L'expertise pollution dans le cadre des polices d'assurance RCAE
Par Remi LAVIGNE
Avocat
Cabinet Me LAVIGNE
Posté le: 07/09/2011 18:04
Lorsque survient une pollution des eaux ou des sols dans le cadre d'un contrat d'assurance RC classique, ou dans le cas d'un contrat plus spécifique tel qu'ASSURPOL ou les nouvelles polices environnementales, l'assureur du pollueur, ou celui du tiers mandate un expert pour intervenir sur le site sinistré. La mission de celui-ci différera suivant la compagnie d'assurance qui le mandate, les souhaits de celle-ci, et la nature des garanties souscrites par l'assuré.
Tout d'abord il convient de bien définir la notion de l'expert pollution, avant d'envisager le déroulement de sa mission face à la survenance d'une pollution des eaux ou des sols.
I. Qui est l'expert pollution ?
L'expert pollution est un expert mandaté par les compagnies d'assurance à l'occasion d'un sinistre environnemental de type pollution pouvant potentiellement causer des dommages à des tiers. Il s'agit donc d'un expert RC, spécialisé en matière environnementale. Il est d'une grande utilité dans la gestion de sinistre et la remise en état du site en ce qu'il doit être capable de caractériser l'origine et l'étendue du sinistre, analyser les causes et responsabilité, analyser les solutions techniques éventuelles, analyser les coûts, et d'une façon générale, défendre au mieux les intérêts de l'assuré pour lequel il intervient.
L'expert est mandaté par la compagnie d'assurances lors de la survenance. Sauf accord spécifique, ses rapports et ses informations ne doivent être communiqués qu'à l'assurance.
Il n'y a pas de formation spécifique à l’expertise environnementale. Généralement les experts pollution ont suivi une formation technique de type IUP environnement, études d' ingénieur dans différents domaines tels que l’eau, la chimie, la biologie, l’environnement ; ou une formation juridique en environnement suivi de l'accumulation de connaissances techniques. Dans tous les cas, le vrai savoir faire ne s'apprend pas à l'école, mais sur le tas en un minimum de 4 à 5 ans d’expérience. L'expert se doit d'être suffisamment compétent pour mener à bien ses missions, et maintenir son niveau en se perfectionnant continuellement en technique, assurance, et en droit. Le code de déontologie de l'expert précise notamment sur les compétence, que l'expert se doit de refuser les missions lorsque celles-ci n'entrent pas dans le champ de ses compétences.
L'expert pollution est compétent techniquement dans divers domaines (chimie, biologie, nanotechnologies, mécaniques, techniques de réhabilitation des eaux et des sols etc.). Il est au courant de la réglementation (ICPE, RC civile/pénale environnementale), et connaît le contrat d'assurance souscrit par l'assuré pour lequel il est mandaté. Il doit avoir la capacité d'écouter, de s'interroger, de s'adapter aux gens. Il doit faire preuve d'un excellent esprit de synthèse, être disponible et indépendant d'esprit, pour pouvoir analyser avec justesse la solution optimale au sinistre tant sur le plan technique que financier.
Par ailleurs, une des caractéristiques de la pollution des eaux et des sols est que le dommage qui survient tend potentiellement à s'aggraver, à se propager. Considérant cela, une des qualités primordiales de l'expert pollution est la réactivité face au sinistre, pour optimiser au maximum la lutte contre la pollution engendrée, et également les chances de remises en état à moindre coût.
Il doit essayer de collecter au maximum les documents nécessaires à l'expertise, et vérifier leur fiabilité.
Il doit contrôler et chiffrer avec perfection les dommages, L'expert doit respecter le secret professionnel, L'expert doit veiller à ce que sa mission continue s'il ne peut plus la faire lui même , L'expert doit communiquer rapidement les pièces à l'assureur
La mission de l'expert dépendra de qui il défend (pollueur ou tiers lésé), des polices mises en jeu, et des garanties souscrites par l'assuré. Suivant ces paramètres l'expert s'intéressera à une partie ou à la totalité du problème posé.
