
Les éoliennes de plus de 12 mètres seront-elles un jour des ICPE ?
Par Laélien BURIDAN
Juriste ESQ
Cabinet SK & Partner
Posté le: 22/08/2011 13:41
I/ L’entrée en nomenclature
Les éoliennes terrestres de plus de 12 mètres auraient dû faire leur entrée dans la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) au 13 juillet 2011, soit un an après la publication de la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle II (ou loi ENE). À ce jour le décret d’entrée en nomenclature n’a toujours pas été publié et aucune date de publication n’a été annoncée.
La Direction Générale de la Prévention des Risques (DGPR) et le gouvernement souhaitent malgré tout que les éoliennes dont le mât dépasse 50 mètres fassent l’objet d’une procédure ICPE puisque la loi Grenelle II exige très clairement leur entrée en nomenclature au 13 juillet.
Peut-on modifier la nomenclature ICPE sans décret ? La question n’est pas tranchée mais la réponse viendra peut-être du précédent des carrières. En effet, ces dernières, à défaut de décret d’entrée en nomenclature et bien qu’une loi l’exige, ne sont toujours pas soumises à la police des ICPE. On peut donc penser qu’un raisonnement similaire est valable pour les éoliennes. La situation n’en est pas moins préoccupante et source d’insécurité juridique pour les demandes déposées depuis le 13 juillet 2011.
Le projet de décret d’entrée en nomenclature prévoit de rajouter une rubrique 2980 à la liste des « activités diverses ». La loi Grenelle II prévoyait simplement, (dans son article 90, VI.) codifié à l’article L.553-1 du Code de l’environnement) de soumettre les installations onshore de France métropolitaine dont le mât dépasse 50 mètres à la procédure d’autorisation (soit la plus contraignante). Cependant le projet de décret rajoute un critère supplémentaire. Ainsi les projets dont la hauteur du mât est comprise entre 12 et 50 mètres seraient soumis à déclaration si la puissance cumulée des installations sur le site est inférieure à 20 MW et à autorisation si elle est supérieure. Quant aux éoliennes onshore d’Outremer et aux éoliennes offshore, elles ne sont pour l’instant pas prises en compte par le projet de décret, ce qui est conforme aux engagements du Grenelle (qui ne voulait pas trop pénaliser ces filières encore fragiles) mais reste incohérent : si la dangerosité des éoliennes terrestres justifie leur entrée en nomenclature, pourquoi en serait-il différemment de leurs homologues ultramarines ?
La publication de trois autres textes devrait se faire concomitamment à ce décret : un décret relatif au démantèlement des aérogénérateurs (qui aurait pourtant dû être publié au 31 décembre 2010) et deux arrêtés techniques qui concernent les prescriptions générales applicables respectivement aux installations soumises à autorisation et à celles soumises à déclaration.
Le projet d’arrêté concernant la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) semble, quant à lui, avoir été abandonné. Rappelons qu’il existe déjà une taxe spécifique à l’éolien terrestre : une IFER (Imposition Forfaitaire sur les Entreprises de Réseau) dont le taux a plus que doublé cette année. Une nouvelle taxe aurait rendu plus difficile encore le financement des projets, en totale contradiction avec les objectifs ambitieux affichés lors du Grenelle de l’Environnement.
II/ Les prescriptions générales applicables aux éoliennes
Les projets d’arrêtés relatifs aux prescriptions générales applicables aux aérogénérateurs prévoient une entrée en vigueur au 1er octobre 2011 pour les installations soumises à autorisation et quatre mois après la publication de l’arrêté pour les installations soumises à déclaration. Il est néanmoins probable que le retard dans la publication du décret d’entrée en nomenclature reportera d’autant l’entrée en vigueur de ces arrêtés techniques.
La loi Grenelle II ne prévoyait qu’une seule exigence quant aux prescriptions générales applicables aux éoliennes soumises à autorisation en disposant que « La délivrance de l’autorisation d’exploiter est subordonnée à l’éloignement des installations d’une distance de 500 mètres par rapport aux constructions à usage d’habitation, aux immeubles habités et aux zones destinées à l’habitation définie dans les documents d’urbanisme en vigueur à la date de publication [de la loi] ». Cette distance correspond à la distance maximale théorique à laquelle un bris de pâle ou une projection de glace en hiver pourrait causer un dommage (de manière empirique, on n’a constaté des projections que jusqu’à une distance de 300 mètres). Elle permet également de limiter les nuisances sonores que les riverains pourraient subir. Les projets reprennent cette formulation à l’identique, sans plus définir les termes.
A priori, on entend par « immeuble », la seule construction et non pas l’immeuble au sens du code civil (terrain compris). Cette notion reste cependant très large puisque des habitations temporaires, telles que des cabanes de bergers devront également être prises en compte dans la délimitation des zones d’implantation. Quant aux zones destinées à l’habitation définie dans les documents d’urbanisme, la formulation n’est pas plus heureuse : toutes les zones d’un PLU ou d’un POS peuvent être habitées, il aurait donc été préférable de faire référence aux zones destinées à l’urbanisation.
Les projets ne se limitent pas à paraphraser la loi et multiplient le nombre de distances se sécurité. Ainsi les éoliennes soumises à autorisation ne pourront pas être implantées à moins de 300 mètres d’une installation nucléaire ou SEVESO.
