Depuis plusieurs années nous entendons parler de « l’ubérisation du droit », ce qui pourrait être autrement défini comme la numérisation du droit avec les nouvelles technologies et notamment les intelligences artificielles. Aujourd’hui il peut donc parfois être complexe de réussir à attribuer un régime juridique aux objets fonctionnant grâce aux intelligences artificielles, et c’est notamment ce qu’il se passe pour les voitures autonomes qui se développent de plus en plus. Il parait donc intéressant de se focaliser sur la complexité de la désignation d’un responsable dans le cas d’un accident causé par un véhicule doté d’un système de délégation de conduite (SCA).

Si l'on se place d’un point de vue chronologique, il faut d’abord préciser qu’il a été très complexe de créer le régime de responsabilité applicable aux voitures autonomes par le lien étroit du système avec une intelligence artificielle. Comme le précisait Christophe Lachièze « Le droit a été pensé par et pour les êtres humains, comment pourrait-il s’appliquer à des machines imitant l’intelligence humaine ». Il a donc été indispensable de repenser et adapter notamment l’article L121-1 du Code Pénal qui disposait que nul n’est responsable que de son propre fait. En effet comment l’appliquer à un conducteur d’une voiture avec un système de délégation de conduite, qui n’est donc pas totalement en charge de la conduite de celle-ci car elle est partagée avec pourrait-on dire une intelligence artificielle ?

C’est donc le 15 avril 2021 qu’a été publié l’Ordonnance n°2021-443 portant sur le régime de la responsabilité pénale applicable aux véhicules à délégation de conduite, qui fait suite à la loi sur l’orientation des mobilités du 24 décembre 2019. Cette ordonnance est venue fixer un régime de responsabilité partagé entre le conducteur et le constructeur du véhicules, étant précisé que le constructeur est à considérer comme une personne physique ou morale responsable de la conformité d’un véhicule et de son système. Cette ordonnance est venue remettre en cause l’article L121-1 du Code de la route qui engageait le responsabilité pénale du conducteur pour toute infraction commise par lui dans la conduite du véhicule. En effet, le nouvel article L123-1 dispose que l’article L121-1 ne pourra pas être applicable à un conducteur pour les infractions qui résultent d’une manoeuvre d’un véhicule dont le système de délégation de conduite est activé. La responsabilité semble donc reposer sur la notion de la garde de la chose : tant que le système de délégation de conduite n’est pas activé le conducteur en est le gardien et par conséquence en sera le responsable en cas d’infraction.

Cependant, cette ordonnance est aussi venue apporter des obligations réciproques pesant à la fois sur le constructeur et le conducteur. En effet, le conducteur ne pourra pas s’exonérer de toute responsabilité par la simple activation du système de délégation de conduite. Pèse alors sur ce dernier une obligation de prudence et de sécurité de manière générale (article R412-6 du Code de la route), de plus il doit toujours être en état de reprendre la conduite de la voiture en main et donc être vigilant. De manière plus stricte, l’article L121-3 vient préciser 3 cas dans lesquels même si le système est activé le conducteur sera tenu pour responsable : s’il reprend la conduite en main et qu’il commet une faute, si le système « demande » une reprise en main et que le conducteur ne s’exécute pas car il commettrait une faute d’imprudence, et enfin dans le cas où le conducteur ne se soumettrait pas aux ordres des forces de l’ordre ou des priorités exceptionnelles.

S’agissant du constructeur, il est soumit à 2 obligations : une obligation préalable d’information du consommateur (L.319-2 du code de la route et article L242-25-1 du code de la consommation), et une obligation de sécurité générale du système intégré à la voiture, c’est-à-dire que le système présente la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Néanmoins cette obligation de sécurité a été alourdie par l’article L.319-1 du code de la route qui prévoit que le système est soumis à des conditions précises dans son fonctionnement définies par le constructeur : obligation d’alerte du conducteur en cas de défaillance du système, manoeuvre à risque minimal en cas de défaillance du conducteur etc.

Enfin, il ne faut pas oublier de préciser que pour que la responsabilité pénale du constructeur soit engagée dans le cas d’une atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité de la personne une faute pendant la période d’activité du système devra être rapportée, ce qui vient donc encore plus encadrer cette responsabilité.

Pour conclure, ce nouveau régime de responsabilité pénale soumet à la fois le constructeur et le conducteur à des obligations de sécurité, de prudence et de vigilance lors de l’utilisation de ce type de voiture autonome. Ce régime pose donc une responsabilité que l’on pourrait qualifier de partagée en fonction de qui à la « garde » du véhicule, étant précisé qu’il semble que la responsabilité du conducteur sera plus facile à engager de manière générale. Néanmoins cette responsabilité pénale semble ne pas être suffisante pour pouvoir régler tous les différends pouvant survenir à l’occasion de l’utilisation d’une voiture autonome, et des modifications, et ajouts, devront sans doute voir le jour prochainement.