Un acquéreur d’un immeuble BBC qui apprend au final, que la performance énergétique n’est pas au rendez-vous, avec toutes les conséquences qui en découlent (non octroi des avantages fiscaux, absence d’économie d’énergie…) ira sans doute chercher la responsabilité des constructeurs.

De ce point de vue, la loi « Grenelle 2 » remet sur le devant de la scène les deux notions les plus controversées de la loi n°78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction, celle de l’ouvrage (1) et celle dommage (2), sans oublier celle de fabricant (3).

1. La condition caractérisée par l’existence d’un ouvrage

L’article 1792 dispose : « Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère. »

La question ne semble pas poser de difficultés lorsqu’il s’agit de travaux neufs (a), mais la notion d’ouvrage est plus difficile à appréhender en présence de travaux de rénovation énergétique réalisés sur existants (b).

Pour qualifier ou non d’ouvrage de tels travaux, les juges recourent à trois critères principaux : le critère de l’immobilisation lorsque les travaux neufs sont intégrés dans l’ouvrage existant, le critère de l’adjonction lorsque les travaux sur existant ont impliqué l’apport de matériaux nouveaux, le critère de l’ampleur des travaux avec les notions de rénovations dites lourdes ou légères d’application variable.

L’avantage de cette qualification étant de les soumettre à la garantie décennale des articles 1792 et suivants du Code civil, c’est-à-dire à la responsabilité de plein droit des constructeurs.

a. La jurisprudence a admis qu’un aquarium soit qualifié d’ouvrage ou encore que la pose d’un insert ou d’une cheminée relève de la notion d’ouvrage si les travaux ont nécessité des reprises de maçonnerie ou l’aménagement de la structure.

Ainsi, dans le cas d’une construction neuve, les travaux de performance énergétique, telles les installations photovoltaïques et notamment les constructions dites « fermes solaires » dont la seule destination est de produire de l’énergie sans fonction d’habitation, seront a priori qualifiés d’ouvrage.

Si ces installations sont qualifiées d’ouvrages, alors il faudra s’interroger sur le champ d’application de l’assurance obligatoire. En effet l’article L.243-1-1 du Code des assurances exclut en son alinéa 2 les ouvrages de production d’énergie de l’assurance obligatoire sauf s’ils sont accessoires à un bâtiment lui-même soumis à ces obligations d’assurance. Les installations seront donc exclues du domaine de l’assurance obligatoire sauf si elles sont mises en place dans le cadre de certains programmes d’alimentation en énergie des bâtiments, comme par exemple ceux d’habitation.

b. Mais la question de la construction ou non d’un ouvrage va surtout se poser dans le cas de travaux de rénovation thermique. Peut-on assimiler à un ouvrage une installation de capteurs solaires, un système de géothermie, une installation de chauffage ou de climatisation ?

La question n’est pas nouvelle puisqu’elle avait déjà été posée sous l’empire des RT 2000 et 2005. La Cour de cassation avait d’abord admis, qu’une installation de chauffage centrale puisse elle-même constituer un ouvrage, puis l’avait exclu pour une installation de climatisation, sans que le critère retenu soit clairement explicité.

Dans un arrêt du 28 janvier 2009, la 3ème chambre civile semble avoir posé un critère plus précis en qualifiant d’ouvrage une installation de climatisation, dès lors que sa conception, son ampleur et l’emprunt de ses éléments à la construction immobilière étaient caractérisés.

Si la qualification d’ouvrage est retenue, alors la responsabilité des constructeurs pourra être engagée, à condition de prouver l’existence d’un dommage.

2. La condition relative au dommage

L’application de la responsabilité des constructeurs au défaut de performance impose en effet que ce défaut soit qualifié de « dommage » au sens de l’article 1792 du Code civil.

Deux hypothèses doivent être distinguées, la première fait apparaître le dommage avant la réception (a) et la seconde fait apparaître le dommage qu’une fois l’immeuble livré et habité (b).

a. En théorie, l’exigence d’une « attestation de respect de la réglementation thermique » au moment de l’achèvement des travaux - que le maître d’ouvrage doit remettre à l’autorité lui ayant délivré le permis de construire - devrait favoriser l ‘apparition des dommages avant la réception.

Dans ce cas, un dommage constaté avant réception relève de la responsabilité contractuelle de droit commun visée à l’article 1147 du Code civil. En effet, le constructeur est tenu d’une obligation de résultat, celle de délivrer un ouvrage exempt de tout vice ou dommage, fût-il de faible importance et purement esthétique. Cette obligation de résultat signifie que la responsabilité du constructeur est engagée par le simple constat du dommage sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve d’une faute. Le constructeur ne peut alors s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère exonératoire.

b. En revanche, il faut aussi envisager ici la seconde hypothèse selon laquelle le contrôle ne se serait pas avéré efficient ou réel et que le dommage se serait donc manifester après la réception. Dans ce cas, la responsabilité spécifique des constructeurs fondée sur les articles 1972 et suivants du Code civil pourrait être engagée.

