Les rédacteurs de la directive du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité de plein droit du fait des produits défectueux sont explicites sur ce point : « la détermination du caractère défectueux d'un produit doit se faire en fonction non pas de l'inaptitude du produit à l'usage, mais du défaut de sécurité à laquelle le grand public peut légitimement s'attendre ». La société étant de nos jours de plus en plus consommatrice, les producteurs doivent faire preuve de rapidité afin de répondre à la demande, mais cette rapidité peut causer des produits défectueux.

Cela a notamment été le cas le 25 mai 2021, où plusieurs établissements de l’hypermarché Leclerc ont été dans l’obligation de rappeler et de retirer de la vente en magasin un produit alimentaire défectueux, comportant des risques pour la santé humaine. Il s’agissait de gâteaux apéritifs contenant des graines de sésames contaminées par de l’oxyde d’éthylène en forte quantité, un pesticide classé comme étant cancérigène et mutagène par l’Union européenne. Si à l’heure d’aujourd’hui, aucun consommateur malade n’a été identifié et aucune plainte n’a été déposée, les conséquences sanitaires sur le long terme de la commercialisation d’un tel produit existe bel et bien.
Cependant, dans l’hypothèse où des consommateurs auraient été contaminé par le produit alimentaire, la question se pose de savoir si la directive de 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux pourrait s’appliquer à des produits alimentaires, et de savoir qui du vendeur, c’est-à-dire l’enseigne Leclerc, ou du producteur du produit litigieux serait susceptible de voir engager sa responsabilité sur ce terrain.

Ainsi, il convient de traiter ce sujet en répondant à la question de savoir si un produit alimentaire, destiné à la consommation humaine et contenant des substances toxiques, est un produit défectueux au sens de la directive européenne de 1985 ?

Dans le cas de l’espèce, les produits alimentaires entrent dans le champs d’application de la directive de 1895 relative à la responsabilité des produits défectueux (I) mais le secteur alimentaire présente des difficultés quant à la caractérisation du producteur responsable (II) qui est souvent inconnu et qu’il conviendra de préciser.


I) L’applicabilité de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux aux produits alimentaires.

La directive européenne de 1985 prend en compte l’existence de plusieurs conditions relatives aux produits litigieux afin d’engager la responsabilité du fait des produits défectueux. En effet, il faut déterminer l’existence d’une mise en circulation effective (A) d’un produit ayant un caractère défectueux (B).

A) Un produit destiné à la consommation et mis en circulation
La responsabilité du fait des produits défectueux ne vise que certains types de produits. En effet, l’article 2 de la directive transposée en droit interne par l’article 1245-2 du code civil prévoient que seuls les biens meubles, même incorporés dans un immeuble, sont visés par la directive. L’article 1245-2 du code civil va encore plus loin en estimant que les produits du sol, de l'élevage, de la chasse et de la pêche entrent également dans le champ d’application du régime relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. Ainsi, l'expression du produit doit être entendue largement, et vise aussi bien les matières premières que les produits finis ou les composants. En droit français, l’article 528 du code civil rappelle que les biens meubles sont par nature des biens « pouvant se transporter d’un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu'ils ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère ». Un produit alimentaire est donc entendu comme un produit susceptible d’entrer dans le régime de la responsabilité des produits défectueux, puisque c’est un bien meuble. Cependant, la simple caractérisation d’un bien meuble ne suffit pas, il faut que ce produit ait été mis en circulation par le producteur. Cette notion de mise en circulation n’a pas été défini par la directive mais englobe plusieurs conditions cumulatives qu’il convient d’analyser afin de savoir si le produit alimentaire litigieux rempli toutes les conditions de la mise en circulation. Tout d’abord, avant d’analyser la notion même de mise en circulation, il convient de positionner le droit transitoire en l’espèce. En effet, la directive n’étant pas rétroactive, la responsabilité du fait des produits défectueux ne sera applicable que si la première mise en circulation du produit a eu lieu postérieurement à la transposition de la directive en droit français, c’est-à-dire postérieurement à la loi du 19 mai 1998. Dans le cas de l’espèce, il est évident, étant donné que la directive est intégrée dans notre droit interne depuis de nombreuses années et qu’un produit alimentaire contient en date de consommation relativement limitée, que le produit alimentaire a été mis en circulation postérieurement après 1998. Ensuite, l’article 7 de la directive et l’article 1245-10 du code civil prévoient que seul les dommages résultant des défauts antérieurs à la mise en circulation entreront dans le champ de la responsabilité de plein droit. Autrement dit, il faut nécessairement que le défaut ait existé avant la mise en circulation, afin d’écarter toute éventualité que le défaut résulterait d’une cause postérieure à la vente. Dans le cas de l’espèce, il a été scientifiquement prouvé que le défaut du produit résulte du traitement des graines de sésame par un pesticide toxique, au moment de la fabrication du bien. Donc le défaut est bien antérieur à la mise en circulation. Enfin, il faut également tenir compte du délai de forclusion de 10 ans qui permet aux producteurs d’échapper à toute responsabilité 10 ans après la mise en circulation du produit. Ici, compte tenu de la nature du produit et de la date limite de consommation des produits litigieux proches, on peut en déduire que la mise en circulation du produit date de moins de 10 ans, et que par conséquent, le délai de forclusion n’a pas été atteint. La directive apporte quelques précisions concernant la notion de mise en circulation, même si elle ne le définit pas. La loi dans son article 1245-10 du code civil prend soin de préciser que le producteur doit s'être dessaisi volontairement du produit au profit de sa clientèle pour caractériser la mise en circulation. Cette définition exclut donc toute responsabilité du producteur en cas de vol par exemple, mais il convient d’écarter cette hypothèse en l’espèce. La mise en circulation ne concerne également que les produits qui sont à l’origine du dommage, selon l’article 11 de la directive. Dans le cas de l’espèce, seul les produits contaminés ont été pris en compte et retirés de la vente. Le produit litigieux rempli donc toutes les conditions de la mise en circulation.