Son rôle de base face à la survenance du dommage se divise en trois branches : Constater la matérialité des faits, identifier la source, évaluer l'étendue et le coût du sinistre.
II. Le déroulement de l'expertise RC - pollution
Sur le plan technique, il y a trois facettes de l'expertise pollution : Une consultation spécialisée, une expertise d'assurance, et une part de médiation. Elle sont mises en œuvre au sein de trois phases distinctes :
La première phase de l'expertise d'une pollution est la phase de reconnaissance de la pollution. L'expert doit y déployer au maximum ses capacités d'investigation, car c'est grâce à cette phase qu'on pourra connaitre l'origine, le teneur, l'étendue de la pollution, et bien sûr la responsabilité réelle de l'assuré : l'identification des risques permettant d'analyser les dégâts susceptibles d'être provoqué in situ et hors sites, et l'évaluation permettra d'en établir la gravité et l'impact financier pour l'entreprise en tenant compte des responsabilités de celle-ci.
Par des techniques d'évaluation de type analyse de l’historique du site et des documents divers, carottage et études physico-chimiques, ou analyses en laboratoire, il sera possible de déterminer :
-Là où les origines précises de l'épanchement de polluants ainsi que leur nature, qui d'ailleurs est généralement connue, du fait de l'affectation d'un réservoir ou d'une tuyauterie à tel ou tel produit,
-La quantité d'agents polluants déversés qui sera d'ailleurs un indice intéressant pour déterminer l'ampleur du sinistre
-La connaissance des possibilités de migration et/ou de diffusion du polluant, à noter que cette connaissance permet de se renseigner sur la vitesse de migration des polluants et donc sur l'urgence de la situation,
-La connaissance du site et notamment la présence du captage d'eau en aval.
-Enfin, le devenir d'un site pollué influe sur l'objectif de dépollution et donc les solutions techniques à mettre en œuvre.
Dès cette première phase, l'expert, spécialiste en dépollution doit pouvoir conseiller l'assuré sur telle ou telle entreprise possédant des moyens d'investigations, de forage, etc. Afin d'obtenir une évaluation exhaustive et objective sur l'ampleur de la pollution et les mesures conservatoires nécessaires. Car il apparaît que plus la phase d'identification est longue et précise (nature du polluant, volume du polluant, conditions de migration du polluant, caractéristiques du sol, etc.) plus la mise en place de mesures de confinement et de réhabilitation sera efficace.
La deuxième phase de l'expertise d'une pollution, capitale lorsque l'on a affaire à une pollution migrante est la phase de confinement et de mise en place de mesures conservatoires dont le but est tout d'abord de stopper l'épanchement de polluants, puis de stopper leur progression grâce à différentes mesures techniques (mise en place de barrages flottants en cas de pollution de surface, de puits de dépollution servant de barrière hydraulique dans les cas de pollution du sous-sol), ou des mesures de protection, ou par la formation du personnel de l'entreprise. Cela étant, la mise en place de mesure de confinement peut entraîner la subsistance de risques résiduels (par exemple: un barrage flottant présentant une anomalie, mal installé, ou éventuellement insuffisant), qu'il faudra constamment chercher à réduire. A l'issue de ces mesures, il arrive que des traitements spécifiques ne soient pas nécessaires. Tout dépend l'ampleur de la pollution.
Enfin, la troisième étape, la dépollution de la zone atteinte, lorsqu'elle est nécessaire est réalisée une fois le site mis en sécurité par la mise en place des mesures conservatoires. Il existe de nombreuses techniques de réhabilitation des eaux et sols pollués, qui seront abordées dans la partie suivante.
Cependant cette dernière étape est semée d'embûches pour l'assuré pollueur, profane face aux professionnels de la dépollution, qui peuvent tenter d'imposer leurs techniques, ou leurs seuils de valeur. C'est pourquoi l'expert intervenant doit avoir une excellente connaissance du marché et des techniques de dépollution en France pour conseiller au mieux l'assuré. Cela étant, il convient de souligner que l'expert n'a pas à assurer la maîtrise d'œuvre du chantier. Pourtant, si sa mission le permet, il se doit en tant que spécialiste des problèmes de pollution, de conseiller l'assuré sur les mesures techniques à prendre.
