de la Campanie et plus particulièrement de Naples. Si la façon dont est géré l’enlèvement des déchets et la gestion municipale des ordures n’est pas le sujet de cet article, on constate néanmoins que depuis près de vingt ans la ville a de nombreuses fois été envahie par les déchets abandonnés faute de ramassages. Dans de telles situations, on peut tout à fait imaginer que les citoyens ne sont pas responsables de ces abandons « forcés » mais si tel en était le cas, existe-t-il une infraction d’abandon de déchet en droit italien?
Des sanctions en cas d’abandon de déchets sont bien prévues en droit italien et l’on constate qu’en fonction du type de déchet et du lieu d’abandon, différentes sanctions peuvent être prononcées, allant de zéro à deux ans d’emprisonnement et des amendes d’une centaine d’euros à un peu plus de 25 000€. Il est alors intéressant de comparer ces sanctions avec le droit français.
B/ Comparaison entre les deux
Effectivement, si l’on regarde les sanctions relatives aux abandons de déchets prévues par les droits français et italien, on constate que tous deux prévoient à la fois des amendes et des peines d’emprisonnement. Il faut toutefois remarquer que le droit italien, s’il ne prévoit pas des amendes aussi élevées qu’en France, assorti la plupart des sanctions d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à deux ans. Inversement, la France semble quant à elle prévoir des sanctions plus axées sur les amendes que sur les peines d’emprisonnement.
La question de l’abandon de déchets sous-jacente au naufrage d’un navire permet donc de voir qu’il existe bel et bien une infraction d’abandon de déchets en France mais également ailleurs dans le monde. Si ici nous avons pris l’exemple de l’Italie, siège du naufrage, il est tout à fait possible qu’une telle infraction soit prévue dans le droit des autres pays voisins. Une évolution des sanctions de l’abandon apparaît toutefois nécessaire afin de rendre de pareilles pratiques moins « rentables » pour les entreprises. En effet, si les sanctions deviennent plus dissuasives, les délinquant environnementaux n’auront, peut-être, plus d’intérêt à opter pour l’abandon de leurs déchets au détriment d’un traitement plus respectueux de l’environnement mais également plus coûteux.