B) La défectuosité d’un produit alimentaire toxique caractérisée

Pour appliquer la responsabilité du fait des produits défectueux, il faut caractériser l’existence de la défectuosité du produit. Le défaut fait l’objet d’une définition légale, qui se retrouve à l’article 6 de la directive et l’article 1245-3 du code civil qui reprend la même définition que l’article 6 de la directive. L’article 6 de la directive prévoit que « un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances, et notamment de la présentation du produit ; de l'usage du produit qui peut être raisonnablement attendu ; du moment de la mise en circulation du produit ». Cette définition établit une conception large et objective de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. D’une part, cette définition établit la possibilité de caractériser la défectuosité intrinsèque du produit, c’est-à-dire que le produit n’apporte pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, mais il faut prendre en compte la défectuosité extrinsèque, c’est-à-dire la présentation du produit, l’usage attendu du produit mais aussi l’obligation d’information à l’acheteur. Ainsi, un défaut d’information à l’acheteur sur l’utilisation du produit ou sur toute autre information susceptible de permettre à l’acheteur d’être averti sur les risques du produit peut suffire à engager la responsabilité du responsable. Cela a déjà fait l’objet de nombreux contentieux comme le contentieux relatif à la cigarette de la Cour d’appel d’Orléans en date du 10 septembre 2001, qui a considéré que la cigarette était un produit dangereux mais non défectueux puisque toutes les informations ont été transmise à l’acheteur afin qu’il soit pleinement conscient des risques. De même, l’absence de notice sur un produit ou une notice insuffisante sur un produit peut caractériser une responsabilité du fait de produit défectueux : cela a été le cas dans un arrêt de la Cour d’appel de Lyon datant du 11 avril 2019, et portant sur l’affaire Monsanto, où la société fabricante, ayant fait l'objet d'un étiquetage insuffisant ne respectant pas la réglementation applicable de son produit, n'offrait pas la sécurité à laquelle l'acheteur pouvait légitimement s'attendre ce qui constitue un défaut. Appliqué au cas de l’espèce, le produit est non seulement intrinsèquement défectueux, puisque l’on attend d’un gâteau apéritif qu’il soit non toxique et qu’il puisse nous nourrir sans nuire à notre santé, mais il est également extrinsèquement défectueux, car l’emballage du produit ne mentionnait aucun recours à ce pesticide lors de la fabrication du produit.

Ainsi, un produit alimentaire contenant des substances toxiques, destiné à la consommation est un produit défectueux au sens de la directive. Cependant, il faut à présent analyser qui est tenu par la responsabilité du fait des produits défectueux. Dans le secteur de l’agroalimentaire, cette détermination peut s’avérer parfois compliquée.


II) Une caractérisation compliquée du producteur responsable dans le secteur alimentaire.

