L’amiante face à l’obligation de sécurité de l’employeur : un combat sans fin
Par Sandrine EICHENLAUB
Juriste environnement
SNCF
sandrine.eichenlaub@hotmail.fr
Posté le: 22/01/2012 11:25
Silicate naturel hydraté de calcium et de magnésium à contexture fibreuse, l’amiante était fortement plébiscité par de nombreux industriels pour ses propriétés physiques, chimiques et son faible coût. Son utilisation principale consistait dans la fabrication de matériaux et dans le développement de tissus incombustibles. L’ensemble de ces qualités en faisait un produit attractif et fortement utilisé dans le domaine de la construction.
Néanmoins il reste un produit très dangereux pour l’homme. En effet, on ne cesse de déplorer les victimes de l’amiante. 100 000 morts : c’est le nombre de décès par an dans le monde dues à l’amiante selon l’Organisation internationale du travail mais c’est aussi le nombre de morts attendues en France d’ici à 2030 selon le professeur Marcel Goldberg, coordinateur d’une étude Inserm en date de 1996. Parmi elles, la plupart auront été exposés à l’amiante dans le cadre de leur activité professionnelle. Les risques sont plus importants encore pour les personnes travaillant au sein des exploitations minières et dans le cadre du broyage de minerai.
Face à ce phénomène ô combien préoccupant, il convient d’analyser le cadre législatif.
Parmi les premières dispositions relatives à l’amiante, un décret d’août 1977 limite l’empoussièrement à l’amiante dans les établissements où le personnel est exposé à deux fibres par cm3 pour huit heures travaillées. Il s’agira du premier décret instaurant une valeur limite d’exposition à l’amiante. Ensuite ? Rien. Les législateurs sont restés muets sur la question pendant près de vingt ans. Ce n’est que le 24 décembre 1996 qu’un nouveau décret fit son apparition et interdit en amont concrètement toute fabrication, transformation, vente, importation et mise sur le marché national de toutes les variétés d’amiante. Corrélativement à cette mesure, deux décrets 96-97 et 96-98 visent directement la protection des personnes qui pourraient être soumises à l’amiante. Ils instaurent avant tout une protection de la population dans les immeubles en mettant en place un repérage, une évaluation, une obligation de travaux ainsi qu’une surveillance appropriée. L’autre décret vise davantage quant à lui la protection des travailleurs en instaurant un encadrement des travaux de retrait. Enfin un décret de 2001 suivi de deux circulaires de 2003 renforcent à leur tour les obligations des propriétaires concernés par la présence d’amiante. Une certaine inertie française peut ainsi être constatée, voire même un recul de la protection des travailleurs permis par le décret du 3 juin 2011.
En effet, deux éléments caractérisent ce notable recul.
Tout d’abord, le maintien d’un seuil légal fixé à cinq fibres par litre. Cette situation est d’autant plus choquante qu’un rapport de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement du Travail avait relevé la nocivité des fibres courtes d’amiante d’une longueur inférieure à cinq micromètres et avait même préconisé l’abaissement du seuil de déclenchement des travaux à 0.5 fibres par litre.
De plus, l’article 10 du même décret introduit la possibilité de déroger à ce même seuil dans le cadre de travaux urgents effectués par certains producteurs. Cela concernera tant les propriétaires d’immeubles de grande hauteur ainsi que les établissements recevant du public. Une véritable exemption est donc permise dans certains cas, ce qui rentre totalement en contrariété avec les objectifs visant à interdire l’utilisation de l’amiante.
Voyons ensuite la responsabilité des chefs d’entreprise qui ne cesse d’être compromise et qui a été tout particulièrement consacrée par le procès du groupe de l’amiante-ciment, ETERNIT. Ce procès, qui ne ne cesse de faire parler de lui, fait suite à de nombreux grands procès liés à des catastrophes industrielles.
A présent, dans un cadre plus national, comment ne pas oublier les procès Amiante du 28 février 2002 ? Par ces arrêts rendus par la cour de cassation, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce dernier du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise. Le manquement à cette obligation a le caractère de faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Par cette brèche, de nombreux salariés ont progressivement recherché à engager la responsabilité de leur employeur. Entre 25 000 et 30 000 procédures en faute inexcusable. Parmi elles la grande majorité est gagnée par les victimes.
Une autre marge de manœuvre est également réservée aux personnes directement exposées à l’amiante. Le droit de retrait. Selon l’article L4131-1 du code du travail, le droit de retrait est le droit pour le salarié de se retirer d'une situation de travail présentant un « danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ». Au préalable, le salarié a néanmoins le devoir d’informer son employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle constitue un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé. Il faut préciser également que cette faculté de se retirer est conditionnée sur le propre sentiment de danger du salarié. Un caractère subjectif doit ainsi être pris en compte. La même faculté est permise aux fonctionnaires aux articles 5 et 6 du décret du 28 mai 1982.
