La douloureuse problématique de la pollution des eaux
Par Remi LAVIGNE
Avocat
Cabinet Me LAVIGNE
Posté le: 19/09/2011 11:25
Une eau est contaminée dès lors qu’elle contient un ou plusieurs éléments nocifs pour les biotopes qu’elle héberge, ou pour les organismes qui l’utilisent. Ainsi sa composition est altérée par rapport à son état initial, ce qui le rend dangereuse (ou en accroît la dangerosité) ou perturbe l’écosystème aquatique. En France, le caractère pollué d’une eau s’apprécie en fonction du dépassement des valeurs limites de concentration des polluants, et de l’état initial du milieu aquatique supposé pollué.
La pollution des eaux peut concerner tout type d’eau. En effet qu’elle soit souterraine, de surface, littorale, saumâtre, ou marine l’eau abrite des écosystèmes et génère des services écologiques dont l’Homme et la biodiversité se servent. Une pollution de l’eau se répand très vite, en se transmettant de milieu aquatique en milieu aquatique via notamment les nappes phréatiques, ou des interfaces telles que les estuaires, les zones humides et en particulier leurs sédiments pouvant absorber et relâcher certains polluants.
Il est désormais reconnu que l’eau, de par son cycle particulier, est le véhicule préféré des polluants. En outre est constaté en France une contamination généralisée des eaux de surface et littorales par certaines substances (Institut français de l’environnement), les eaux souterraines étant pour l’instant moins touchées.
La pollution des eaux peut emprunter diverses voies, à travers notamment le déversement direct d'effluents industriels et d'eaux usées, via les retombés aux sols de polluants atmosphériques, via le lessivage des sols pollués par ruissellement ou infiltration souterraine des eaux de pluie Les polluants mettent plus ou moins de temps pour atteindre les milieux aquatiques selon la manière dont ils ont été introduits dans la nature.
Pour ne citer qu'un exemple, même un orage peut générer des pollutions remarquables. En effet en cas d'orage les fortes pluies vont ruisseler dans les rues et emporter avec elles les différents polluants accumulés sur le sol dans les rues (détritus, poussières, hydrocarbures etc.) et sur les toitures où se sont déposées, entre deux pluies, poussières urbaines et suies de combustion et d’incinération des ordures ménagères.
De plus si l’agglomération est équipée d’un réseau d’assainissement unitaire, de loin le plus fréquent, qui collecte à la fois eaux usées et eaux de pluie, les pluies et leur charge polluante sont drainées jusque dans les égouts. Or, en cas d’orages, ceux-ci peuvent déborder, leurs eaux allant directement dans la plus proche rivière. Il en résulte une pollution brève mais intense qui provoque une désoxygénation des eaux pouvant conduire à une mortalité massive des poissons.
Hélas nombreux sont les secteurs identifiés comme étant générateurs de polluants dans l’eau. Parmi eux se trouvent les abattoirs, l’industrie pétrolière, l’industrie de traitement et de stockage des déchets, l’industrie du verre, les centrales thermiques de production d’électricité, l’industrie chimique, les fabricants de colles et adhésifs, de peintures, de pigments, l’industrie du plastique, l’industrie du caoutchouc, l’industrie textile, la papeterie, la métallurgie, l’industrie pharmaceutique, l’imprimerie, et l’agroalimentaire. Cependant de nombreuses autres activités peuvent influer, directement ou indirectement sur les composantes d’un milieu aquatique.
Cela étant, certaines activités sont bien plus polluantes que d’autres. L’agriculture par exemple, est une activité particulièrement néfaste pour les milieux aquatiques. En effet les statistiques indiquent que près d’un quart des non conformités des eaux servant à l’alimentation humaine est dû aux pesticides, aux herbicides, et aux insecticides qui s’accumulent dans le sol puis s’infiltrent jusque dans les nappes phréatiques. De plus les élevages concentrés entraînent un excédent de déjections animales dans le sol (pollution bactériologique). Les engrais chimiques (nitrates et phosphates) atteignent, eux aussi par infiltration, les nappes phréatiques, et se répandent dans les eaux souterraines puis de surface.