Pour les installations soumises à déclaration, les distances sont fonction de la hauteur du mât et vont de 40 à 500 mètres. La distance est la même pour les habitations et pour les installations dangereuses, ce qui signifie qu’un parc éolien soumis à déclaration peut obéir à des règles d’implantation plus strictes qu’un parc soumis à autorisation. Par exemple, un parc soumis à déclaration dont les mâts mesurent 40 mètres devra être éloigné de 400 mètres d’une installation SEVESO alors qu’un parc dont les mâts mesurent 50 mètres, et par conséquent soumis à autorisation, ne devra justifier que d’une distance d’éloignement de 300 mètres. Espérons que cette incohérence sera corrigée lors de la publication de l’arrêté.
Quant aux radars météorologiques, de l’aviation civile ou des ports, ils interdisent l’implantation d’éoliennes dans un rayon de plusieurs kilomètres (10 à 30 selon le type de radar). L'exploitant doit aussi obtenir « l'accord écrit des services de la zone aérienne de défense compétente sur le secteur d'implantation de l'installation » pour ne pas gêner le fonctionnement des équipements militaires.
Plus surprenant : si des éoliennes soumises à autorisation sont situées à moins de 250 mètres d’un bâtiment à usage de bureaux, une étude devra être faite pour démontrer que l’ombre des pâles n’est projetée sur la façade que moins de 30 jours par an et moins d’une demi heure par jour. La raison avancée est qu’un effet stroboscopique (l’alternance rapide de l’ombre et de la lumière) engendré par la rotation des pâles pourrait faire courir un risque à la santé des travailleurs dans ces bâtiments (perte d’équilibre nausées, crise d’épilepsie). Au vu de la jurisprudence, cette mesure peut paraitre excessive. Un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Lyon (CAA Lyon, 23 octobre 2007, 06LY02337) avait en effet jugé que cet effet « se manifeste seulement quand l’observateur est situé à proximité immédiate de l’éolienne, dans l’axe soleil-éolienne, avec le halo solaire au niveau des pâles ».
Concernant la biodiversité, les ambitions de la DGPR ont été revues à la baisse. Il a en effet été impossible de fixer un pourcentage de surmortalité tolérée de l’avifaune. Reste que l’exploitant devra effectuer un suivi de la mortalité de l’avifaune et des chiroptères, particulièrement vulnérables aux pâles des aérogénérateurs. On ignore encore dans quel périmètre il faudra étudier cette surmortalité. Faudra-t-il déterminer un certain rayon autour de l’éolienne ou se limiter stricto sensu à l’aplomb des pâles ? Actuellement, la LPO estime qu’une éolienne tue jusqu’à 60 oiseaux et jusqu’à 69 chiroptères chaque année (selon le lieu d’implantation). Ces chiffres sont cependant rarement atteints et sont à relativiser puisque le trafic d’une autoroute génère bien plus de mortalité chez la faune volante.
La DGPR a également prévu d’adapter les règles applicables aux ICPE en matière de bruit en proposant des seuils d’émergence plus bas que pour les autres ICPE. Cette disposition plus contraignante est discutable mais correspond peu ou prou aux seuils appliqués actuellement selon les dispositions des articles R1334 30 et suivants du Code de la Santé publique. De plus, le projet d’arrêté fixe un bruit maximal autorisé qui serait mesuré à une distance fixe, prise à partir de l’éolienne : selon le SER (Syndicat des Énergies Renouvelables, organisation regroupant la majorité des acteurs de la filière) cette mesure devrait être faite en fonction des caractéristiques de chaque projet (morphologie du terrain, proximité des habitations, faune présente …).
Enfin, une dernière prescription qui en surprendra plus d’un : « L’installation est implantée de telle sorte que les habitations ne sont pas exposées à un champ magnétique supérieur à 4 500 microteslas à 3 Hz ou à 100 microteslas à 50 60 Hz. » Non pas qu’il faille nier les dangers des champs magnétiques mais celui généré par une éolienne étant déjà négligeable au pied du mât, il l’est d’autant plus à 500 mètres ou plus. Cette disposition concerne généralement les lignes à haute tension et les antennes GSM. Son extension aux éoliennes paraît disproportionnée.
Les autres prescriptions sont plus classiques et concernent les risques industriels inhérents aux éoliennes (sécurité, déchets, accès, essais, glace sur les pâles…).
III/ L’incompatibilité du classement avec le droit européen ?
Toutes ces mesures ont un impact considérable sur la faisabilité d’un projet et posent la question des limites du principe de précaution. Cette fuite vers le « tout sécurité » se fait au détriment d’une filière industrielle française naissante et en totale contradiction avec la politique affichée du Gouvernement. Puisque ce dernier a déjà mis un sérieux coup de frein à la filière photovoltaïque, on peut légitimement se demander comment il compte respecter son objectif d'utilisation de 23% d'énergies renouvelables, imposé par le « paquet climat-énergie » et qui sera bientôt transposé par ordonnance en droit interne.
Le décret d’entrée en nomenclature pourrait même être incompatible avec la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009 qui dispose que « Il convient en particulier, d’éviter toute charge inutile qui pourrait découler de la classification de projets concernant les énergies renouvelables parmi les installations qui présentent un risque élevé pour la santé » (40ème considérant). Cette recommandation n’est pas reprise par le projet d’ordonnance.
La porte-parole d’Écologie sans Frontière (ONG membre du Grenelle de l’Environnement), avait tiré la sonnette d’alarme en mars 2010 en n’hésitant pas à affirmer que « Le droit européen interdit l'assimilation d'une éolienne à une ICPE ! » On peut donc raisonnablement penser que la CJUE sera saisie de cette question.