C’est en temps de crise – crise sanitaire, crise sociétale, crise environnementale – que les facteurs de résilience de l’entreprise font la différence. Parmi ceux-ci, la qualité du dialogue avec ses parties prenantes démontre son utilité. En particulier, l’étude menée conjointement par le Comité 21 et le cabinet Des enjeux et des hommes rappelle que pour maitriser les enjeux environnementaux complexes d’aujourd’hui, l’information, la consultation et la co-construction s’avèrent précieuses.
Le Comité 21 est une association française qui réunit près de 400 adhérents, entreprises, institutions, associations, citoyens, médias…) avec l’ambition de contribuer aux transformations de nos sociétés. Ce think tank s’est associé en 2021 au cabinet de conseil spécialisé dans la RSE Des enjeux et des hommes pour mener une enquête approfondie des pratiques de dialogue des entreprises. Les conclusions de cette étude ont été publiées en juin dernier et font l’objet d’une campagne médiatique en cette rentrée 2021. Cette étude nous fournit quelques éléments de réflexion intéressants.
En premier lieu, les auteurs rappellent que le concept de parties prenantes de l’entreprise s’est stabilisé autour des travaux du Stanford Research Institute, dans les années 60, autour de l’idée de « groupes sans le support desquels l’organisation cesserait d’exister ». Ces acteurs participent à la vie économique de l’entreprise (salariés, fournisseurs, clients, actionnaires), observent et influencent son comportement (syndicats, ONG), ou sont affectés par ses activités (riverains, collectivités territoriales…).
La porosité des entreprises avec leur écosystème est allée croissant ces dernières décennies, avec le développement de la RSE : les entreprises sont considérées à la fois comme cause de nombre d’enjeux de société (pollution, raréfaction des ressources) et acteurs principaux des réponses à apporter (moyens financiers, R&D…).
Pour autant, la propension des entreprises à ouvrir leurs instances de gouvernance à d’autres acteurs que leurs partenaires économiques, en nombre restreint, reste marginale. En effet, si les entreprises reconnaissent l’utilité de cette ouverture, cette prise de conscience se traduit peu dans les faits. Les deux freins identifiés sont la frilosité des dirigeants et le manque de méthodologie.
Tout d’abord, les attentes ne sont pas tout à fait réciproques : les entreprises interrogées cherchent à mieux comprendre les attentes des parties prenantes (26%) et à anticiper les risques (23%). Pour autant, il ne s’agit pas d’une approche prospective, avec l’idée de nourrir l’innovation (raison citée par seulement 10% des répondants), mais plutôt d’un souci réputationnel. De leur côté, les parties prenantes externes souhaitent apporter leur expertise et leur compréhension du monde afin d’élargir le point de vue des entreprises (77%). Mais en retour, elles aimeraient que cela serve à faire évoluer les modèles d’affaires des entreprises, auxquelles elles consacrent du temps, vers des activités plus durables (58%).
Force est de constater que le modèle économique actuel, dans lequel, juridiquement, l’entreprise n’est redevable qu’envers ses actionnaires, montre ses limites. La loi PACTE, en France, porte en germe un changement de paradigme, en redéfinissant l’objet social de l’entreprise : « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Le droit vient donc entériner la nécessité d’intégrer les parties prenantes dans la gouvernance de l’entreprise. Celles-ci peuvent d’ailleurs se saisir de la possibilité de devenir « entreprise à mission ». Dans ce cas, elles devront constituer un comité de mission, comprenant des personnalités extérieures à l’entreprise et garantes de la mission, de ses objectifs et des moyens mis en œuvre pour l’atteindre. La loi sur le devoir de vigilance, dès 2017, demande également la prise en compte des parties prenantes, fournisseurs mais aussi syndicats, pour élaborer le plan de vigilance, étant donné qu’il s’agit d’exposer les mesures prises pour assurer les droits humains et la protection de l’environnement dans les filiales des multinationales ainsi que chez leurs fournisseurs et sous-traitants. L’association Sherpa remarque toutefois que la façon dont les instances représentatives du personnel sont impliquées n’est en règle générale pas décrite.
Quels sont les sujets sur lesquels les observateurs et partenaires des entreprises entendent dialoguer avec elles ? L’étude montre la prépondérance des sujets environnementaux (tous les répondants), ainsi que les questions d’éthique. Aussi, dans les secteurs aux activités sensibles, ou controversées, le dialogue avec les parties prenantes (notamment les ONG et la société civile) est entré dans les pratiques de longue date. Les secteurs des produits de grande consommation également, ont l’habitude de dialoguer avec les consommateurs pour protéger leur image de marque. Dans d’autres secteurs, l’ouverture peut être encore timide. Les entreprises craignent également les distorsions offertes par les nouvelles technologies, réseaux sociaux en tête.
L’étude analyse le degré de maturité des entreprises selon quatre catégories : le premier niveau regroupe les entreprises qui pratiquent un dialogue peu formalisé. Le deuxième celles qui mènent ce dialogue de façon construite, avec une cartographie des interlocuteurs et des modalités spécifiques à chacun. Au troisième niveau, les entreprises s’ouvrent à des sujets stratégiques ou controversés et mènent des actions communes et publiques. Enfin, les entreprises les plus matures intègrent leurs partenaires dans le processus décisionnel et les instances de gouvernance.
Dans les faits, les entreprises françaises apparaissent dans l’enquête peu matures sur le sujet. Si elles informent volontiers, consultent parfois, elles lancent peu d’initiatives de co-construction. Dans la pratique les occasions de dialogue sont rarement proactives et plutôt soumises à une gestion des risques. Les clients sont les parties prenantes les plus consultées, avec les fournisseurs et les salariés. Mais avec la répétition des crises, d’autres acteurs souhaitent interpeller les entreprises : les étudiants, les ONG, des élus, etc.
Les modes d’interactions sont variées : l’enquête, les baromètres de satisfaction, l’évaluation des fournisseurs restent privilégiés. Mais on voit apparaître des outils originaux, tels que des plateformes digitales dédiées, ou des instances spécifiques au dialogue. Lorsqu’il s’agit d’intégrer les parties prenantes dans la gouvernance de l’entreprise, les modalités sont plus morcelées : la consultation lors de la définition de la raison d’être (45%) la création de comités parties prenantes (33%), plus rarement la codétermination (25%) voire la représentation au sein du conseil d’administration (9%).
Enfin, pour assurer le succès et l’utilité de la démarche, l’étude propose un éventail de 10 axes d’amélioration, parmi lesquels on peut citer l’acceptation du temps long, qui permet de mieux se connaître, et un engagement sincère de part et d’autre. En conclusion, la majorité des acteurs interrogés considèrent qu’en temps de crise, le dialogue a facilité l’instauration naturelle d’une solidarité entre acteurs, pour trouver plus rapidement des solutions.