Si de nombreuses activités polluantes existent, la pollution de l’eau est également générée par un certain nombre de facteurs supposés anodins. Par exemple, une station d’épuration insuffisamment efficace rendra de l’eau insuffisamment propre qui pourra se répandre, l’absence de réseaux d’assainissement dans certaines zones, et des fosses septique qui fuient conduira à une infiltration bactériologique dans le sol, puis dans l’eau. Un facteur très souvent oublié est également le lessivage des sols, des chaussées, et des toits par les pluies dont l’eau s’écoule en récoltant les polluants rencontrés. Au delà des rejets industriels, de la pollution par négligence (décharges sauvages), les sédiments peuvent être fortement pollués par des pollutions historiques, et conserver des traces anciennes de polluants (On trouve parfois dans certaines rivières de nombreux plombs de chasse et de pêche là où ces activités sont ou furent pratiquées). Certaines pollutions des eaux sont également purement accidentelles telles que le déversement de polluants lors d’un accident de la circulation, la dispersion dans la nature de gaz ou liquides toxiques industriels, une panne dans le fonctionnement d’une station d’épuration, un mauvais entreposage de produits chimiques, ou encore les incendies.
Les pollutions des eaux peuvent être chimiques ou bactériologiques, et peuvent n’apparaître que très longtemps après la contamination. Les nitrates, notamment, peuvent n’atteindre certaines nappes phréatiques qu’après plusieurs décennies, ce qui les rend encore plus dangereux. A titre d’exemple de pollution à deux temps, il est possible de citer l’incident d’Erstein en 1970. En effet cette année là, un camion transportant du tétrachlorure de carbone s’est renversé au nord de Benfeld, une commune située peu loin d’Erstein. 4000 litres de ce produit n’ont pu être récupérés et se sont infiltrés dans le sol. A l’époque, l’incident est passé quasiment inaperçu, mais vingt ans plus tard une contamination de la nappe phréatique et d'un puits creusé sept kilomètres en aval ont été repérées. Un traitement a été tenté mais s’est avéré trop coûteux, le puits a été abandonné. Depuis l’administration est en recherche de responsabilité, et des arrêtés de restriction sont en projet.
Il existe une très grande variété de types de pollution d’eau, cependant les plus courants sont ci-dessous répertoriés.
La pollution aux nitrates : les nitrates sont des éléments chimiques solubles qui s’infiltrent facilement dans le sol, les eaux souterraines et de surface. La pollution aux nitrates provient majoritairement de l’utilisation d’engrais azotés (NO3). Les nitrates sont l’une des causes de la dégradation de la qualité de l’eau et de la prolifération des algues vertes. Ils ont ce qu’on appelle un effet eutrophisant de l’eau, la rendant « trop riche ».
La pollution aux pesticides : Les pesticides sont des produits phytosanitaires, au même titre que les insecticides ou les désherbants. Ils sont conçus pour lutter contre les insectes, les champignons, et les mauvaises herbes. Ils sont responsables pour un tiers de la pollution de l’eau en France. Les pesticides, sont des éléments partie qui sont capables de s’infiltrer dans tous les types d’eau. L’agriculture, les services publics, les collectivités locales et les particuliers entretenant les jardins génère de grandes quantités de pesticides dans le sol. Les produits phytosanitaires sont les substances chimiques recherchées en priorité dans l’eau, à cause de leur énorme toxicité (ils sont en effet générateurs de nombreux problèmes de santé tels que le cancer, des malformations congénitales, des problèmes d’infertilité, des problèmes neurologiques, des faiblesses du système immunitaire…). De lourdes peines sont d’ailleurs déjà prévues en cas d’infraction sur les ventes ou sur les mauvaises utilisations de produits, c’est dire la dangerosité de ce produit hélas encore sous-estimée.
La pollution microbiologique est une forme de pollution organique : les déchets organiques, en particuliers les matières fécales peuvent véhiculer différents germes pathogènes, tels que des virus, des bactéries en tout genre ou des parasites, qui provoqueront des effets néfastes aux individus se trouvant en aval d'eux notamment sur la chaine alimentaire. La pollution microbiologique est particulièrement dangereuse puisqu'elle entraine chez l'Homme diverses maladies. Cependant grâce aux stations d'épuration et ou à l'injection de dérivés chlorés dans l'eau pour désinfecter celle-ci, elle est gérable, cependant ce n'est hélas pas le cas partout.
La pollution par les métaux lourds : le cadmium, le mercure, le plomb, le manganèse, l’arsenic : ces métaux lourds constituent des pollutions extrêmement toxiques pour ceux qui y sont exposés. Une trop forte concentration de mercure dans l’eau peut provoquer un empoisonnement d’individus. Le plomb en excès est responsable du saturnisme, une maladie génératrice de problèmes psychomoteurs. Ces métaux lourds sont difficiles à extraire des milieux aquatiques souillés. Le plomb, en particulier est considéré comme une pollution éternelle.