La directive de 1985, considère que sont responsables les producteurs, mais dans le secteur de l’agroalimentaire, il est parfois compliqué de déterminer qui est le producteur du produit litigieux. Cette difficulté a permis de dégager l’existence de la coresponsabilité des producteurs ainsi que l’option possible pour l’acheteur lorsque le producteur est inconnu (A). Enfin, dans le cas de l’espèce, il conviendra d’écarter les causes exonératoires de responsabilité possibles prévues par la directive (B), car elles ne s’appliquent pas en l’espèce.

A) La possibilité de former une action en coresponsabilité
du producteur agricole et du producteur de produit fini.
La directive de 1985 énonce à l’article 3 de la directive et l’article 1245-5 du code civil que seuls les producteurs sont responsables au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux. Ces producteurs sont nécessairement des professionnels et comprennent aussi bien les producteurs de produits finis, de matière premières ou producteur d’une composante. Concernant les producteurs agricoles, la directive européenne avait initialement interdit la possibilité d’introduire dans la responsabilité de plein droit les produits agricoles dans son article 2 de la direction de 1985. L’article 15 de la directive de 1985 prévoit néanmoins une dérogation à l’article 2 en permettant aux Etats membres de choisir d’intégrer les producteurs agricoles dans la responsabilité de plein droit. Ainsi, la directive n’exclue pas les producteurs agricoles de la notion de producteur. En France, le législateur a décidé de considérer que les producteurs agricoles sont des producteurs au sens de la directive. Ainsi, le producteur des graines de sésames défectueuses peut être responsable au sens de la directive. Cependant, un problème persiste. En effet, dans le secteur de l’agroalimentaire, il est parfois difficile de savoir qui est le producteur car l’identité de celui-ci n’est pas révélée mais aussi parce que, dans de nombreux cas, le producteur est étranger. Dans ce cas, la directive prévoit dans son article 3 paragraphe 3 que si le producteur n’est pas identifiable, la victime peut demander au vendeur, c’est-à-dire en l’espèce à la société Leclerc, de lui communiquer l’identité du producteur des graines de sésames, dans un délai raisonnable de 3 mois fixé par le code civil. Si le nom du producteur n’est pas révélé dans les délais impartis, alors Leclerc sera substitué au producteur et la victime pourra agir contre Leclerc qui aura la nouvelle qualité de producteur. Autre possibilité, la victime peut directement intenter une action contre le vendeur, en sa qualité de coresponsable du dommage, à charge pour le vendeur, ici Leclerc, de former une action récursoire contre le producteur afin de faire un partage de responsabilité, alors qu’initialement le vendeur est exclu de la responsabilité du fait des produits défectueux.

B) L’absence en l’espèce de causes exonératoires de responsabilité
Concernant les causes exonératoire de responsabilité, la directive n’admet que les causes exonératoires en cas d’absence de lien de causalité entre le défaut et le dommage, la faute de la victime, et l’exonération pour risque de développement (nous avons déjà traité la question de forclusion, nous l’écartons). Concernant le lien de causalité, en l’espèce il est avéré puisque des études scientifiques ont déjà prouvé que le pesticide présent dans les graines de sésames en grande quantité pouvait engendrer des cancers. La faute de la victime codifiée à l’article 8 de la directive et l’art. 1245-12 et -13 du code civil est à écarter également car dans le cas de l’espèce, il n’y a pas de faute de la victime car les victimes n’ont pas d’usage du produit qui n’était pas ce qu’on pouvait légitimement attendre. Enfin l’exonération pour risque de développement ne s’appliquent pas en l’espèce non plus car ce type d’exonération, propre à la responsabilité du fait des produits défectueux et prévu à l’article 7 de la directive, ne vaut exonération du producteur que si « l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ». Cette définition de l’exonération pour risque et développement a été transposé dans le droit interne par l’article 1245-10 du code civil. Il faut interpréter ce risque de développement de manière très restrictive. Pour qu’il y ait exonération pour risque de développement, il faut qu’aucune personne sérieuse dans le monde n’ai eu connaissance du risque au moment de la mise en circulation du produit. En l’espèce, le produit alimentaire litigieux n’est pas nouveau, donc l’exonération pour risque de développement ne s’applique pas.

Donc aucune cause exonératoire de responsabilité ne pourra dispenser le producteur (si l’identité est révélée) ou le vendeur (si l’identité du producteur reste inconnue) d’être responsable du dommage causé par un produit défectueux.