A noter qu’aucune méthode ne permet une dépollution totale du site qui a été pollué pendant cinquante ans d’industrie. De plus il est d’usage de dépolluer le site selon l’usage future de celui-ci, et non de rechercher, comme le fait parfois l’administration, une dépollution totale. Cette disposition a pour utilité de permettre une dépollution à moindre coût, étant donné les coûts exorbitants des dépollutions.
En pratique, et pour obtenir de meilleurs résultats, on combine généralement plusieurs méthodes de dépollution de façon à optimiser l'élimination des polluants. Les résultats atteignent ainsi un niveau acceptable au vu des normes de concentration maximale admises pour les polluants les plus toxiques et en fonction du nouvel usage envisagé pour le site.
En ce qui concerne la dépollution, il est utile de souligner que l'assurer peut engager une procédure d'appel d'offres aux professionnels de la dépollution. Evidemment à ce moment du dossier, l'administration ne s'est toujours pas fixée sur les mesures de dépollution à engager, et donc l'appel d'offres devra comporter différentes options, notamment en matière d'objectifs de dépollution qui devront être déclenchés en fonction des négociations avec l'administration. A noter que les compétences de l'expert en matière de dépollution trouve aussi leur utilité pour guider l'assuré dans les négociations avec les entreprises de dépollution.
La médiation et la communication entre les différents intervenants (tiers, industriels, administration, associations etc.) revêt une importance capitale lors de l'expertise des pollutions.
Tout d'abord envers l'assuré, si l'expert n'a pas officiellement à prendre position, il a toutefois un rôle de conseil, non seulement au niveau des techniques de confinement et ou de dépollution à mettre en place, mais aussi juridique, et surtout financier. Il sait ainsi conseiller à l'assuré quelles sont les dépenses garanties et celles qui ne le sont pas.
Ensuite envers l'administration, des relations courtoises et diplomates s'imposent. Lorsqu'un sinistre survient dans le cadre d'une ICPE, il est nécessaire de notifier l'incident à l'inspection des installations classées. Or pour faciliter la transparence et le dialogue entre l'industriels pollueur, il est de rigueur d'informer toutes les parties prenantes administratives du sinistre, à savoir l'inspection des installations classées, le préfet, le maire de la commune touchée, mais aussi les diverses directions départementales liées indirectement ou directement au sinistre (DIRECCTE, DREAL, etc.). Rappelons d'ailleurs à titre subsidiaire que de bonnes relations avec l'administration et l'inspection des installations classées facilitera les démarches administratives, notamment lors d'une demande d'autorisation d'extension.
En outre, il arrive parfois que l'administration suive aveuglément les directives des professionnels de la dépollution. En effet les rapports de ces sociétés, parfaitement compétentes dans l'approche technique du problème, mais beaucoup moins dans leur approche auprès de l'administration, laissent parfois échapper certaines informations qui peuvent s'avérer risquées pour l'assuré, par exemple la mise en évidence d'une pollution historique, la présence de polluants excédent une seuil qui n'existe pas dans la réglementation française (normes hollandaises, commissions techniques spéciales) la présence dans le même rapport d'éléments permettant de déterminer l'ampleur du problèmes et de conseils sur la dépollution; pour cet exemple précis, si l'administration est en possession d'un rapport qui préconise un système de dépollution, elle aura tendance à demander à l'assuré la mise en œuvre immédiate des mesures préconisées par l'entreprise de dépollution et l'assuré perdra le contrôle tant technique que financier du dossier. Pour éviter cela, l'assuré doit proposer de lui même des solutions techniques de dépollution auprès de l'administration
Il est un point important également à souligner : lors de la survenance d'un sinistre de pollution des eaux et des sols il peut y avoir une différence fondamentale entre l'objectif que poursuit l'assureur et celui qui peut être imposé par l'administration. En effet une pollution de terrain, même importante n'est pas toujours susceptible d'entraîner un risque pour les tiers. Certains sols peuvent absorber intimement un polluant, sans risque de relargage ultérieur. La pollution peut donc rester sur le site de l'assuré sans risque, à court terme, de migration vers la nappe phréatique, puis vers les tiers. Par contre l'administration peut fixer les objectif de dépollution de l'assuré indépendamment des possibilités de migration du polluant. L'assureur limitera donc son intervention dans le dossier.