La pollution par les radionucléides : celle-ci est relativement difficile à identifier. On considère celle-ci comme le résultat de retombées radioactives issues d’essais nucléaires ou de catastrophes nucléaires. Leurs effets à long terme lorsque d’ingestions ou d’exposition à des éléments radioactif lorsque les doses de radioactivité sont excessives sont le cancer, des malformations, et divers problèmes de santé plus ou moins graves.
La pollution de l’eau par hydrocarbure est l’une des plus connues. Issue généralement de dégazages ou de marées noires, l’excès d’hydrocarbure dans un milieu aquatique donné n’est pas rapidement géré par le milieu aquatique, même si ce type de polluant est biodégradable. Les hydrocarbures salissent et intoxiquent les animaux à leur contact ou à l’ingestion. Ils altèrent massivement, mais momentanément la qualité des eaux, du cadre de vie, et la pérennité d’espèce souillées.
La pollution par déchets plastiques est également connue, et de plus en plus prise en compte : les déchets plastiques sont déversés en grande quantité dans les océans. Les eaux maritimes et côtières de la planète sont souillées par des centaines de millions de tonnes de déchets plastiques non biodégradables. Un déversement accidentel de déchets plastiques souille les eaux, détruit plusieurs centaines de milliers de poissons, d’oiseaux, et de divers animaux marins, qui l’ingèrent, s’étouffent, s’intoxiquent.
La pollution aux polychlorobiphényles : dite pollution aux PCB. Les PCB contamine les rivières et les poissons d’eau douce depuis des décennies. Il s’agit de dérivés chimiques chloré utilisés pendant longtemps dans l’industrie comme isolant électriques. Ainsi des rejets dans la nature de fil électriques contenant ce composant font que celui-ci s’infiltre dans l’eau. Les PCB sont des polluants organiques persistants. Ils sont très peu biodégradables, et insolubles dans l’eau ce qui fait qu’ils ne se situent pas dans l’eau, mais qu’ils sont transportés par celle-ci et déposés sur les berges ou dans les sédiments fluviaux, lesquels sont en contact avec la faune et la flore. C’est notamment ainsi que les PCB s’intègrent dans la chaîne alimentaire. Ils sont soupçonnés d’être cancérigènes et de provoquer de sérieux problèmes au niveau des voies respiratoires, des maux de têtes, et des problèmes de peau.
La pollution au DEHP (phtalates) : le DEHP est un produit largement utilisé comme plastifiant dans une multitude de produits courant chez les ICPE. Il contamine de façon quasi généralisée les rejets d’eau industriels. Cependant de ce caractère généraliste, aucune activité industrielle en particulier ne peut être identifiée comme émettrice de cette substance. Les phtalates sont préjudiciables pour la santé, notamment en favorisant l’infertilité masculine et le cancer du testicule.
Les autres pollutions : Pollution aux HAP ; Pollution au calcaire (présence excessive dans l’eau mauvaise pour la peau) ; Pollution thermique (rejet d’eau chaude par les industries) ; Pollution au chlore (le chlore est utilisé pour désinfecter l’eau dans les canalisations. La limite de teneur en chlore résiduel est fixé à 0,1 mg/l. Cette valeur est hélas souvent dépassée) ; Pollution par les trichloréthylènes (solvants utilisés pour le dégraissage de pièces mécaniques) ; Pollution par alkylphénols (activités de nettoyage) , Pollution aux chloroalcanes (industries du métal, des revêtements et du caoutchouc, industrie du textile et du cuir).
Evidemment la liste ne s’arrête pas là. De nombreuses autres pollutions existent et interfèrent sur la santé humaine, de nouveaux polluants sont hélas détectés chaque jour, ou persistent à demeurer cachés puisque que les polluants présents au fond de l’eau, ou qui y sont dilués ne sont pas visibles. De plus certains polluants infiltrés dans le sol ne produisent leurs effets dans l’eau qu’après un long délai (de nombreux polluants sont à synergies complexes)
L’eau pourtant, conserve pourtant une certaine capacité à s’auto-épurer, grâce aux organismes animaux ou végétaux qui y vivent et qui transforment et élimine de façon naturelle les polluants, en les filtrant ou par oxydation. Cette capacité à s’auto-épurer reste bien entendu subordonnée à des quantités limités de polluants : au delà des seuils critiques fixés, spécifiques aux polluants et à l’état du milieu aquatique touché, le processus d’auto-épuration s’avérera insuffisant.
La pollution des eaux produit plusieurs effets différents suivant les polluants. Outre le fait de diminuer la qualité de l’eau, jusqu’à la rendre toxique (à long ou à court terme) voire mortelle pour ceux qui l’ingèrent ou sont à son contact, (par exemple, une pollution au fer peut tout simplement faire disparaître toute forme de vie du milieu), la pollution des eaux conduit à plusieurs phénomènes plus ou moins connus.
