Pour le profane comme pour l'initié, l'environnement est d'abord un terrain d'action. Comment atténuer telle ou telle pollution, comment éliminer ses déchets, comment embellir son cadre de vie? Aucune des sciences que l'on appelle à la rescousse ne fournit seule la réponse. Voilà pourquoi les études sectorielles foisonnent. L'urbanisme pas plus que l'écologie ne peut prétendre disposer de modèles ou de concepts suffisants.

Le problème vient de ce que la plupart des études d'environnement sont thématiques alors que, d'un côté leur objet, la ville, est constituée d'éléments interdépendants, et que, de l'autre, les disciplines mobilisées, écologie et urbanisme, invoquent la nécessité d'une approche globale. Dans la production scientifique comme dans la gestion urbaine, cette approche intégrée fait ainsi figure d'idéal plutôt que de réalité, si bien que l'on peut s'interroger sur l'existence d'un objet scientifique commun.

L'objectif de cet article est d'appréhender l'environnement urbain à partir de la pratique des gestionnaires de la ville confrontés au maintien de la qualité du cadre de vie urbain, transdisciplinaire dès que ceux-ci prennent en compte l'écologie dans une opération d'urbanisme, ou inversement. On se propose de mettre en évidence la proximité théorique des disciplines ainsi sollicitées, toutes deux récentes et tournées vers l'action, et d'y trouver une approche commune de la ville, adaptée à la gestion de l'environnement. L'histoire et l'exercice contemporain de l'écologie et de l'urbanisme présentent quelques similitudes, qu'il s'agisse d'une certaine dérive utopiste ou d'un travers techniciste. Néanmoins, certains concepts usuels de l'une et de l'autre préfigurent la transdisciplinarité. L'écologie et les sciences humaines peuvent se féconder réciproquement: c'est l'enseignement de l'Ecole de Chicago, dont l'héritage peut aider à clarifier la notion courante mais jamais définie d'« écosystème urbain ».

I- RENCONTRE DE L'ECOLOGIE ET DE L'URBANISME DANS LA GESTION URBAINE

En France, les grands dossiers d'environnement (gestion de la circulation, traitement des déchets, de l'air et de l'eau) relèvent traditionnellement de services spécifiques du Génie Urbain. C'est là que la référence à l'écologie urbaine est la plus fréquente. Dans d'autres pays, confrontés à des questions d'environnement sous la pression des responsables politiques et des citoyens, les gestionnaires des villes (ingénieurs du génie civil et urbanistes) ont en premier adopté la démarche globalisante que préconisent les scientifiques.
On peut citer à titre d'exemple l'application de la notion de « bassin» à la gestion de la qualité de l'air de la métropole de Los Angeles et de sa région - South Coat Air Basin - (Nazim, 1994). L'auteur souligne que le « bassin atmosphérique », établi sur la base d'un concept géographique et non politique, est devenu la référence pour les programmes de régulation. Face à l'inefficacité des politiques sectorielles locales des années 1970, cette approche a permis de réduire un certain nombre de pollutions à Los Angeles (plomb, ozone, CO notamment). L'analyse globale du problème sur l'ensemble du Tassin suscita en effet la collaboration de divers niveaux de pouvoir: agences locales, ~autorité régionale (The South Air Qualité Management District), Etat de Californie. C'est selon le même principe, quoique plus tardivement, que fut engagée la lutte contre la pollution atmosphérique dans la ville d'Athènes (Valenza E., 1994). Dans les deux cas, les comptes rendus des ingénieurs montrent que l'efficacité a reposé sur une vision globale des questions d'environnement dans l'aire métropolitaine et sur la coordination des politiques d'aménagement du territoire. De ces deux exemples, on retiendra l'étroite association de questions habituellement traitées de manière indépendante et le rapprochement de divers spécialistes: génie urbain (gestion des réseaux techniques), urbanisme et développement économique (Archer B., 1994).
En France, ces approches globales, qui font référence à l'écologie et dépassent les logiques sectorielles, apparaissent aussi dans le cadre d'un urbanisme « rénové» promu par les autorités politiques (Direction de l'Architecture et de l'Urbanisme, 1993). Cet urbanisme comprend le génie urbain et doit intégrer les données de l'écologie (Martinant C, 1993) 4. D'ores et déjà, l'eau et les transports font l'objet d'approches globales et intégrées: à l'échelle du bassin fluvial pour la gestion du cycle de l'eau urbain, à celle de l'agglomération pour les déplacements urbains et les localisations de l'emploi, de l'habitat, des équipements (Cambon S., 1993). L'expérience révèle que l'environnement ne peut faire l'objet d'un traitement séparé et que l'urbanisme, au sens d' « art de réguler les systèmes urbains» (Martinand, 1993), s'en trouve revivifié. La connaissance et la gestion des processus impliqués dans la conservation des ressources renouvelables que sont l'eau, l'air et l'espace au sein de la ville, redonne à l'urbanisme sa fonction originelle.


II- L'UTOPIE D'UNE REGULATION

L'écologie appliquée et l'urbanisme ont un souci commun de l'efficacité pratique et du recours à des instruments de régulation autres que la logique du marché pour corriger ou prévoir les effets indésirables de la croissance et garantir le développement dans l'intérêt général.
Dès la deuxième moitié du XIXe siècle l'urbanisme chercha à corriger les effets pervers de la révolution industrielle et urbaine. Dès l'origine, la théorie et la pratique furent associées, l'une servant à fonder l'autre. Le plan et les arguments de l'ouvrage de Cerdà répondent à cette visée. L'auteur débute par l'étude des processus généraux de l'urbanisation pour aborder ensuite l'aménagement de Barcelone qui doit remédier aux nuisances décrites. De même, le Baron Haussmann connu surtout pour son œuvre pratique de « régularisation» de Paris, révèle dans ses écrits une démarche similaire (Lacaze, 1979) et la Charte d'Athènes, manifeste de l'urbanisme théorique, constitue-t-elle un fondement à la création urbanistique (Le Corbusier, 1957). Ainsi dès l'origine la planification occupe une place déterminante en urbanisme et se fonde sur des écrits qui montrent clairement les parti-pris de leurs auteurs.