Face à cette épée de Damoclès reposant sur la tête de l’employeur, celui-ci a le devoir de mettre tout en œuvre pour prévenir le danger relatif à l’amiante. Plusieurs obligations incombent à l’employeur.
En premier lieu, l’employeur évalue le risque. Pour se faire, il doit être en mesure d’identifier et de localiser les matériaux susceptibles de libérer des fibres d’amiante et transmettre les résultats au médecin du travail, au CHSCT, à l’inspecteur du travail ainsi qu’à la CARSAT. Evidemment les informations devront transparaître dans le document unique.
En second lieu il informe les salariés, en établissant une notice pour chaque poste ou situation de travail susceptibles d’exposer les travailleurs à l’inhalation de poussières d’amiante. Il s’agit de les informer quant aux risques susceptibles d’être présents sur le poste de travail et sur les mesures prises afin de les éviter.
Enfin une formation est dispensée par l’employeur aux salariés concernés afin d’assurer concrètement la prévention, la sécurité et la bonne utilisation des équipements de protection individuelle et collective. Celle-ci se devra d’être facilement compréhensible et devra porter sur les produits pouvant contenir de l’amiante, les modalités de travail recommandées ainsi que sur le rôle et l’utilisation des équipements de protection individuels et collectifs. Suite à cette formation une attestation de compétence est remise au salarié.
L’employeur déclare les procédés de travail à la caisse primaire d’assurance maladie.
Une protection adaptée des salariés est mise en œuvre.
Il s’agira dans cet objectif de prendre les mesures nécessaires à même de réduire la durée et le niveau d’exposition à l’amiante après l’avis du médecin du travail ainsi que du CHSCT ou à défaut après l’avis des délégués du personnel. Il contrôle ensuite les niveaux d’empoussièrement en fibres d’amiante qui ne doivent dépasser 0.1 fibres par centimètre cube sur une heure de travail.
Une liste actualisée des travailleurs susceptibles d’être exposés à l’émission, à l’inhalation de poussières d’amiante sera à établir ainsi qu’une fiche d’exposition pour chaque travailleur précisant les procédés de travail ainsi que les équipements de protection individuels et collectifs utilisés.
Il convient également de mettre prioritairement en œuvre les moyens de protection collective qui doivent faire l’objet d’une vérification régulière et être de plus en parfait état de fonctionnement. Des moyens de protection individuelle pourront aussi être présents selon la nature de l’activité en question.
Les lieux de travail doivent être nettoyés avec minutie.
De plus, l’employeur impose que les salariés ne mangent, ne boivent ou ne fument pas sur le lieu de travail.
Ensuite après avis du médecin du travail et du CHSCT ou à défaut des délégués du personnel, le chef d’entreprise fixe la durée maximale du temps de travail impliquant le port d’un équipement de protection respiratoire individuelle. Le temps nécessaire aux opérations d’habillage, de déshabillage et de décontamination des travailleurs doit aussi être pris en compte. Enfin l’employeur tient compte du temps consacré aux pauses après le port ininterrompu d’un équipement de protection respiratoire individuelle.
Pour ce qui est du suivi médical des travailleurs exposés à l’amiante, une vérification préalable de l’aptitude médicale du salarié est nécessaire. Des investigations et examens complémentaires pourront être prescrits par le médecin du travail. Une attestation d’exposition devra être remise au salarié dès que celui-ci quitte l’établissement après avoir exercé des activités de retrait et de confinement d’amiante. Enfin un dossier individuel pour chaque travailleur est établi par le médecin du travail. Il contient à la fois la fiche d’exposition, mais aussi les dates et résultats des examens complémentaires qui auront été pratiqués. Ce dossier est impérativement conservé pendant 50 ans après la fin d’exposition au risque. Enfin sous certaines conditions le salarié ayant 50 ans révolus et ayant été exposé à de la poussière d’amiante pourra bénéficier dans certaines conditions d’une préretraite spécifique.
Les déchets contenant de l’amiante sont quant à eux conditionnés et traités de façon à éviter l’émission de poussières d’amiante pendant leur manutention, transport, entreposage, stockage. Des emballages appropriés et fermés sont présents. L’étiquetage des déchets est ici indispensable. L’employeur doit en outre prévoir les modalités d’entretien des vêtements de travail qui en aucun cas ne peuvent être amenés au domicile du salarié en question.