Le plus connu est sans doute le phénomène de marée noire. En effet en cas de pollution par hydrocarbures, ceux-ci flottent à la surface de l’eau, les oiseaux s’y embourbent et meurent, les rochers sur lesquels les polluants s’échouent sont souillés. La qualité de l’écosystème et la capacité de celui-ci à abriter la vie sont ainsi altérés sur des échelles géographiques potentiellement immenses.
Un autre phénomène est celui de la désoxygénation de l’eau : les substances organiques présentes dans l’eau, lorsqu’elles se décomposent, consomment de l’oxygène pour libérer du CO2. Ce phénomène entraîne une désoxygénation du milieu aquatique, et provoque la mort des espèces animales qui en ont besoin
Le phénomène d’eutrophisation de l’eau, un peu moins connu pour son nom, mais beaucoup plus pour ses effets, résulte de la modification des nutriments présents dans un milieu aquatique donné. En effet un apport excessif de substances nutritives dans l’eau telles que l’azote provenant surtout des nitrates agricoles et des eaux usées, le phosphore provenant surtout des phosphates et des eaux usées, et les résidus carbonés issus des matières organiques rejetées par l’Homme, conduit à ce qu’on appelle un hypertrophisation du milieu, c’est à dire une déformation à l’excès de la quantité de nutriments dans l’eau, ce qui provoque, en plus d’une contamination biologique (bactéries, germes, parasites) chimique ou physique, la prolifération des plantes nitrophiles et d’autres espèces nitrophiles. Le phénomène d’eutrophisation de l’eau conduit notamment à la prolifération des algues vertes sur nos littoraux. Cela augmente la biomasse du zooplancton gélatineux, cela génère des odeurs, un envasement plus rapide, le développement de phytoplancton toxique, le développement de pathogène par diminution de la pénétration des UV, la diminution de l’indice biotique. De plus, l’eutrophisation de l’eau conduit à une perte de biodiversité, puisque certaines espèces (nitrophiles) se développent au détriment d’autres. Il est possible de citer, à titre d’exemple les lentilles, qui sont des plantes couleur vert-clair recouvrant quelquefois les mares stagnantes. Ce type de plantes recouvre les milieux aquatiques pour ses besoins de photosynthèse, empêchant les autres espèces de recevoir la lumière. Cependant, ce phénomène s’avère réversible, lorsque l’apport d’azote s’interrompt suffisamment longtemps pour permettre aux autres espèces de reprendre le dessus.
Bien entendu la prolifération des algues engendre des coûts exorbitants. Le coût annuel de l’eutrophisation par l’azote aux Etats-Unis a été évalué à 1,8 milliards d’euros pour les seules eaux douces, hors coûts indirects de la suspension des services écosystémiques et la dégradation des ressources halieutiques. Outre les dépassements de seuil qui sont fréquents, l’eutrophisation de l’eau a un coût au niveau de la valeur foncière des terrains à proximité, sans compter le coût de la perte de biodiversité.
Une autre étude européenne conduite par 200 experts issus de 21 pays d’Europe a fixé le coût des effets cumulés de l’eutrophisation des écosystèmes par l’azote entre 70 et 320 milliards d’euros à l’année, ce qui représente plus du double du bénéfice rapporté par l’agriculture. Il est avéré que 80% de l’azote utilisé en agriculture sert à produire de la nourriture pour l’élevage, les pratiques agricoles sont donc à changer.
D'autres problématiques émergent par ailleurs, et font l'objet de nombreuses suspicions. Parmi elles il est possible de citer les perturbateurs endocriniens, présents dans de nombreux produits de consommation, le problème des effluents hospitaliers dans l'eau, la pollution causée par les gaz de schiste, si jamais leur exploitation s'avère autorisée, ou encore la problématique des excès d'épandages de boues de stations d'épuration. Tous ces éléments sont susceptibles d'avoir de multiples conséquences nuisibles sur la santé de l'Homme, mais ne sont pas encore suffisamment connus ni encadrés.
Ainsi la toxicité, la salissure, la perte de qualité de l’eau, la prolifération d’espèces nuisibles, et les conséquences indirectes d’un tout représentent des coûts encore incalculables par l’Homme, tant la pollution des eaux est un phénomène mobile, difficile à appréhender, et qu’il est nécessaire de redouter, même si nombreuses sont les techniques qui désormais permettent d’assainir une eau polluée...