Face à cela la prudence dans la diffusion des rapports techniques est de rigueur, et il est de surcroît nécessaire d'établir un dialogue assureur-expert-assuré optimal au moyen duquel il sera demandé à l'assuré de transmettre et d'échanger avec son assureur sur les différents éléments et rapports effectués par les sociétés de dépollution avant, pendant et après la dépollution afin de pouvoir négocier au mieux avec l'administration concernant les techniques de dépollution. D'une façon générale, l'expert doit collaborer aux discussions techniques ayant une conséquence sur le coût du chantier de dépollution, et en tant que spécialiste, il est aguerri aux négociations avec l'administration et maîtrise parfaitement la portée technique et financière des arrêtés préfectoraux qui peuvent être pris pour encadrer administrativement la dépollution.
Enfin, la communication avec les tiers est indispensable. Que les tiers lésés soient des personnes physiques ou morales victimes de la pollution (citoyens intoxiqués, société d'exploitation d'eau potable..) ou des associations de protection de l'environnement (ou les fédérations de pêche), les risques sont là.
Il y a tout d'abord les demandes de ces tiers, en terme d'indemnisation financière, sont souvent sans commune mesure avec l'investissement nécessaire à la dépollution. Toutefois, il est impératif de ne pas négliger ces demandes.
Ensuite, de mauvaises relations avec les tiers lésés font que ceux-ci se retournent vers leur mairie laquelle prévient la préfecture, ce qui entraîne un engrenage défavorable envers l'assuré : mal gérer les tiers lésés peut avoir une influence financière colossale sur le dossier, et notamment sur les négociations du contenu des arrêtés préfectoraux de dépollution.
D'ailleurs vis à vis des tiers, l'industriel ou l'expert doit pouvoir adapter son langage et sa communication aux tiers concernés.
Cette adaptation du langage est particulièrement importante dans les relations avec des personnes physiques ou avec les associations de protection de l'environnement, ou les Fédérations de pêche.
Pour ne prendre que ce dernier exemple, il est très difficile de négocier avec les fédérations de pêche, eu égard à la qualité des intervenants rencontrés.
Dans le cas de pollution de rivière, par exemple, les fédérations de pêche appliquent, pour une demande d'indemnisation, leur formule spécifique de calculs des coûts. Cette formule qui selon les Fédérations de pêche fait jurisprudence, détermine un montant financer en fonction de la qualité de la rivière, de la faune piscicole, de la longueur et largeur des rivières polluées. L'expert doit connaître les formules d'indemnisation utilisées pour bien vérifier les coûts.
La négociation avec des fédérations de pêche est très difficile quand il existe avant le sinistre des relations conflictuelles liées à une pollution chronique.
L'expert doit être compétent pour tout type de sinistre environnemental, quelque soit son ampleur, cependant les événement industriels majeurs nécessite quantité d'expertises, un dialogue accru
A noter qu'en cas de sinistre majeur telle que l'explosion de la centrale AZF en 2001, des procédures spécifiques d'urgence et un dialogue accru entre courtier assureur et assuré peuvent être mises en place, et on été mises en place, avec notamment des mécanismes d'expertise simplifiée pour accentuer la vitesse d'indemnisation.
En conclusion on peut dire que l'expertise de la pollution des eaux et des sols, pilier de la gestion assurantielle de celle-ci doit se faire par des études structurées et minutieuses, qui réclament un savoir faire important et une grande spécialisation tant sur le plan administratif, que technique ou assurantiel, afin de satisfaire au mieux les intérêts de ses mandants.
Si la mise en œuvre de la mission d'expertise peut se faire de différente manière, elle n'a pourtant qu'un seul et unique but final : gérer et solutionner de façon optimale les problèmes liés à la survenance d'une pollution.