C’est dans ce cas, qu’il est impératif de caractériser le « dommage à l’ouvrage ». La cause ou l’origine (anomalie, défectuosité, vice… ou même raison inconnue) du dommage semblent indifférentes, c’est bien la nature du dommage qui pose problème. Ce qui compte c’est que le dommage affecte l’ouvrage lui-même, c’est à dire qu’il se manifeste matériellement.

Lorsque le dommage est « matériel », la qualification de « dommage à l’ouvrage » ne fait pas de doute. La jurisprudence est constante en la matière puisqu’elle l’exprime dès 1973 pour une insuffisante isolation thermique, pour une mauvaise isolation, le bâtiment étant trop froid l’hiver ou trop chaud l’été ou encore pour des panneaux solaires installés sur la toiture qui nuisent à son étanchéité.

Néanmoins, un manquement énergétique ne rentre pas dans la catégorie des dommages matériels ; c’est ainsi qu’une autre catégorie de « dommages » dans ce domaine a fait son apparition ces dernières années, celles des « dommages immatériels ».

En effet, que penser lorsque l’isolation est suffisante, ou que le chauffage fonctionne, mais que les économies d’énergie ne sont pas effectives ou que la consommation d’énergie s ‘avère supérieure à ce qui était prévu ?

En principe, un tel dommage est réparé au titre des dommages consécutifs ou des troubles annexes, ce qui implique qu’il soit l’accessoire d’un dommage matériel principal, comme l’avait par exemple jugé la Cour de cassation le 11 octobre 1998 à propos d’une surconsommation d’eau.
Dans le même sens, en 2004, la Cour de cassation a exclu la responsabilité décennale à propos d’un ouvrage géothermie destiné à la fourniture du chauffage, au motif que cet « ouvrage n’était pas en lui-même affecté de dommages de nature à compromettre sa solidité ou à le rendre impropre à sa destination, et que l’installation avait toujours fonctionné, mais seulement fait preuve d’un manque de performance certains mois de l’année ».

Toutefois, ces dernières années ont été marquées par une évolution de la jurisprudence qui tend admettre la performance énergétique comme l’un des facteurs concourant à définir la destination de l’ouvrage.
La cour d’appel de Paris a notamment retenu l’absence d’économie d’énergie comme dommage principal afin d’engager la responsabilité des constructeurs alors que l’habitation en question était correctement chauffée. Elle a ainsi jugée, le 29 mars 2000 que « la possibilité d’utiliser l’énergie solaire constituait l’un des facteurs concourant à définir la destination de l’ouvrage dont elle a influencé la conception, et, à l’évidence, accru le coût dans des proportions que seul pouvait justifier l’espoir d’économies appréciables en argent ».

L’idée qui se dégage de ce constat renvoie à la volonté des parties qui auraient ainsi décidé d’un résultat précis, telle que la performance énergétique, laquelle participerait inéluctablement « à définir la destination de l’ouvrage ». Cette appréciation subjective de l’exigence contractuelle évoque l’appréciation de « l’obligation essentielle » retenue dans les arrêts Chronopost et par conséquent pousse à s’interroger sur l’intérêt même de la caractérisation d’ « ouvrage ».

Il faut néanmoins garder à l’esprit que la RT 2012 entre en vigueur le 28 octobre 2011
Alors, il est fort à parier que lorsque la « performance énergétique » sera constitutive d’une violation législative, « l’impropriété à la destination » sera plus facilement retenue et par ricochet la responsabilité des constructeurs.

3. La responsabilité solidaire du fabricant

L’article 1792-4 qui dispose : «Le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en œuvre , sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré ».

Cet article laisse sa part à l’interprétation puisque son champ d’application est apparemment limité à certains fabricants uniquement : ceux qui sont responsables du fait des « éléments d'équipement conçus et produits pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance » (EPERS) qui ont été « mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré ».

Mais un examen précis de la notion d’EPERS permet soit une interprétation large, soit restrictive de la présomption de responsabilité qui pèse sur le fabricant.

Cette notion a été créée par la loi du 4 janvier 1978 dans un but d’unification de la responsabilité des constructeurs. Même si, l’ordonnance du 8 juin 2005 est venue marquer le écarter l’application de la responsabilité des constructeurs aux « éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage » (article 1792-7 du Code civil).

En 2007 l’Assemblée plénière a décidé de manière surprenante d’appliquer l’article 1792-4 aux fabricants de panneaux isothermes. « Plasteurop », c’est à dire à tous les fabricants.
Cette jurisprudence prédit des conséquences dans le domaine de la fabrication des ouvrages et de leurs éléments d’équipement ainsi qu’au niveau des assurances, seule l’assurance de responsabilité décennale étant obligatoire.

En outre, la rédaction de cet article permet aussi de rechercher la responsabilité du sous-traitant dans la même personne que le fabricant. Or, le sous-traitant dispose de son propre régime spécifique depuis la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 et permet donc d’échapper à l’application de l’article 1792-4.

Le constructeur ou le fabricant pourrait se défendre en arguant l’imputabilité au maître d’ouvrage…